2016, année de transition ?

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72 Md€. C’est la hauteur du déficit budgétaire de la France en 2015. Il viendra  abonder 2100 Md€ de dettes, soit un peu moins de 96 % du PIB. Hélas, le budget 2016 infléchira peu cette tendance.

72 Md€, nous pourrions les trouver. Mais au prix de sacrifices qui restent abstraits pour la plupart des Français, faute de pédagogie.

72 Md€, c’est un peu moins de la moitié de la masse salariale des fonctionnaires ou encore 80 % des fonds de concours versés par l’Etat vers les collectivités territoriales, premier investisseur public.

Équilibrer cette dépense par de nouvelles recettes équivaudrait, par exemple, à un relèvement de 10 points de TVA ou encore au doublement de l’impôt sur le revenu (75 Md€), au triplement de celui sur les sociétés (un peu moins de 40 Md€).

Bref, aucune de ces pistes, prise individuellement, ne saurait constituer une issue politiquement viable.

Disons le clairement : le rétablissement des comptes publics sera un processus long qui nous emmènera à l’horizon de 2020 et probablement au-delà. Le prochain Président de la République et sa majorité, quels qu’ils soient, auront à agir sur les dépenses et les recettes. Mais ce ne sera pas suffisant : seule une utilisation responsable des fruits de la croissance permettra de réduire mécaniquement nos déficits structurels.

Nous pouvons faire le choix de ne regarder que le seul versant de l’austérité, posture éminemment dangereuse qui ne pourra qu’abonder les frustrations et qui, en définitive, fera le lit des extrêmes… Ou, au contraire, faire le choix d’y voir une opportunité.

Nous pouvons considérer qu’il est trop tard, qu’il est urgent d’attendre 2017 en partant du principe que la politique obéit à une sorte de « science exacte »…  Ou, au contraire, considérer que l’alternance, seule, ne fonde pas automatiquement un projet, encore moins une dynamique. Et dans ce cas, considérer que beaucoup de choses peuvent, ou plutôt doivent, déjà s’anticiper, en 2016, en termes d’outils, de débats, de réformes de nos institutions.

 

Le  modèle fiscal et contributif, l’Europe, les territoires : questions centrales de la Présidentielle de 2017

 

Au cours des trente dernières années, l’Europe, la mondialisation et la libéralisation financière se sont invités  dans le débat public. Mais force est de constater que les organisations sociales qui en découlent restent encore très ancrées dans le monde de 1945. Oser le dire et en pointer les limites, c’est déjà se rendre suspect de vouloir dénoncer notre « modèle social ».

Depuis trente ans, les Françaises et Français ont connu un empilement de réformes, le plus souvent conduites par petites touches (retraites, assurance maladie, chômage) et dépourvues de trajectoire globale. Tout au plus, et il est bien juste de le reconnaître, ces réformes sectorielles ont permis de sécuriser l’équilibre à court terme. Mais sans vraiment garantir la soutenabilité de ce modèle face à une  compétition mondiale galopante.

Au fond, quel problème la fiscalité pose-t-elle dans notre pays ? Est-ce son niveau ou sa répartition ?

En 2015 l’impôt sur le revenu aura battu deux records : son rendement (parmi les plus élevé de ces vingt dernières années) et le nombre de contributeurs, qui n’a jamais été aussi faible (46 %). Comment ne pas donner le sentiment de deux Frances qui s’éloignent toujours un peu plus l’une de l’autre ?

En son temps Jacques Chirac parlait de « fracture sociale », expression caricaturée à l’envi et que plus personne n’ose utiliser tant cette fracture, loin de s’être réduite, a muté en une sorte de « fragmentation sociale », et vraisemblablement, « communautaire », de la société française. Ainsi, vingt ans après le débat autour de la « citoyenneté » a remplacé celui de la « fracture sociale » en reprenant les principaux codes.

