Europe : l’autre guerre “à bas bruit”   

Il ne sera probablement pas inutile de rappeler durant la campagne des Européennes qui s’ouvre combien les décisions qui régissent le quotidien des Français, mauvaises ou bonnes, sont des décisions prises souverainement. Même quand il s’agit de compétences partagées avec l’Europe. Nous donnons délégation à des représentants (à priori français) pour débattre et voter les règlements européens, puis nous les retranscrivons dans notre droit national avec la (large) souplesse permise par les traités. Si la France est malade de sa bureaucratie, ce n’est pas la faute de l’Europe.     

En réalité, l’Europe dispose de peu de compétences propres, et c’est bien ainsi ! Car le défi de l’Europe n’est pas d’en faire plus mais d’en faire mieux sur l’essentiel de ce pour quoi les États lui ont prêté mandat : nous protéger. Nous protéger dans un monde où en quarante ans à peine la richesse produite a été multipliée par 4, le  commerce international par 8, sans parler du décrochage continu entre l’économie réelle et la finance, demain plus fragilisé encore par des émissions monétaires échappant aux États. Nous protéger dans un monde où des puissances, globales ou régionales, nouvelles ou anciennes, regardent la démocratie comme une menace – même quand elle s’applique chez leurs voisins. Nous protéger dans un monde où la souveraineté et la lutte contre la loi du plus fort doivent continuellement être réajustées – la maîtrise de l’énergie, des algorithmes, des flux migratoires, le contournement du droit international.

Ce mandat de protection, nous pouvons le dénoncer et à tout moment sans avoir à en payer le prix des armes et du sang. Combien de démocraties dans le monde peuvent-elles en dire autant ? Cela n’a rien de théorique. Les Britanniques l’ont fait en 2016 (ils sont 60 % à vouloir faire machine arrière 7 ans plus tard).   

Mais les faits sont têtus. L’Histoire aussi. Face à une Europe qui ne plie pas, ni devant les coups de boutoir du Brexit, ni devant la mondialisation dérégulée, ni devant la cancel culture, ni devant Vladimir Poutine, les antilibéraux se voient contraints de changer leur fusil d’épaule. C’est ainsi que le Frexit et l’abandon de l’euro, bien trop repoussoirs devant un électorat indécis, ont laissé place à « La France d’abord, l’Europe ensuite », bien dans l’esprit de l’ « America First » de Donald Trump. Il n’en demeure pas moins qu’une tromperie, même bien emballée restera toujours une tromperie. 

“Un pied dedans, un pied dehors”, donc. Et bien soit ! Que les antilibéraux aillent expliquer aux retraités et aux fonctionnaires comment ils comptent s’y prendre pour lever, chaque jour, l’équivalent du budget annuel de la Justice pour « boucler » le paiement de 500 MD€ de revenus de transfert ! Qu’ils aillent expliquer aux salariés de l’acier, du ciment, de l’aluminium ou de l’hydrogène comment ils comptent maintenir la taxe carbone aux frontières de l’UE avec un bouclier fissuré ! Qu’ils n’oublient pas non plus d’expliquer aux petites gens et aux classes que l’Europe avec laquelle il leur est proposé de distendre le lien est, aujourd’hui, l’Europe qui leur garantirait jusqu’au dernier euro leur épargne (jusque 100 000 €) si d’aventure leur banque devait faire faillite.

“Un pied dehors” ? Que les antilibéraux aillent expliquer aux agriculteurs français que dénoncer des traités de libre-échange dont la balance commerciale est excédentaire leur permettra de vivre mieux !

“Un pied dedans” ? Que les antilibéraux aillent expliquer aux entrepreneurs et aux salariés de production comment ils s’y prendront pour convaincre nos partenaires (principalement à l’est) de demeurer dans les négociations d’un salaire minimal européen si nous nous autoriserons, Français, sans préavis, de mettre « un pied dehors » de la PAC, des fonds structurels ou de la défense européenne ! 

Que les antilibéraux n’hésitent pas non plus par faire un crochet par les sinistrés des incendies dans les territoires méditerranéens et par les sinistrés des inondations dans les Watringues. Nul doute qu’ils y rencontreront des concitoyens convaincus des vertus du « un pied dedans, un pied dehors », plus que de l’urgence à renforcer la protection civile européenne ou le Fond de Transition Juste.

De toute évidence, la guerre qui fait rage aux frontières de l’Europe devra être le cœur de l’élection. Par leur soutien à la souveraineté de l’Ukraine, les démocraties européennes jouent leur survie et le projet européen sa raison d’être. Mais la tragédie du monde suffit elle à faire une élection ? Méfions nous d’une pensée libérale qui se résignerait à n’avoir que pour seul horizon la résistance en faisant le deuil de la politique. Ce piège se refermerait de façon d’autant plus redoutable qu’il laisserait un front libre aux illibéraux de l’extrême droite et de l’extrême gauche pour mener l’autre guerre, “à bas bruit”, contre la société. Celle qui consiste à capitaliser les frustrations, les colères, une par une. Et à rendre n’importe quelle ineptie à peine moins audible que le bon sens. Il n’en faut pas plus pour porter le populisme au pouvoir.

La situation politique dans laquelle l’Europe se trouve aujourd’hui n’est pas sans rappeler, toute proportion gardée, celle de l’Amérique au sortir de la seconde guerre mondiale. Les mémoires du président Harry Truman sont riches d’enseignements.

Bien moins charismatique que son illustre prédécesseur, arrivé au pouvoir presque par accident, ce petit homme frêle du Missouri, gérant d’une quincaillerie, peu à l’aise avec les discours, changea radicalement le destin de l’Amérique dans le 20ème siècle. Face à une opinion démobilisée par cinq années de conflit et une droite dure très isolationniste, contre l’avis de ses conseillers Truman comprit qu’il ne parviendrait pas à confronter ses concitoyens au nouvel ordre mondial naissant si ce dernier devenait sacrificiel des revendications des ouvriers des usines de Ford, de l’appel au secours des fermiers du Middle-West, du combat pour les droits civiques…

Nos démocraties sont ainsi faites. On ne mène aucun combat, si l’on commence par perdre les batailles morales.

    

Ce qui doit être grave, ce n’est pas d’être au RSA, mais de ne pas en sortir !

