Sécurité et justice : la démocratie sur deux jambes

 

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En 2015 le cumul des budgets de la police et de la gendarmerie s’est élevé à un peu moins de 18 Md€, soit 1.67 % du PIB contre 1.87 % dans la moyenne des pays de l’Union.

Avec 5 Md€ le budget de la justice hors administration pénitentiaire représentait quant à lui  0.23 % du PIB contre 0.34 % en moyenne chez nos voisins.  Ainsi, lorsque nous consacrons 74 euros par habitant en France, les Italiens en consacrent 98, les Allemands 138 euros et les Britanniques 153.

Il convient de rester prudents en matière de comparaison tant les politiques publiques de chaque pays obéissent à des organisations qui leur sont propres. Mais le fait est que les moyens réservés à notre sécurité et à notre justice apparaissent bien insuffisants au regard des évolutions récentes de notre société.

Judiciarisation de la vie économique, violences sociales, recrudescence du terrorisme : ces  enjeux n’ont déjà plus grand-chose à voir avec ceux d’il y a dix ans alors que notre pays sortait d’une crise des banlieues sans précédent. Déjà, nous nous sentions démunis face à la délinquance des mineurs et la récidive alors en forte croissance… dix ans plus tard, démunis nous le restons.

Ainsi, mettre la France au niveau du reste de l’Union en matière de sécurité et de justice réclamerait un effort budgétaire annuel compris entre 6 et 8 Md€. Cet objectif ne doit plus en être un, mais bien se concrétiser en une politique structurée et compatible avec la politique de redressement budgétaire de la nation.

Dégager des moyens sans alourdir la dépense globale ne sera pas simple. Cela nécessitera de prendre des moyens ailleurs. Mais pas que… c’est toute une réponse sécuritaire et judiciaire qui devra être réinterrogée globalement. Nous aurions tort d’y voir une contrainte mais bien, au contraire, une opportunité.

 

Réinterroger le principe de subsidiarité

 

La France continue d’épuiser ses fonctionnaires de Police nationale et de gendarmerie dans des missions « tous azimuts ». Elles vont du maintien de l’ordre à la police judiciaire en passant par la sécurité publique et… la délivrance de procurations en période électorale ! Ce modèle a vécu.

De plus en plus de faits criminels appellent des collaborations « montantes » et « descendantes » respectivement vers l’échelon européen et territorial.

En 2014 24% des 167.785 condamnations pour vols prononcées en France ont concerné des personnes de nationalité étrangère. Cette proportion a été pratiquement multipliée par deux en cinq ans… et par quatre si on se réfère au début des années 2000.

Oh, il ne s’agit pas de jeter le discrédit sur « l’étranger », ce dont se charge très bien le Front National ! Mais bien de prendre acte d’une donnée que nous aurions tort de négliger… au risque, précisément, de laisser progresser le parti de Madame Le Pen.

La criminalité a suivi le mouvement de la mondialisation. Elle est devenue plus mobile, protéiforme, insaisissable des forces de sécurité intérieure lorsque ces dernières se cantonnent au seul cadre national. Ce n’est pas l’Europe qui est en cause mais bien l’insuffisance d’Europe.

Nous devons passer de la simple coopération à l’intégration des forces de police : la création d’un « FBI européen » constitue une réponse, non exclusive, mais aussi fondamentale qu’urgente. Rien de concret ne pourra être entrepris sans une telle construction.

Quelles raisons les Belges, Allemands ou Italiens auraient-ils à nous aider ? La réponse est simple : ils rencontrent les mêmes problèmes que nous ! Des bandes organisées, extérieures à l’espace Schengen, responsables de l’explosion des cambriolages et atteintes aux biens, sévissent sur leur passage d’est en ouest sur le continent. Que dire des auteurs des attentats du 13 novembre qui prirent le soin d’agir de façon « oblique » (en se préparant dans un Etat et frappant dans un autre), conscients de cette faiblesse…

A l’autre « extrémité », la police municipale occupe une place importante et demain, je le pense, incontournable.

Elle contribue déjà aux actions de tranquillité publique dont une part encore trop importante repose sur les forces de police et de gendarmerie, à tout le moins sur le champ contraventionnel.

Par sa bonne connaissance du terrain et des habitants, la police municipale apporte une contribution plus aidante qu’on ne l’imagine dans la résolution d’enquêtes liées aux biens et aux personnes, compétence qui reste (et restera) celle du judiciaire.

Par cette bonne connaissance du terrain toujours, elle détecte et anticipe des situations de tensions : ce qui fonde sa participation plus active, demain, au titre de la « police de proximité », dispositifs recréés et démantelés à l’envi depuis plusieurs décennies au gré des alternances politiques.

Je n’ai aucun doute que cet échelon municipal (que je qualifierais plus volontiers de « territorial ») devra prendre de nouvelles missions telle la prévention routière, notamment en milieu urbain – les chiffres préoccupants de ces cinq dernières années ne peuvent que nous en convaincre.

Bref si nous voulons que police et gendarmerie puissent se recentrer, il nous faudra remettre à plat tout un principe de subsidiarité.