Nous semblons avoir oublié, Français, combien dans une république moderne la participation à l’impôt fonde l’exercice de cette même citoyenneté, citoyenneté que nous n’avons cessé de réinventer par la démultiplication de dispositifs spécifiques.

Et si la réduction de la « fracture sociale » passait, au moins en partie, par la réduction de la « fracture fiscale » ? Oh bien sûr, j’entends déjà la gauche et l’extrême-droite railler la proposition (« faire payer les pauvres ») ! Que les caricatures sont faciles… Mais qu’ont proposé les premiers et que proposent les seconds pour faire du « vivre ensemble » autre chose qu’un vague concept ? Pour restaurer ce « sentiment d’appartenance » que nous regardons décliner avec tant d’anxiété et d’impuissance ?

Un rendement constant avec des taux plus bas et une assiette plus large ne contribuerait-il pas à un meilleur consentement à l’impôt, quel qu’il soit ? Emploi, logement, éducation, politiques migratoires : au delà de la seule équation budgétaire, il est probable que nombre de sujets socialement clivant seraient posés et débattus différemment.

Quel message la révolte de « bonnets rouge » ou des « pigeons » nous a-t-elle envoyé ?

Le spectacle honteux de dégradations perpétrées par une minorité n’a-t-il pas éclipsé une peu vite le message d’une majorité ? Un pacte, fut-il de compétitivité ou de responsabilité, ne saurait se substituer plus longtemps au contrat social et républicain, contrat par lequel toute imposition nouvelle devra être conditionnée par le retrait d’une imposition existante équivalente. La fiscalité écologique ne pourra trouver sa légitimité que si elle se déploie à isopérimètre de prélèvements, et non si elle se surajoute à une machine fiscale devenue folle.

Il pourrait en être de même avec le système de normes (sociales, environnementales, techniques). La  propension à déroger systématiquement à la hausse à la norme européenne est devenu une règle française (avec une seconde consistant, inversement, à retarder celles qui s’avèreraient plus protectrice pour le consommateur). Osons admettre que ces « sur-normes à la Française », en pesant des centaines de millions d’euros sur la société civile et l’entreprise, font autant de dégâts qu’une fiscalité mal équilibrée.

 

Relancer le contrat social, fiscal et écologique

 

Personne ne croit en un modèle français diminué de ses normes au point de devenir fiscalement compétitif avec les pays que nous appelons encore, à tort, « émergents ». L’erreur serait d’autant plus grande que ces derniers commencent à être rattrapés par l’exigence sociale et environnementale. En outre, le mouvement de relocalisation auquel nous assistons depuis peu vers l’Europe et les Etats-Unis sera consommateur d’une main d’œuvre performante aux antipodes d’un modèle « socialement dumpé ».

Nous pouvons attendre, patiemment et hypothétiquement, les effets de cette convergence mondiale. Ou choisir de l’accompagner, voire de l’accélérer – tel est ce qui différencie le conservatisme du réformisme. C’est également en ces termes que se posera le choix de société en 2017.

Nous pouvons le faire par la relance de la compétitivité du facteur travail, de l‘investissement et la troisième révolution industrielle. Le fil conducteur, c’est une réforme en profondeur de notre modèle contributif et fiscal. Ce virage doit être aussi radical que celui de 1945, en y intégrant l’Europe, l’écologie productive, la mobilité du capital, des compétences…

Déplacer 15 à 20 Md€ de contributions sociales du travail vers la consommation (1.5 à 2 points de TVA), libérer le travail (laisser chaque branche la possibilité d’en fixer la durée entre 35 et 39h), fusionner CDD et CDI en un contrat unique à droits progressifs, déplacer le contrôle de l’Etat, développer une vraie politique de mobilité et d’apprentissage… Il n’existe pas une mesure, unique et miraculeuse, pour relancer la société de progrès telle que nous ne l’avons plus connue depuis les trente glorieuses.  Mais bien un ensemble de mesures, fondant une « autre politique », globale, coordonnée et structurelle.