Les effets d’estrades sont le propre des campagnes électorales. « Macron veut mettre les pauvres au travail », « Etre pauvre devient une infraction »,  « Une violence inouïe » – voici quelques réactions des candidats opposant au candidat Macron, immédiatement après qu’il ait annoncé son programme pour la présidentielle, et en particulier sur la question du RSA.

Comme dans tout bon exercice de sciences sociales, commençons par reposer un contexte. Plus de 40  % des allocataires du RSA le sont depuis plus de cinq ans. En 2018, quand fut lancée la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, près d’un allocataire sur deux entrant dans le RSA sortait d’un dispositif de Pôle Emploi. Ce qui veut dire que la société française s’est longtemps accommodée d’une situation par laquelle on laissait entrer dans un minima social : soit des personnes n’ayant eu aucune ou peu activité (à fortiori plutôt jeunes, pas ou peu qualifiées), soit des personnes quittant une activité mais sans débouché à l’issue de douze ou dix-huit mois de droits ouverts aux politiques « normatives » de l’emploi. Si ce n’est pas ça la « violence sociale », qu’est-ce alors ?

Qu’une partie de l’opposition s’échine à faire passer le candidat Macron pour un thatchériste quand sa présidence fut l’une des plus redistributives sous la Vème république, dans un pays où les inégalités sont parmi les plus contenues au monde, est une chose. Que cette même opposition s’évertue à laisser croire que le rétablissement de 3 Md€ d’ISF permettrait d’engager 100 Md€ de dépenses nouvelles, aussi  (retraite à 60 ans, suppression des taxes sur les carburants…). On est toutefois en droit d’être surpris devant autant d’ire, réelle ou feinte, et, pour tout dire, surpris devant autant d’approximation, qui plus est de la part de candidats réclamant à cor et à cri « plus de débat ».   

Les candidats opposant à Emmanuel Macron découvrent ils vraiment que le « RSA contre bénévolat » (ou activité) … existe depuis 4 ans ? (même s’il est vrai que son déploiement varie d’un département à un autre). Ce dispositif prend la forme d’un accompagnement social + emploi innovant et très renforcé, fondé sur une reprise d’activité, elle-même assurée par un opérateur de l’insertion, une collectivité, ou via un emploi aidé. Ce « RSA contre bénévolat » (ou activité) porte un nom : la garantie d’activité. Elle est cofinancée par les Conseils départementaux, les Pôle Emploi, les CAF, l’Europe (via les fonds REACT EU) et par l’Etat.

Les candidats à la présidentielle, qui s’avèrent également être des maires, des conseillers départementaux ou régionaux, des députés, ignorent ils réellement tout de la fracture entre le social et l’économique ? Et le fait que, si elle n’obère pas fondamentalement la recherche d’emploi d’une majorité de demandeurs, elle constitue en revanche l’angle mort de l’insertion pour des chômeurs de longue durée ou des jeunes ? N’y a t-il pas, dans les territoires qu’administrent ces élus, des autoécoles sociales, des CCAS, des associations d’aide alimentaire ?

Chaque RSA versé « coûte » chaque année à la collectivité autant qu’un allègement de charges Fillon (1.6 SMIC), et en réalité plus si l’on y réintègre les coûts externes de l’accompagnement social. Il est évident qu’il y a là un sujet « d’activation » de la dépense sociale au bénéfice de l’économie réelle, plus encore quand dans une période où les tensions de recrutement sont, pour partie, liées à des salaires trop peu revalorisés. Mais imaginer que des concitoyens fragilisés par une longue période d’inactivité (souvent doublée d’un niveau de qualification insuffisant et de freins périphériques) puissent s’intégrer au monde de l’entreprise sans un minimum de « sas » traduit une méconnaissance des facteurs de compétitivité comme des séquelles psychosociales liées à l’exclusion. N’est-ce pas finalement aussi un peu cela… la « stigmatisation » ?  

Quelques heures passées régulièrement dans une association, une collectivité, ou à la découverte d’un métier, c’est enfin passer des dispositifs sociaux à l’action sociale : renouer avec du collectif, retrouver un réseau (le collègue qui va relire un CV, l’offre d’emploi dont on va avoir connaissance par le bouche à oreille), faire mûrir un projet professionnel. Bref, prendre le temps de l’insertion. Faut-il revenir sur des décennies d’orientation « à l’aveugle » vers des formations bidons « parce qu’il y a de la place » indépendamment des compétences des candidats, des besoins, des réalités du marché…

Bien sûr que nous devons nous montrer vigilants à ce que cette rénovation du Contrat Social s’opère en conformité du droit (européen, comme celui du Code du travail) et de l’éthique. Telle sera la tâche des oppositions et des différentes sensibilités qui composeront la majorité si Emmanuel Macron est réélu, et si les Français acceptent de la lui donner. Mais laisser planer le doute, quand on est un responsable politique, sur le fait que le projet pourrait être celui de transformer des bataillons d’allocataires en main d’œuvre servile jette le mépris sur un tissu associatif particulièrement engagé (porteur de l’insertion par l’activité économique, des territoires zéro chômeur de longue durée), sur des élus refusant la misère, et sur des travailleurs sociaux qui accomplissent une tâche difficile. Pire encore, cela contribue à invisibiliser encore un peu plus les principaux intéressés eux-mêmes, les allocataires.

En matière d’insertion comme ailleurs, il n’existe pas de baguette magique. Pourtant, les faits sont têtus. Dans les départements où le « RSA contre bénévolat/activité » a été le plus massivement déployé, outre la diminution du nombre de demandeurs d’emploi et du nombre d’allocataires du RSA (souvent à des niveaux inférieurs à ceux de 2010), on constate surtout l’inversion du nombre d’allocataires longs (plus de 5 ans). Ce qui n’était pas arrivé depuis la création du RMI… en 1989. L’analyse des faits et la gravité de la question ne méritent elles pas, parfois, de mettre un peu les idéologies de côté ?

Les allocataires des minima sociaux ne sont pas une statistique, ils sont des personnes. Puissions nous nous en souvenir tout au long de cette campagne – et après.     

Salaires, pouvoir d’achat, présidentielle : le grand flou…

N’en déplaise à une partie de la droite qui tente d’emmener la présidentielle vers des thèmes sécuritaires, la question du pouvoir d’achat, et celle des salaires en particulier, sera centrale.