Loin d’affaiblir l’Etat, ce double partage de compétence vers l’Europe et les territoires fera naitre un besoin de coordination qui, au contraire, renforcera le rôle des Préfets, voire maintiendra des sous-préfectures dont la disparition semblait, il y a peu, inéluctable. Quelle qu’en soit le scénario, il apparaît certain que la décennie à venir sera marquée par la réaffirmation du pouvoir régalien.

En attendant, on ne saurait trop inviter les exécutifs locaux à se saisir des regroupements de communes voulus par la loi NOTRE pour anticiper cette réponse de proximité au niveau des EPCI et ainsi (re)donner de la puissance publique sur des territoires abandonnés à la montée du Front National.

 

Nouveau monde, nouveaux risques, nouvelles réponses

 

Nous sommes entrés dans une séquence d’instabilité durable, contrairement à l’Etat d’urgence qui, lui, devra bientôt laisser place à un régime hybride où un contrôle plus strict par les pouvoirs judiciaire et législatif constituera la contrepartie acceptable d’une limitation des libertés individuelles.

La démocratie passe t-elle par plus de réseaux sociaux ? Incontestablement… Mais sort-elle renforcée lorsque des groupes terroristes y diffusent leurs pires atrocités ? Je ne le pense pas.

La surveillance des lieux publics, qui s’est considérablement renforcée au cours des derniers mois, doit-elle être maintenue ? Incontestablement…  Exige t-elle la présence systématique de forces armées régulières ou de police dont les priorités viennent d’être rappelées ? Probablement pas… Une mobilisation plus forte des réservistes s’impose et, vraisemblablement, à court terme la création d’une garde nationale.

La réponse pénale doit-elle demeurer l’axe « central » du système judiciaire ?  Incontestablement… La France peut-elle se contenter de la situation de sous offre pénitentiaire qui la caractérise et occasionne l’inexécution de 100 000 peines ? La réponse semble être dans la question. « Central » veut-il pour autant dire « exclusif » ? Je ne le pense pas… Les juges utilisent plus fréquemment leur pouvoir de saisie patrimoniale très tôt dans les procédures (la confiscation définitive étant alors prononcée par le Tribunal en cas de culpabilité avérée). Je suis convaincu que ce mix pénal+civil doit être encouragé, notamment en matière de délinquance financière ou d’atteintes aux biens. Cette évolution du droit et de son application me semble mieux adaptée que la condamnation à des peines théoriques… et de fait rarement appliquées, véritable incitation à la récidive.

La suspension et le recours sur les droits sociaux sont-ils envisageables ? Oui. Seraient-ils  pertinents en toute circonstance ? Probablement pas… Mais nos concitoyens ne supportent plus que l’on puisse revendiquer la solidarité nationale sans un minimum de respect de la tranquillité publique ou, simplement, des obligations parentales. Point de stigmatisation ! Mais bien un attachement à rappeler ce qui fonde notre contrat social : l’équilibre entre droits et devoirs. J’entends souvent parler « d’identité »… Il me semble que la première des identités revendiquée par les Français et Françaises, c’est celle-là – ce contrat social, cœur de la république.

 

La patrie de Rousseau, Voltaire et Montesquieu

 

Nous sommes et resterons la patrie de Rousseau, Voltaire et de Montesquieu. Ce n’est pas rien ! Dans un Etat de droit, fondé sur l’égalité, l’accès au droit revêt une question centrale.

Bien sûr, l’aide juridictionnelle a permis de promouvoir cette égalité d’accès au droit vers les ménages les plus modestes. Ce principe doit être défendu bec et ongle. Mais l’aide juridictionnelle, telle qu’elle existe aujourd’hui, induit un effet de seuil trop important. Ainsi les difficultés d’accès au droit se sont déplacées vers les classes moyennes qui apparaissent comme les grandes oubliées. Pour faire simple : on devient inéligible au-delà d’un revenu mensuel de 1500 € et la prise en charge tombe à 25 % au-dessus de 1 183 € soit… à peine le SMIC net. Cette situation n’est pas acceptable dans une société qui se judiciarise. Rehausser les seuils, augmenter le nombre de tranches ou, simplement, instaurer un crédit d’impôt rechargeable tous les trois ou cinq ans… les pistes ne manquent pas.

Bref, on ne saurait résumer une politique en quelques lignes. Mais quelques exemples permettent d’en résumer l’esprit : regarder la société avec pragmatisme, observer ce qui a fait ses preuves dans d’autres démocraties, arbitrer en fonction de résultats et non d’idéologies, expérimenter lorsque l’opinion doute ou apparaît trop divisée (plutôt que choisir l’immobilisme)… telles sont les postures que la prochaine mandature se devra d’adopter.

Sécurité et justice sont les deux jambes d’une démocratie chèrement acquise et qui a de plus en plus de mal à se tenir debout, constat plus marqué encore dans certains territoires.

Méfions-nous d’une société qui ne se sent plus en sécurité, car l’Histoire démontre qu’avant de se laisser abattre elle crée ses propres milices.

Méfions-nous tout autant d’une société qui ne croit plus en la justice, car cette même Histoire nous enseigne qu’elle tolèrera, alors, que l’on puisse se faire justice soi-même.

 

 

 

 

 

 

 

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