Rapports Attali, Lamy, Cour des Comptes : les pistes sont connues… Nous les regardons, dubitatifs et dilatoires, depuis plusieurs décennies. A défaut de réponse totalement adaptée à la mondialisation, cette « autre politique » permettrait à tout le moins de réduire l’écart de compétitivité avec nos voisins est-européens, parfois plus ravageur que la concurrence asiatique vers laquelle nous restons curieusement braqués.

Ne cherchons pas dans l’Europe la part de solutions qui se trouve chez nous. Mais ne croyons pas nous plus que nous pourrons conduire une « réforme à la française » à son terme sans une Europe forte, seule capable de relever des défis globaux et géopolitiques. Or, les deux prochaines années seront décisives.

Tout d’abord, parce que l’année 2017 sera une année d’élection en France et en Allemagne. Le duo qui en ressortira sera déterminant pour relancer ou non la locomotive européenne. Nous avons cruellement besoin d’un nouveau tandem Schmidt-Giscard d’Estaing ou Mitterrand-Kohl pour projeter l’Europe à 15 ou 20 ans.

Ensuite, les nouvelles euro-régions : elles auront à bâtir un projet qui sera scruté par le monde économique dans ce qu’il comportera ou non de synergies avec les orientations du Plan Juncker et d’Europe 2020. En clair : soit l’Europe parvient à prendre le leadership de nouveaux cycles technologiques (et en particuliers ceux de l’écologie productive), soit elle reste sur sa stratégie de « non choix » macro et micro-économiques, principale cause de la « croissance sans emplois » des années 2000. Puissent ces nouvelles euro-régions aider les Français à changer leur vision de l’Europe ! L’Europe ne peut se construire qu’à partir des dynamiques de territoires. Ce qui ne la fonde certainement à vouloir « écraser » ni même « uniformiser » ces derniers, bien au contraire…

Enfin en respectant ses engagements en matière de réduction de ses déficits, la France peut envoyer un signal fort vers ses partenaires : celui d’une nation capable de relancer, demain, des projets aussi ambitieux que concrets pour la sécurité et le bien-être des Européens telle la convergence sociale et fiscale, une réponse adaptée aux nouvelles menaces, la sécurisation des frontières externes…

 

Les Françaises et les Français ont largement cette capacité de  rebond

 

On le sait, l’année 2016 ne pourra être une année de grands chantiers, proximité de la présidentielle  oblige. Puisse-t-elle seulement constituer une année de transition !

Il n’est point de femme ou d’homme providentiel mais bien des leaders capables d’aider les peuples à prendre ou reprendre leur destin en main.

Avec une abstention supérieure à 50 % et 7 millions d’électeurs votant pour les extrêmes, la classe politique se heurte désormais à un défi de taille : convaincre. Or, la relance du contrat social, fiscal et écologique nécessitera un consensus minimal. Nous devons redonner de la force de débat et d’adhésion à notre nation.  Aussi, l’instauration de la proportionnelle apparaît-elle, en 2016, comme le premier acte du grand dessein réformateur de « l’après 2017 ».

La proportionnelle ne règlera pas tout, loin s’en faut ! Mais elle réenclenchera un processus politique dont notre société a cruellement besoin pour rebondir, économiquement et socialement. Les Françaises et les Français ont largement cette capacité de rebond. Ils en ont apporté la preuve, en 2015, face à la menace terroriste et pour montrer l’union nationale.

A 16 mois de l’échéance présidentielle, il n’est pas complètement trop tard.

 

 

Le Front Républicain, c’est la proportionnelle !

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La crise profonde que nous traversons démontre que vouloir éliminer un parti de la représentation national est une erreur.

Expérimentée timidement sous François Mitterrand, promise et ajournée à maintes reprises, l’instauration de la proportionnelle aux législatives constitue désormais la seule initiative capable de réconcilier les citoyens avec les institutions – et ce dès 2017.