Entre 1996 et 2018 les salaires ont augmenté d’un peu plus de 13%. De quoi renvoyer dos à dos économistes et déclinistes, chacun détenant une part de vérité. Oui, les Français gagnent mieux leur vie qu’ils ne la gagnaient vingt ans auparavant (car la mesure de l’Insee s’entend en « euro constant », c’est-à-dire corrigée de l’inflation). Et Non, cet « enrichissement moyen » n’est pas synonyme d’un « enrichissement général ». Cette progression est la moins dynamique de l’après-guerre ; et les cadres, dont le nombre a continué d’augmenter, alimentent la plus forte hausse en volume. L’augmentation des dépenses contraintes (en particulier la hausse de l’immobilier), bien qu’elle ne soit directement liée aux salaires, ne saurait être sortie d’une équation générale, ne serait-ce parce qu’elle a grandement obéré la mobilité.   

Alors, à qui la faute (plus exactement « à quoi ») ? 

Aux 35 heures ? Pour partie oui, dans la mesure où celles-ci se sont accompagnées d’une modération salariale destinée à en absorber le coût. Mais près d’une demi-douzaine d’aménagements plus tard, elles ne sauraient constituer l’unique explication.

Faut-il incriminer les charges sociales ? C’est l’antienne des candidats en campagne. Mais c’est un point de vue discutable depuis la pérennisation des aides « Fillon » (jusqu’à 1.6 SMIC), du CICE. Si l’impact  sur l’emploi n’est plus à démontrer (par définition pour augmenter un salaire, encore faut-il en avoir un…), on voit aussi que ce sont ces échelles de salaires qui supportent plus fortement la modération. De quoi mettre à mal la théorie d’une automaticité entre  baisse de charges et hausse de salaire, entonnée par la droite dans cette précampagne. L’une des raisons étant que la baisse de charges se heurte à des effets de seuil, et les relever ne fait qu’en déporter les effets. Enfin, le coût sur les finances publiques enterre définitivement l’hypothèse d’une généralisation. Augmenter de 10 % le salaire de 12 millions de salariés touchant moins de 3.000 € mensuels, comme le propose la candidate Pécresse, réclamerait la compensation par l’Etat de l’ordre de 30 à 40 MD€, soit l’équivalent d’un confinement tous les ans au titre de l’activité partielle ! Pour quelqu’un qui trouve que « Macron a cramé la caisse »… Bref, disons le, et sauf à ce qu’elle s’accompagne d’une réduction drastique de notre modèle social (ce qui soulèverait d’autres problèmes), la baisse de charges, patronales comme salariales, ne peut être un levier durale de la politique des salaires. De ce point de vue, la réforme des impôts de production engagée par la mandature sortante s’avère être un choix bien plus cohérent – pour l’emploi comme pour la rémunération.

Retournons le problème comme on le voudra, nous n’augmenterons pas les salaires en France si nous ne créons pas plus de valeur ajoutée ! L’ensemble des mesures prises sous le quinquennat Macron renoue avec les fondamentaux – la réinstallation d’un Haut-Commissariat au plan, France 2030, une politique d’insertion fondée sur la formation (que ce soit au titre de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ou de l’apprentissage), la sortie du capital productif de l’ISF (transformé en IFI). Mais cette politique structurelle, qui a déjà des effets sur les volumes d’emplois, ne produira pleinement ses effets sur la valeur ajoutée (et à fortiori sur les salaires) qu’à l’issue d’un cycle de production – entre 2 et 5 ans. A condition bien sûr que le cap soit maintenu, voire amplifié, et certainement pas inversé. Qui peut croire que l’on puisse venir à bout de quarante ans de renoncements en cinq ans, en réduisant toutes les fractures ? L’électorat d’Emmanuel Macron en est convaincu. Mais la théorie du « temps long » n’est pas une réponse politique. La caissière de supermarché, l’aide-soignante en EHPAD, le cariste, vers lesquels les projecteurs ont été braqués pendant la crise sanitaire avant qu’ils ne retombent dans l’oubli, n’ont pas le temps d’attendre. On veut bien croire en demain, mais on vit aujourd’hui.      

Nous devons tirer les enseignements de cette période, d’une France qui tend à se redresser durablement mais qui peine à redistribuer en dehors de l’interventionnisme public (notamment la prime d’activité et le chèque énergie). Elle met en évidence deux difficultés qui échappent aux saillies programmatiques des candidats en lice.  

La première de ces difficultés réside dans l’individualisation des modes de redistribution qui s’est imposé au détriment de négociations plus conventionnelles et collectives. Ce n’est pas une mauvaise chose dans la mesure où cela permet de mieux rémunérer les talents et promeut un capitalisme rhénan (notamment à travers la participation et l’intéressement), largement préférable au capitalisme financier. Mais le corps social moins spécialisé, et généralement plus exposé à la compétition mondiale, n’y trouve pas la même aisance que les cadres. Quand on navigue autour du SMIC, on préfère aller voir son banquier avec une rémunération linéaire plutôt qu’avec une prime ! De ce point de vue, la proposition de l’extrême droite de déplafonner quasi sans limite la rémunération accessoire (soit dit en passant guère plus finançable que la baisse de charges patronales évoquée ci-dessus), en accentuant encore ce mouvement de perte de valeur faciale des salaires, serait un probable enfer pour la « France qui se lève tôt » et qu’elle dit paradoxalement défendre.        

La seconde difficulté réside dans l’atonie du dialogue social. Où sont les partenaires sociaux ? Econduits pendant la crise des gilets jaunes (autant que la classe politique), en retrait pendant la crise sanitaire, les corps intermédiaires se sont mués dans un silence assourdissant, y compris face au phénomène de pénurie de main d’œuvre (qui est pour partie une accélération de la crise des conditions de travail). Le fait est que l’effondrement de la représentativité syndicale a été, dans notre pays, le plus spectaculaire en Europe – aujourd’hui à peine 10 % des salariés, par ailleurs disproportionnellement présents dans le secteur public et parapublic. Or, si l’est exigible de la classe politique qu’elle veille à créer les conditions de la croissance, ce n’est pas cette dernière qui prend des risques, produit et redistribue – c’est bien l’entreprise !

Certes, le constat n’est pas nouveau. Mais il est à craindre que les idées pour relancer le dialogue social soient les grandes absentes du débat de la présidentielle. Ce serait un tort. Car l’expérience des derniers mois montre combien retendre la courroie de transmission entre l’économique et social constitue un prérequis à la relance durable du pays, au moins autant que le concours de volontarisme macroéconomique auquel s’adonnent les candidats.

Et finalement, Valérie Pécresse.