Les détracteurs de la proportionnelle, bien que de moins en moins nombreux, opposent deux arguments : le danger du Front National (comme si celui-ci constituait la seule alternative) et le spectre d’un retour à la IVème république avec son lot de blocages et d’impasses.

Pour contrer le premier argument, l’évidence s’impose… 

Qu’on le veuille ou notre Vème république est passée du bipartisme à une sorte de quadripartisme triangulaire.

Quadripartisme – parce que la traditionnelle opposition gauche-droite doit désormais composer avec deux autres forces que sont le Front National et une abstention grandissante.

Triangulaire – parce que la lutte contre l’extrême droite ne peut désormais s’opérer qu’au prix du retrait de l’une des deux forces traditionnelles. Telle est la philosophie du « Front Républicain ». Hélas, cette capacité de ralliement se craquelle un peu plus à chaque élection et l’entre deux tour des dernières régionales conforte ce constat. Combien de temps encore les électeurs accepteront-ils la non représentation comme prix à payer pour la république ?

Bref, prôner le scrutin majoritaire comme « seul rempart » au FN devient un leurre dangereux. A force de refuser 60 à 80 députés frontistes à la proportionnelle, nous en aurons bientôt 300 au scrutin majoritaire dans les rangs de l’assemblée nationale.

Le second argument s’appuie, en apparence, sur un fondement historique… en apparence seulement…

 Prisonnière des alliances, la IVème république connut 20 gouvernements en 11 ans dont le plus long dura 16 mois et le plus court… 24 heures. Cette instabilité, qui ne résista pas aux coups de boutoir de la guerre d’Algérie, laisse aujourd’hui encore un souvenir crispant. Or, je prends le parti de penser que nous refusons de regarder l’ampleur de la crise sociale et politique que nous traversons : elle est au moins aussi grave que celle de 1958 qui fut fatale à cette même IVème république. La question n’est donc plus « comment prévenir le bocage » mais plutôt d’en « sortir » – car le blocage, nous y sommes !

Pour toutes ces raisons, je n’ai aucun doute que ce scrutin proportionnel s’imposera.

Rénover la Vème ou instaurer la VIème république, est-ce là finalement le véritable enjeu ?

La commission Jospin de 2013, dernière en date, promeut une sorte de « double scrutin » par lequel une majorité de députés resterait élue sur le mode de scrutin actuel (majoritaire) et une minorité à la proportionnelle, proposition voulue innovante mais en définitive complexe, sinon précaire. Car la constitutionnalité d’un tel hybride de scrutin a de quoi laisser perplexe. Comment légitimer une telle « cohabitation » d’élus, les uns rattachés à une circonscription et les autres… on ne sait pas bien à quoi ! Bref, on voit bien que tenter de « sauver les meubles de la Vème » avec un vernis de proportionnelle pourrait s’avérer être un remède pire que le mal..

Vers un scrutin de liste dans une circonscription euro-régionale ?

L’instauration du scrutin proportionnel plurinominal à un tour, comparable à celui des Européennes, reste probablement le plus simple à appréhender tant par les électeurs que par les partis. Nul doute que quelques ajustements seraient de nature à prévenir certains écueils. Par exemple, une prime de 10 à 25 % des sièges à la liste arrivée en tête aiderait à dégager plus facilement des majorités. Une alternative plus ambitieuse encore pourrait consister à minorer ou majorer cette prime en fonction du vote blanc qui se verrait ainsi mieux reconnu.

Enfin, une nouvelle cohérence territoriale s’impose. Le redécoupage des régions en marge de la loi NOTRE s’est opéré dans un mépris total des territoires – et nous l’avons, centristes, plus que dénoncé. Mais ces 13 nouvelles euro-régions sont là et il nous faut avancer ! Alors osons mettre en cohérence le périmètre géographique de ces dernières avec le périmètre électoral du scrutin des Régionales, des Législatives et des Européennes. Charge à chaque formation de constituer sa liste de façon à ce qu’elle soit la plus représentative des territoires… et à l’électeur de sanctionner favorablement ou défavorablement. On notera au passage que cette recomposition redonnera de la légitimité aux échelons proximité que sont les Conseils Départementaux, EPCI et métropoles.

Outre une meilleure lisibilité devant l’électeur, cette nouvelle circonscription permettrait de rapprocher les gouvernances régionale et nationale (à l’instar de ce qui est fait en Allemagne) et de promouvoir, enfin, les vraies stratégies nationales et euro-régionales qui font lourdement défaut à la France dans la mondialisation. Sur la base du nombre de députés actuel (cette réforme pourrait par ailleurs être l’occasion d’en diminuer le nombre), chaque région disposerait de 30 à 40 sièges à pourvoir.

Bref, on le voit le débat reste ouvert. Des réflexions matures peuvent nous permettre de tracer la difficile quadrature du cercle visant à éviter le retour à la IVème république tout en promouvant le pouvoir de réforme et de cohésion dont notre nation a cruellement besoin.

Le cas échéant, si le Front Républicain devait se mobiliser à nouveau (et nous savons que ce sera le cas), il le ferait à due représentativité de chacune des factions républicaines par un groupe majoritaire constitué à postériori de l’élection et pour la durée du mandat.

Le Front Républicain, c’est la proportionnelle ! Et cette proportionnelle, combat de haute lutte des centristes sous la Vème république, s’impose dès 2017 !

Défense européenne : 60 ans à rattraper en 5 ans…

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Il y a un peu plus de 60 ans, par une volte-face historique la France mettait un coup d’arrêt au projet ambitieux de Communauté Européenne de Défense qu’elle avait elle-même initié. Les efforts du président du Conseil Pierre Mendés France n’y firent rien : bien que pour des motifs différents, droite et gauche se rangèrent derrière cette improbable coalition.

Il faudra attendre près d’un demi-siècle et le traité de Maastricht pour que les Européens esquissent un nouveau projet commun en prenant soin d’en expurger toute idée d‘intégration (qui fut fatale à la CED) au profit d’un principe de coordination, plus consensuel car respectueux des souverainetés nationales. Tel fut le mandat donné à la Politique Européenne de Sécurité commune (PESC), puis de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD). Ce n’est qu’au début des années 2000 que furent lancées les premières opérations de gestion de crise en République Démocratique du Congo puis dans l’ancienne république yougoslave de Macédoine. Entre  2003 et 2013, l’Union européenne aura ainsi lancée 24 missions dont 17 opérations civiles et 7 opérations militaires sur 3 continents mobilisant environ 20 000 hommes.

En instaurant la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), le traité de Lisbonne marque une nouvelle étape mais pas franchement un virage. La création du poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (actuellement occupé par l’italienne Frederica Mogherini) tout comme la réaffirmation des coopérations renforcées peinent à masquer l’inadaptation de la politique de sécurité et de défense de l’Europe des années 90 et 2000 dans le monde de 2020 dont chacun mesure désormais la dangerosité.

Depuis l’après-guerre, et à chacune des étapes de la construction européenne, tout aura été mis en œuvre pour que la sécurité demeure la compétence des Etats. Comment s’étonner, dans ces conditions, que le partage d’informations sensibles obéisse encore à des coopérations bilatérales (bien que certaines fonctionnent mieux qu’on n’ait pu le dire) et non à une dynamique communautaire solide ? Cet étonnement s’est pourtant largement exprimé, au lendemain du 13 novembre, dans les propos de celles et ceux qui pendant longtemps ont défendu cette Europe de la « demi-mesure ».