Les militants du parti “Les Républicains” ont fait leur choix : ce sera Valérie Pécresse, dont il se dit qu’elle inquiéterait plus “la Macronie” parce que moins clivante que certains (désormais ex) candidats putatifs de la droite.

L’histoire dira (plus exactement les électeurs diront) si le président sortant, qui est parvenu à préserver un demi million de nos concitoyens de la pauvreté devant la crise sanitaire ; qui est parvenu à infléchir la pensée unique du capitalisme financier au profit du capitalisme plus rhénan des trente glorieuses ; qui est parvenu à remettre l’investissement au cœur de l’école, au cœur des compétences et de la production, avec une vision à dix ou vingt ans ; qui est en passe de faire de l’apprentissage la voie d’entrée d’excellence dans la vie active ; qui a redonné à la France un leadership politique en Europe ; bref, l’histoire dira si ce président sortant là, bientôt candidat, avait des raisons d’être inquiété. Cela s’appelle porte un nom : la démocratie.     

Il faut doublement saluer le choix de Valérie Pécresse qui, à défaut de solutionner franchement la question du manque de “leadership naturel” au sein du parti Les Républicains, a le mérite de tenter d’endiguer la radicalisation dont celui-ci a été le spectacle depuis plusieurs années. Puisse ce choix interne des militants aider à sauver la Présidentielle du danger de bipolarisation « progressistes Vs bloc des radicalités ». Car il serait un angle mort, catastrophique en termes d’abstention.        

Ainsi la Présidentielle 2022 comptera, à minima, deux candidatures animées par la pensée libérale, et cela fait du bien ! Du bien aux idées. Du bien au débat. Du bien à la démocratie…

Mais ce sont aussi deux candidatures opposées dans leur lecture économique du libéralisme politique.  

Le premier, Emmanuel Macron, est un social libéral, soucieux de placer l’expression de cette liberté économique dans le cadre des organisations sociales pour en prévenir les dérives et contenir les inégalités, promouvoir l’universalisme (qui est le substrat de la République française) et promouvoir l’égalité des chances (qui a été et reste le défi). On pourra toujours discuter la nuance, débattre de ce qui a été accompli ou pas, critiquer le style. Mais presque cinq années de bilan laissent peu de doutes sur cet ADN politique.

La seconde, Valérie Pécresse, se revendique de Thatcher et de Merkel. Deux références éminentes, mais quelque peu audacieuses, si l’on y réfléchit, dans le logiciel de cohésion économique et sociale “à la française”. A vrai dire, il s’agit de références plutôt curieuses pour qui ambitionne de parler non plus aux seuls militants de droite (0.25 % du corps électoral) mais bien à 40 millions de Français. Demain, une autre campagne commence…

Il sera temps, pendant la campagne, d’expliquer aux “moins de 2000 € par mois” (seuil des ménages qui a beaucoup fait débat ces dernières semaines et pourtant déjà supérieur au revenu médian) les conséquences d’une décennie du “there is no alternative” outre-manche dans le quotidien des Britanniques, à des années lumières du “quoi qu’il en coûte” (et avec un poids de la dette public aujourd’hui à peine moins lourd outre-manche).

De la même façon, les dernières élections en Allemagne (où, pour mémoire, le successeur désigné d’Angela Merkel n’a pas été élu) ont été l’occasion pour les Français de regarder un peu plus entre les lignes de l’insolente santé économique outre-rhin. Un endettement certes moindre mais au prix d’un déficit d’investissement public y constitue désormais le défi d’un pays vieillissant. Tôt ou tard, l’Allemagne devra réfléchir à son “France stratégie”. La politique française, avec effets leviers prometteurs en matière d’insertion et d’accompagnement de la transition, n’y suscite plus le même dédain que naguère, y compris des les milieux économiques…

Bref, l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, à condition de penser à entretenir son propre jardin. Certes, les références off shore sont toujours bienvenue pour enrichir un logiciel politique, mais il faudra bien rapidement s’atteler à parler aux Français des Français, substituer le quotidien aux slogans, et chasser les images d’Epinal pour dire ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas – et surtout à quel prix.      

Valérie Pécresse est probablement sincère quand elle réclame la suppression de 200 000 fonctionnaires. Dommage que les quatre débats de la primaire aient à ce point occulté une réalité qui pourrait désormais empoisonner la dialectique de campagne des Républicains jusqu’à la veille du premier tour. C’est un fait, sauf à vouloir affaiblir un peu plus le Régalien à un moment où les Français aspirent à mieux de Police, mieux de Justice, mieux d’Etat, les marges de manœuvres théoriques d’une telle politique ne se situent qu’à deux endroits. Soit dans les collectivités territoriales, que l’on ne peut légalement forcer à supprimer des postes, sauf bien-sûr à engager avec ces dernières un rapport de force inédit sous la Vème république. Soit dans la fonction publique hospitalière, dont les derniers mois de crise ont montré combien ce secteur public était plus confronté à un défi de transformation et d’attractivité que d’amaigrissement (sauf pour son administration). 

Le plus dur commence, donc, pour Valérie Pécresse, pour faire accepter son programme de la “hache” à l’ensemble des sensibilités de droite (en particulier parmi les franges plus sociale ou bonapartiste) ; mais surtout pour le rendre crédible des Français, et ce à une époque où presque partout dans le monde tous les libéraux, sans exception, ont tourné le dos à l’ultra-libéralisme, principale cause d’assèchement démocratique, politique et social. 

Pendant ce temps, le “libéral Macron” avance… Sans opposer l’économique et le social, mais bien en libérant la création de richesse au service d’une société globale. Sans copier ni importer aucun modèle, mais bien en inventant son propre modèle, avec les forces pragmatiques de droite, avec les forces pragmatiques de gauche – dans un mouvement central pour la France et les Français.      

Qui a peur de la « grande sécu » ?

Chaque année, notre pays consacre quelque 250 Md€ à sa santé (11% du PIB), soit l’équivalent de la plupart de nos  voisins, corrigé de différences structurelles.

Le système français a cette première particularité de socialiser à un haut niveau l’exercice d’une médecine libérale, puisque praticiens et patients sont (presque) libres de s’y rencontrer. Les Français sont attachés à cette gouvernance, différente du modèle économique, principes que le projet de “grande sécurité sociale” n’a pas vocation à modifier. La comparaison avec le NHS britannique avancée par certains ne trouve donc aucune justification. Rappelons au passage que ce dernier est financé par l’impôt (d’où son étatisation) contrairement à l’assurance maladie, très largement financée par les cotisations sociales.