 

 » L’Europe a fait bien plus qu’on ne le croit avec le peu de moyens qu’on lui a accordé « 

 

Oui – nous, Européens, avons pris un retard considérable, dans un monde qui a changé… sans finalement changer, car la pacification des relations internationales un temps espérée après la chute du mur de Berlin ne s’est jamais réellement produite. Depuis 1990, plus de 4 millions de personnes, principalement des civils, ont perdu la vie lors de conflits. En 2009 (soit avant le début des printemps arabes) plus de 40 millions de personnes ont été déplacées dans le monde contre leur gré. Est-il nécessaire de ré-évoquer la menace djihadiste à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières ? Les terroristes nous ont frappé là où ils nous savaient faibles : des « frappes obliques » depuis la Belgique jusqu’en France en passant par l’Allemagne ou la Grèce, précisément parce que conscients des limites de l’Intelligence européenne. Ce n’est donc certainement pas le moment de refermer nos frontières intérieures comme le revendiquent l’extrême droite ou les souverainistes… mais bien, au contraire, de les ouvrir « mieux » et plus vite, au profit d’un  « Schengen 2 », lui-même prolongé d’un « FBI Européen » doté de moyens et rendant compte devant le Parlement.

Oui – l’Europe a fait bien plus qu’on ne le croit… si on considère le peu de moyens et d’ambition qu’on lui a accordée. La politique de convergence a permis de donner la direction manquante aux politiques nationales. Les dépenses d’investissement et de recherche qui constituaient le principal talon d’Achille à l’époque de Maastricht ont sensiblement progressé (de 38 à 42 milliards d’euros entre 2006 et 2012). La diminution engagée des effectifs (moins 20 % au cours de la dernière décennie) marque également la transition vers une armée moins nombreuse mais mieux valorisée, équipée et formée. Restons néanmoins conscients que cette évolution prendra du temps (les dépenses de personnels représentent encore près de 50 % contre 30 % aux Etats-Unis), ce qui implique que nous puissions nous projeter au-delà de la décennie… et surtout de nous y atteler sans délai.

 

 » La bonne direction… mais pas le bon tempo « 

 

Si après la chute du mur de Berlin les Européens ont eu le courage de dépasser l’échec de la CED et de prendre la bonne direction, force est de constater qu’ils se sont lourdement trompés de tempo. Le refus opiniâtre de passer de la coordination à l’intégration a atteint ses limites. A commencer par le poids de la dépense militaire : avec un peu moins de 195 Md€ en 2012 (soit moins de 250 Md$), le cumul des budgets nationaux place la défense européenne certes loin devant nos partenaires chinois, russe, japonais ou indien (respectivement 166, 90, 59 et 46 Md$) mais également loin derrière les Etats-Unis (un peu plus de 600 Md$). Or, ce rang de « numéro 2 » mondial à priori enviable n’est toutefois qu’un « trompe l’œil ». L’absence de commandement intégré des forces armées européennes amène à en relativiser la portée opérationnelle. Malgré un effectif théorique de 1.6 millions d’hommes, l’Union Européenne dispose tout au plus d’une capacité de projection de 40 à 50.000 hommes, soit une opération de moyenne envergure comparable à la guerre d’Afghanistan des années 2000. En outre, cette capacité de projection reste encore très orientée vers des opérations humanitaires et de maintien de la paix, l’opérationnel défensif restant, là encore, assuré par les Etats.

Le fossé technologique qui n’a cessé de se creuser avec nos alliés constitue une autre source de préoccupation. Certes les Européens rattrapent peu à peu leur retard, mais à un rythme trop lent. En 2010, à peine 15 % de la dépense européenne était consacrée à l’acquisition d’armements nouveaux (soit près de 10 points de moins que les Etats-Unis). Parmi la vingtaine de porte-avions en service dans le monde la moitié sont américains, les autres grandes puissances n’en possèdent qu’un (la France, le Brésil, l’Espagne, la Russie). La Chine, quant à elle, devrait bientôt rejoindre ce cercle très fermé des puissances capables d’une permanence maritime… bref, nouvelle illustration d’un rebattage des cartes de la puissance mondiale au sein de laquelle l’Europe qui peut tout autant être considérée comme « en dedans » comme « en dehors » … selon que l’on appréhende globalement ou non sa capacité opérationnelle.

Or, dans un monde où les dépenses en matière de défense n’ont jamais été aussi élevées depuis la fin de la guerre froide (1776 Md$ en 2014 d’après le Stockholm International Peace Research Institute), la perspective d’un « rattrapage européen » soulève deux autres enjeux.

Tout d’abord, le coût : au regard des chiffres qui viennent d’être évoquées, il apparaît clairement que ne rien changer amènerait tôt ou tard les Européens à devoir opérer des arbitrages budgétaires douloureux entre la défense ou la société civile.

Ensuite l’administration même de ce financement : car les opérations de la PSDC continuent obéir à une logique Complexe et fluctuante.

Complexe – parce que la PSDC ne couvre qu’une part marginale des opérations (moins de 10 %) selon une clé de répartition définie en fonction du PIB des Etats, le solde demeurant à la charge exclusive des États engagés. De fait, avec un effort de défense atteignant respectivement 1,6% et 2,38% du PIB en 2014 la France et la Grande-Bretagne assurent la majeure partie des opérations de sécurité de l’Union et en supportent un coût d’autant plus important (contre 1,08% ou 0,78 % pour l’Allemagne ou l’Espagne). Or, la prise en compte de cet effort dans le périmètre des déficits publics au titre des objectifs de convergence constitue une question sensible qui a déjà largement empoisonné la relation entre la Commission et les Etats (voire celle des Etats entre eux). Nul doute qu’avec la recrudescence du risque, elle constituera tôt ou tard une impasse politique et budgétaire.

Fluctuante – parce que le budget de la PSDC varie de 1 à 5 d’une année à l’autre (156M€ en 2008 contre 29M€ en 2012). Comment promouvoir une vision suffisamment opérationnelle et de long terme ? Notons enfin que 0.1 % de mutualisation des dépenses de sécurité permettraient de tripler les moyens alloués à FRONTEX (à peine une centaine de millions d’euros par an), bien que là encore poser la question des moyens en dehors de la création d’une police des extérieures de l’Union n’ait que peu d’intérêt en soi.

 

 » Un nouveau traité d’intégration de l’Union s’impose « 

 

Chacun des observateurs que nous sommes devons rester vigilants à ne pas récupérer la souffrance des familles qui ont été meurtries par les attentats de Paris au nom de la défense de telle ou telle vision politique – et j’espère le faire comme il se doit.

Mais il n’en demeure pas moins la réalité d’un évènement qui, vraisemblablement, marquera nos mémoires et l’Histoire. Comme tout fait historique, celui-ci nous éclaire (ou doit nous éclairer) sur la réalité du monde. A travers les attentats du 13 novembre, une génération « Bataclan » s’est révélée devant l’opinion. Plus cosmopolite, plus connectée, plus mobile, celle-ci, par raison ou par conviction, sera beaucoup plus européenne que d’autres ne l’ont été avant elle.

La question que nous devons nous poser est de savoir si les attentats de Paris nous ont aidé ou non à comprendre un mouvement qui s’est engagé et perdurera ;  si nous, Français, Allemands, Espagnols, Belges, Italiens, Britanniques nous sentons exposés non en tant que « nationaux » mais bien en tant qu’héritiers et défenseurs d’un modèle lui-même fondé sur des valeurs supérieures de paix, de démocratie, de progrès… Alors si tel est le cas, nous devons accepter le changement et mandater nos gouvernants dans ce sens : un nouveau traité d’intégration de sécurité et de défense de l’Union s’impose, prélude à une nouvelle constitution européenne.

Quinze ans après le traité de Saint-Malo, l’axe franco-britannique, élargi à un axe Paris-Londres-Berlin, doit probablement constituer le moteur. Seules puissances nucléaires, France et Grande Bretagne devront s’interroger sur l’opportunité d’une dissuasion commune au service de l’Union. Le point d’orgue reste évidemment la création d’un Etat-Major et un commandement unique qui conduira, inévitablement, à réinterroger les prérogatives du Parlement et du Président du Conseil, élevé au rang de « chef des armées de l’Union ».