Car c’est l’autre particularité du système français : son modèle économique. Il se fonde sur la gestion un double risque. L’un mutualisé, où chacun contribue à la hauteur de ses moyens ; l’autre assurantiel, où chacun contribue à la hauteur de son risque individuel. L’un reposant sur le secteur public (le régime général de la sécurité sociale) ; l’autre le secteur privé (quelque 600 opérateurs dit de “complémentaire santé”). L’un assurant les 8/10ème du financement global avec des coûts de fonctionnement inférieurs à 5 % ; l’autre finançant un peu plus du 1/10ème restant avec des coûts de gestion cinq à six fois supérieurs. L’un, encadré par l’ONDAM (il est vrai pas toujours en équilibre) ; l’autre, contraint par des règles fiscales et comptables plus strictes ; mais qui ne sauraient justifier le quasi doublement des franchises subies par les assurés depuis une quinzaine d’années (en moyenne 5% par an), non sans que ces acteurs assurantiels n’engrangent des profits conséquents que le Législateur peine à encadrer. Notons enfin que le secteur mutualiste, longtemps structurant, marque le pas au profit du secteur lucratif.  

En soi, la coexistence de ces deux secteurs, public et privé, ne fait pas débat. La difficulté repose sur le fait que le second (le secteur privé assurantiel) soit devenu, au fil des ans, la planche fragile sinon en matière d’ « accès » plutôt dans la « continuité » de soins. S’il est vrai que la part de ménages dépourvus d’une complémentaire santé est en recul constant (environ 5 % en 2020), ce n’est pas sans en avoir démultiplié les dispositifs d’exception (CMU-C, ACS, CSS), sources de complexité et, en définitive, souvent synonymes de ruptures à un moment ou à un autre du parcours des usagers les plus fragiles. Le taux d’effort des ménages est l’autre facette d’un problème plus profond, dès lors qu’il conduit à des couvertures moins performantes ou au prix d’autres privations, et ce dans un contexte d’alourdissement de nombreuses autres dépenses contraintes pesant fortement sur le pouvoir d’achat de ces ménages. Bref, le reste à charge “facial” pour l’usager a beau être l’un des plus bas au monde (moins de 7 %), quand on remet l’exercice à plat il s’avère qu’un bon quart des Français sont en fragilité pour accomplir le dernier kilomètre du 100 % santé. Or, comme chacun le sait, cette situation n’ira pas en s’améliorant compte tenu du vieillissement ou de l’augmentation du nombre de travailleurs indépendants.       

Le système idéal n’existe pas. Et il n’est pas dit que la réintégration de 15 à 20 Md€ de dépenses des organismes assurantiels privés vers le régime général ne déplacera pas le plafond de verre ailleurs et autrement. Les sceptiques ont raison d’interroger un risque de santé “à deux vitesses”… sauf à dire qu’il serait déjà une réduction des inégalités bienvenue dans un système qui compte désormais autant de vitesses que de catégories.

Le transfert de charges est, bien-sûr, LA question centrale. A somme nulle sur le papier, et même pourvoyeuse d’économies d’échelle (par la rationalisation de coûts de gestion démesurés du secteur assurantiel privé), en réalité cette question du transfert de charges contributives sera d’une redoutable complexité sur le plan du dialogue social comme sur un plan politique, et ce alors que le renchérissement du coût du travail n’est pas le bienvenu. Restons, en outre, humbles sur la notion “d’économies”… D’abord parce que ces économies d’échelle ne sont pas le fort des fusions à la française, il faut bien le reconnaître. Ensuite, parce que notre santé présente suffisamment de chantiers en souffrance, depuis la crise de l’hôpital public jusqu’aux besoins de la télémédecine en passant par la rénovation de la santé mentale, la lutte contre les déserts médicaux ou encore une meilleure couverture des dispositifs médicaux, pour que ces économies d’échelle soient intégralement remises au pot commun de l’offre et au chevet du patient. Il n’empêche que 3 à 8 Md€, selon les différents scénarii, pourraient être dégagés, soit presque l’équivalent d’un second Ségur tous les ans ! Encore faut-il l’énoncer clairement à une heure où la statistique peine à croiser la perception du quotidien, qui plus est dans une société du média qui compte suffisamment de snipers habiles pour politiser l’objet social. En définitive, même si le projet de « grande sécu » ne se traduisait pas par des « économies sonnantes et trébuchantes », ce sont bien les Français dans leur ensemble, et parmi eux les plus modestes, qui auraient tout à gagner d’une santé mieux intégrée, plus qualitative, et avec des coûts maitrisés.         

La question de la justice sociale n’est pas seulement une question éthique. Elle participe pleinement de l’équilibre de la gouvernance et de la pérennité du modèle économique. La prévention en est l’illustration. Elle est la première économie réalisée par des personnes fragilisées, ce qui a pour conséquence de déporter la charge, à plus long terme, vers un secteur curatif infiniment plus coûteux. Pendant que notre société feint de croire qu’elle pourra s’abstenir de reculer l’âge de la retraite, elle occulte la vraie question qui est finalement moins celle du chiffre seuil (62, 64, 65 ans) que sa capacité à élever le niveau général de santé et de façon durable. Des indicateurs qui stagnent ne sont pas gage de compétitivité. Or, sur ce volet précis de la prévention, ni la loi santé publique de 2004 ni la loi Hôpital Patient Santé Territoires de 2009 ne sont  parvenues à hisser notre système à la hauteur de celui de nos voisins, même s’il faut saluer de réelles avancées. Le secteur médico-social, qui passerait presque à la trappe dans l’effervescence du débat, est l’une des clés en amont et en aval du secteur hospitalier, avec des coûts moindres et, bien-sûr, pilier de la question du domicile, en passe de révolutionner les politiques d’autonomie. Nul doute que ces angles sont ceux qui permettront de réunir autour de la table les professionnels des secteurs 1 et 2 qui, eux-aussi, appréhendent cette réforme. Profiter de la séquence pour revaloriser actes et carrières qui doivent l’être, pour déstratifier et désadministrativer le secteur de ville comme le secteur hospitalier peuvent être les autres bonnes idées…   

Il ne s’agit pas de monter la société civile contre les acteurs de l’assurance privé, ce qui ne serait certainement pas la meilleure façon de débuter une telle réforme. Mais bien d’admettre que chacun a intérêt à faire son métier, là où il le fait le mieux ! Il est évident que les salariés du secteur assurantiel (environ 100 000 d’après la Fédération Française de l’Assurance) ne doivent pas être les dommages collatéraux d’une réforme qui se revendique de l’intérêt général. Mais de grâce, cessons de répondre à un problème par un problème. Arrêtons de dire que les acteurs publics ou parapublics ne savent pas bouger ou s’adapter, car ce n’est pas vrai ! Nous l’avons vu avec les changements de statuts de grandes entreprises publiques, la création des ARS (regroupant jusqu’à une dizaine de conventions collectives), création de Pôle Emploi (par fusion de deux statuts – l’un public, l’autre privé) ; plus récemment le déploiement de la loi NOTRe ou l’OTE ont eu un impact sur des dizaines de milliers d’agents dans une indifférence médiatique égale à l’intelligence avec laquelle ces accompagnements RH ont été conduits.    

Débattons sereinement des 4 scénarii proposés par le Haut conseil pour l’Avenir de l’Assurance maladie car une santé moderne est une santé qui outre le renforcement  de sa gouvernance, de son  modèle économique, et celui de sa justice sociale, renforce sa démocratie. En définitive, qui a vraiment à craindre d’ouvrir ce débat d’une « grande sécu », moins lucrative, plus respectueuse des compétences, et capable de renouer avec la notion de “bien commun” né du conseil de la résistance ? 

L’alternative Macron

La pré-offre politique faite aux Français à six mois de la présidentielle fait la part belle aux radicalités et aux divisions. Un peu comme s’il flottait, dans cette pré-campagne, un air de déconnexion des défis que le pays aura à relever dans les années à venir, voire dès les tout prochains mois.  

Le télétravail a rapproché les emplois de bureau du risque de délocalisation. Chaque année, notre État social coûte l’équivalent de trois crises du covid, cinq fois plus que le régalien. Quelques mois de pandémie auront suffi à nous donner un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler la décroissance dans laquelle certains souhaiteraient nous projeter tel un “grand soir”. Un conflit entre la Chine et les Etats-Unis est-il complètement à exclure ? Les Européens se contenteraient-ils de rester en observateurs ? Le climat va rebattre les cartes de la géopolitique mondiale. Ce monde n’est pas celui de demain, il est celui dans lequel nous entrons de plein pied à bas bruit.

La peur a toujours été un puissant moteur et cette élection, il faut le craindre, ne fera pas exception. Pour autant, pris individuellement ou dans leur globalité, aucun des défis qui attendent les Français ne trouvera de réponses dans des effets d’estrade, mais bien dans le contrat social ; contrat social dont il n’est pas exagéré de dire qu’il aura été la boussole du quinquennat d’Emmanuel Macron.

On peut se montrer critique sur le pass sanitaire, sur la réforme de l’assurance chômage, la garantie d’activité, l’obligation de formation… il ne pourra être nié que rarement le principe de conditionnalité des droits aux devoirs aura été à ce point replacé en socle de toute chose publique  – res publica. Et Dieu sait que nous aurons besoin de république ! Là où d’autres prônent fatalisme, abandon ; d’autres encore, la guerre civile dans une emphase médiatique sidérante…

C’est la république qui rendra possible l’émancipation de chacun en préservant de la tentation de domination d’une minorité. 

C’est la république qui rétablira l’égalité des chances. C’est l’esprit du « 100 % santé », du plan « 1 jeune 1 solution », du « contrat d’engagement jeune ».

La république, c’est l’école ! Ce n’est pas un hasard si la lutte contre la pauvreté s’est concentrée sur le décrochage scolaire ; si la protection de l’enfance est redevenue un sujet régalien ; si le choix a été fait de rouvrir la classe avant les bars en sortie de confinement.

Faire république, c’est remettre l’économie au service de celles et ceux qui la font. Allégement de la fiscalité des plus modestes, activité partielle, prime d’activité, apprentissage, prime à la conversion énergétique… Il y aura toujours un chiffre pour tenter de démontrer que “c’est trop”, “pas assez”, ou que cela « aurait pu être fait autrement ». La réalité est que le pays a su renouer avec un capitalisme rhénan là où il s’était totalement abandonné au capitalisme financier au tournant des années 1990-2000. L’investissement dans nos territoires, comme dans les compétences, pavent le chemin d’une reconquête productive et sociale. Mais c’est un chemin qui sera long, peut-être même jalonné d’échecs, ne nous mentons-pas ! Surtout, c’est un chemin fragile et réversible…  

D’aucuns se délecteront de chercher « l’épine dorsale”, un “ADN du macronisme », supposément vacant. C’est un fait, le quinquennat Macron ne se démarquera d’aucune “grande réforme” comme naguère l’abaissement de l’âge de la majorité, l’abolition de la peine de mort, le mariage pour tous… Réduire, par la puissance du contrat social et de la république, la fracture qui, année après année, faisait s’éloigner le catégoriel de l’universel, est cette grande réforme. Ce choix, un président, et avec lui des forces sociales, libérales, et démocrates, de gauche comme de droite, l’ont fait ; et ce à un moment où le pays avait probablement moins besoin de sociétal que de partager à nouveau des valeurs.

Ne nous y trompons-pas, c’est bien parce que la France retrouve un esprit de concorde qu’elle renoue avec une capacité de réformes. Et, par là-même, qu’elle regagne la confiance de ses partenaires. Si le leadership économique demeure encore acquis à l’Allemagne, la France n’en a pas moins conforté un leadership politique dans une Europe désormais libérée du Brexit, convaincue des vertus du fédéralisme économique, de l’importance de son marché intérieur, de ses frontières. Cela peut changer beaucoup de choses dans la séquence à venir !

Alors, est-ce à dire que tout va bien ? Non. Il est évident que beaucoup de Français “tirent le diable par la queue”. La France des chiffres, aussi encourageante soit-elle, ne doit pas gommer une France des visages, une France des parcours, une France de l’accomplissement. Mais qui peut croire que cinq ans puissent suffire à réduire vingt ou trente ans de fragilités cumulées ? La question du pouvoir d’achat ne doit pas éclipser les avancées en matière d’accès aux droits, d’éducation, d’emploi, et d’insertion. Elles sont durables et seront le pouvoir d’achat de demain.