Indirectement, une Europe géopolitiquement mature débouchera vers une autre évidence qu’il deviendra alors urgent de traiter : la rénovation de la gouvernance mondiale, encore (très) majoritairement héritée de l’après-guerre. A plus long terme, l’évolution vers un droit de veto européen unique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, à priori dans le cadre d’une réforme plus large de l’institution, semble incontournable – réflexion qui mériterait d’être élargie au FMI et à la Banque Mondiale, car la lutte contre le terrorisme ne pourra se faire sans une lutte acharnée contre le maldeveloppement.

Enfin, l’Europe de la défense ne peut être pensée en dehors de l’Europe de la diplomatie. Avec 162 ambassades, 4 antennes diplomatiques, 98 consulats, 130 sections consulaires et plus de 500 consulats honoraires, la France dispose de la représentation diplomatique la plus importante au monde derrière celle des Etats-Unis : ce qui lui confère de sérieux arguments pour emmener, demain, cette nouvelle diplomatie européenne. Nos ambassades auraient tout à fait vocation à assurer une représentation européenne  là où d’autres partenaires n’en disposent pas. A moyen terme, la substitution des représentations nationales par des ambassades et consulats des 28 apparaît comme le socle incontournable d’une Europe politique reconnue et respectée comme telle dans le monde, une Europe capable de défendre les intérêts de ses ressortissants lorsqu’ils s’exposent à une justice moins équitable ou irrespectueuse des droits fondamentaux.

 

 » Ce n’est pas la France qui change, c’est le monde  » 

 

Voilà ce qui nous attend, ou plus exactement voilà la seule alternative crédible pour les citoyens européens que nous sommes dans une mondialisation qui n’est pas, loin s’en faut, que financière. Ne pas dire la vérité ou la dire du bout des lèvres ne pourra qu’aboutir à un énième échec qui, cette fois, pourrait être fatal à la construction européenne.

Je suis évidemment conscient que cette perspective peut laisser perplexe. Nous restons les uns et les autres attachés à autant de repères constitutifs d’une « certaine image de la France » et que nous craignons de perdre. Pour autant, comme beaucoup,  je suis mal à l’aise face à une France qui reste dans l’ambivalence : consciente d’être trop petite pour demeurer une puissance globale et à la fois trop grande, trop forte, trop riche pour se résigner à devenir une puissance modeste – il est d’ailleurs probable que ce malaise ait contribué à une partie de nos blocages sociaux et économiques passés, sources d’autant de thèses déclinistes, au repli, au communautarisme.

Je reste surpris que celles et ceux qui, de droite comme de gauche revendiquent une « France fière »,  ne sachent encore regarder l’intégration diplomatique et militaire non comme le énième signe d’un déclin mais… au contraire l’évidence d’un rebond.

La France pour rester demain la France doit pouvoir se réinventer à travers l’Europe : une Europe résolument fédérale et souveraine, à la centrée sur ses identités et tournée vers le monde ; une Europe par laquelle la France continuera de porter plus haut et plus fort ses idéaux démocratiques et universalistes hérités du siècle des lumières. C’est précisément ce qu’elle a su faire depuis la Révolution, à chaque étape de son Histoire contemporaine. Bref, ce n’est pas la France qui change, c’est le monde ! Accepter cette évidence est-il réellement plus attentatoire à notre souveraineté que l’acceptation tacite de l’érosion des moyens alloués à notre diplomatie tels que les tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, l’ont consenti depuis plus de trente ans ?

Nous portons une responsabilité, Français, dans ce qui a été accompli comme dans ce qui ne l’a pas été en matière de sécurité, de diplomatie et de défense européenne. Si nous prenons conscience que l’Europe forte s’impose dans un monde géopolitiquement plus complexe et dangereux, gageons qu’un signal fort doit provenir de là même où il s’était éteint soixante ans plus tôt. A ce titre, j’en appelle solennellement à la relance d’un « processus de Paris ».