Des erreurs ont-elles été commises ? C’est incontestable. Les vieux démons monarchistes ne sont jamais très loin, il faut bien le reconnaître. A l’évidence, un second mandat d’Emmanuel Macron devra accorder une place plus importante au Législatif, aux territoires, libérer la strate administrative…

La France de 2022 n’est plus la France de 1980 ! Ni même, pour tout dire, plus tout à faire celle de 2017. Pour un président sortant, s’engager dans un second mandat ne constitue plus une sorte de suite logique, pas même pour un président de crise. Deux questions au moins devront être posées aux Français par la présidentielle. La première sera de savoir s’ils aspirent à se projeter comme nation, là où l’individualisme et les passions bruyantes semblaient devoir triompher. La seconde sera de savoir s’ils aspirent à se projeter dans un temps long, que l’on pensait volé par la mondialisation, mais dont les cinq dernières années ont montré qu’il pouvait être réhabilité par la politique. Le programme du candidat Macron viendra en son temps. Il est même probablement souhaitable de laisser les candidatures alternatives s’installer.

Mais le seront-elles ?   

Trois bonnes raisons de prioriser l’enseignement scientifique

Tous les acteurs numériques ou pharmaceutiques n’ont pas tiré parti de la crise du covid, loin s’en faut. Preuve en est l’échec du vaccin Sanofi. Si Facebook, Google, Amazon ou Pfizer sortent victorieux, c’est bien parce qu’ils s’étaient attelés à penser le « monde d’après » avant la pandémie. Il en sera de même pour le réchauffement climatique dont on sait qu’il rebattra considérablement les cartes du savoir, du pouvoir, et de la géopolitique mondiale. 

L’Europe a raison de croire en l’Airbus des batteries, c’est un défi de souveraineté majeur. Elle doit désormais porter la même attention aux domaines de l’hydrogène, de l’intelligence artificielle, l’humain augmenté. La bonne nouvelle de cette crise, s’il y en a une, c’est qu’elle nous aura aidé à définitivement tourner la page d’un ultralibéralisme fondé sur la décorrélation entre l’économie et le politique. Ainsi, nous assistons à un retour en grâce des grands desseins industriels, et serions bien inspirés de considérer le surplus d’épargne des ménages non comme une manne taxable mais bien comme une chance pour l’investissement.   

Sur le papier, beaucoup d’indicateurs sont au vert et on se sentirait presque coupable de venir troubler pareil optimisme. Oui mais voilà… Décider la ré-industrialisation du pays est une chose, reprendre rang dans la compétition mondiale en est une autre. Or, voilà vingt ans que les élèves français décrochent dans le classement international PISA, notamment dans les enseignements scientifiques. Il y a urgence. Si la France tergiverse tant pour renouveler son programme nucléaire, c’est certes en raison d’une équation complexe sur un plan politique comme budgétaire, mais aussi parce que les soudeurs hautement qualifiés commencent à manquer. Faut-il rappeler les bugs en cascade de l’EPR…       

Si chacun comprend l’enjeu de compétitivité, il est une autre raison pour laquelle cette reconquête des savoirs scientifiques doit redevenir une priorité des pouvoirs publics. L’ornière vaccinale dans laquelle se trouve la France (mais également beaucoup de pays de l’OCDE) rappelle combien le progrès ne préjuge pas de l’adhésion au progrès. Qu’elles le veuillent ou non, les démocraties doivent désormais composer avec un principe de précaution, qui est une forme de contrat social à part entière. Il suppose qu’on ne laisse pas l’opinion s’éloigner d’un minimum de rationalité scientifique pour maîtriser les termes de ce contrat. Est-ce encore le cas ?        

Le problème n’est pas tant la poignée d’imbéciles prompts à brûler des antennes 5G ou à saccager des centres de vaccination. Ils ont toujours existé. Inquiétons-nous en revanche de la facilité avec laquelle une minorité bruyante (souvent politisée) est capable d’entrainer une frange silencieuse et plus indécise. Inquiétons-nous du rôle des élites, qui naguère occupaient cette fonction de relais et de stabilisation, aujourd’hui considérablement diminué. Les réseaux sociaux et le média d’opinion ont beau fonctionner en accélérateur de passions, ils n’expliquent probablement pas tout… 

Comment dans le pays de Pasteur sommes-nous arrivés à un tel niveau de défiance envers la vaccination ? Pas uniquement celle contre la covid-19, d’ailleurs… On peut y voir un peu plus qu’un hasard si ce sont dans les pays où l’enseignement des savoirs scientifiques a le plus reculé que les théories anti-vaccins prospèrent le plus. Bouder les sciences n’a pas pour seul conséquence de produire moins d’ingénieurs, ce qui est déjà un problème en soi. Cela produit aussi des citoyens moins éclairés, et moins agiles dans une société toujours plus informative.     

Réindustrialiser, financer les retraites, préserver le contrat social, parmi ces trois raisons il y en a forcément au moins une, voire les trois, qui justifient que nous fassions de la reconquête des savoirs scientifiques LA grande cause nationale des dix prochaines années. Ce doit être bien-sûr une prérogative forte de l’Education Nationale. Mais elle ne saurait supporter cette responsabilité seule – ce doit être également le défi de l’éducation populaire, de nouvelles formes de vulgarisation, de la démocratie participative…       

En France, le débat autour de la vaccination atteint un niveau de contradiction inédit et particulièrement préoccupant. Ce sont désormais les démocrates qui peinent à objectiver le contrat social (le principe de conditionnalité des droits aux devoirs) et les extrêmes qui apparaissent comme les défenseurs des libertés individuelles. Nous entrons dans une zone de danger de laquelle les milliards du plan de relance, à eux seuls, ne parviendront probablement pas à nous sortir.

Ce n’est peut-être pas un hasard si les philosophes du siècle des lumières, pères de la démocratie moderne, furent également des hommes de sciences.       

Post covid – Donnons une constitution à l’Europe !

L’Europe relance trois fois moins puissamment son économie que l’Amérique ; elle vaccine quatre fois moins rapidement que la Grande-Bretagne. La réalité est plus discutable, pourtant. C’est oublier un peu vite que le surcroit de milliards américains vient pallier une protection sociale réduite à la portion congrue outre atlantique alors que l’Europe, qui représente près de la moitié de la dépense sociale mondiale (pour 6 % de la population), peut faire le pari d’une relance plus modeste. De même, c’est en Europe dont on disait l’industrie délitescente que le plus de vaccins ont été produits dans le monde au cours des six derniers mois (plus de 200 millions). Il n’empêche. Le mal est fait –  l’Europe apparait bien à la traîne.

Les atermoiements autour du plan de relance et de la vaccination sont une bonne illustration du mal endémique qui frappe les Européens depuis plusieurs décennies. Par une sorte de « marche en crabe », ces derniers sont à la fois capables d’avancées spectaculaires (qui aurait prédit de tels déblocages pendant la campagne de 2019…) et capables du pire enlisement au moment de passer de la théorie à la pratique. N’y a-t-il pas quelque chose de désopilant à devenir le premier fournisseur mondial de vaccins sans parvenir à vacciner les siens ? Par quel prodige bureaucratique les milliards votés en juillet 2020 n’irriguent-il pas encore l’économie alors que les foyers américains reçoivent les premiers chèques du Trésor fédéral ?

Taper sur les hauts fonctionnaires européens n’y changera rien. Pas plus que d’accabler la mandature Von der Leyen qui accomplit le meilleur travail possible avec les moyens dont elle dispose. Cette situation résulte de l’obsolescence des institutions européennes. Nous payons « cash » le rendez-vous manqué de 2005 qui conduisit au  bidouillage du traité de Lisbonne : un législatif bridé, un exécutif peu incarnant, une diplomatie éclatée façon puzzle (pour le plus grand bonheur de la Chine), la règle de l’unanimité qui étouffe le jeu démocratique. Sont-ce les mêmes représentants qui naguère appelèrent à voter « non » à la constitution européenne en agitant bien haut le chiffon rouge du plombier polonais, que l’on voit aujourd’hui jouer des coudes dans les médias pour dire combien « l’Europe devrait vacciner plus vite », « relancer mieux » ?

On peut douter que des bases constitutionnelles plus solides auraient permis à l’Europe de traverser sans heurt la crise actuelle, ce qu’aucun Etat n’est d’ailleurs parvenu à accomplir. Mais l’inverse est également vrai. On a rarement vu une action publique faire des étincelles quand le portage politique restait poussif – ce qui est vrai à l’échelle d’une ville, d’une région ou d’un pays reste à fortiori vrai à l’échelle d’une puissance globale.           

Voilà vingt ans que faute d’institutions à la hauteur, l’Europe grimpe le col de la mondialisation sur son petit vélo. Et Dieu sait que la pente devient raide… Le mécanisme européen de stabilité a beau avoir sauvé l’épargne de nombreuses petites gens, la directive REACH avoir œuvré pour la santé au travail, la monnaie unique avoir permis ce « quoi qu’il en coute » inimaginable du temps du franc ou de la lire… Rien y fait. L’Europe reste trop peu visible dans ce qu’elle nous apporte au quotidien, mais bien surmédiatisée à travers ses loupés.      

Alors Oui, ne nous mentons pas, l’Europe de 2021 est à la peine – moins que ne le pérorent les eurosceptiques, plus que ne le prétendent les euro-béats. Son problème est certainement la puissance que l’agilité qui lui fait défaut – et c’est déjà un formidable cadeau qu’elle consent à ses compétiteurs. Comment reprocher à un Boris Johnson, qui ne pouvait que perdre les négociations du Brexit sur la longueur face à des Européens unis, de ne pas tenter de « se refaire » sur les vaccins, sur le dos de ces mêmes Européens ? D’autant que vacciner les Britanniques avant les Européens permet de faire oublier les tonnes de poissons pourrissant sur le port de Douvres.    

L’obsolescence des institutions européennes nous éclatera d’autant plus violemment à la figure que nous tenterons d’innover sur des sujets de fond de la mondialisation – la convergence fiscale et sociale, la défense du continent, la lutte antiterroriste. Retournons le problème comme on le voudra : un nouveau traité constitutionnel s’impose si nous ne voulons pas voir l’Europe ployer sous ses contradictions. Voilà l’enseignement, s’il y en avait qu’un, que les Européens pourrait tirer de la crise de la covid.

La France prendra, à compter du 1er janvier 2022, la présidence de l’Union pour six mois. Elle accomplirait un acte courageux, et probablement historique, si elle parvenait à relancer ce processus, avec une perspective et surtout une méthode.        

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Rien ne garantit qu’un nouveau traité constitutionnel, s’il était présenté à l’approbation des peuples européens avant le milieu de la décennie, même à l’issue d’une coconstruction plus consultative et démocratique, serait ratifié in extenso par l’ensemble des 27. Inversement, ne soyons pas exagérément pessimistes sur le frémissement qui s’est emparé des pays dits « historiques ». Encore secouée par la mandature Trump, l’Allemagne comprend que l’Histoire est en train de changer. La France n’est plus regardée avec la défiance qui fut longtemps celle de ses paires comme étant le pays des réformes impossibles. L’Union européenne est désormais libérée de l’ombre du véto britannique permanent. Que veut-elle en faire ?

Le temps n’est-il pas venu d’assumer une bonne fois pour toute une Europe à trois cercles concentriques ? Un premier cercle, infiniment plus intégré politiquement et qui prendrait la forme d’une fédération des Etats d’Europe. Un second cercle, qui correspondrait peu ou prou aux prérogatives actuelles de la zone euro. Enfin, un troisième cercle, fondé sur la norme et le marché. Ce dernier présenterait l’intérêt de consolider la relation avec nos voisins. Il serait en outre le moyen de réintégrer positivement la Grande-Bretagne dans une donne continentale, de mieux regarder vers la Méditerranée.  

On peut bien sûr considérer cette alternative comme imparfaite – elle l’est. Mais face à la Chine (qui pourrait à terme détrôner l’Amérique), face au défi climatique (qui sera avant tout un défi géopolitique), face aux nouveaux risques pandémiques ou systémiques, une Europe graduée mais ouvertement politique n’est-elle pas plus enviable que l’Europe du statu quo – satisfaisante pour beaucoup, plébiscité par personne. Si l’issue du premier scénario est incertaine, celle du second l’est en revanche beaucoup trop – elle serait, à n’en pas douter, une autre forme de virus mortel pour nos valeurs.                      

Pour la proportionnelle aux législatives de 2022 !

Le scrutin majoritaire garantit au président de la république la majorité aux élections législatives qui suivent sa propre élection. Le quinquennat a par ailleurs définitivement relégué la proportionnelle. Qu’importe si depuis des décennies notre démocratie se contente de circonscrire l’exercice parlementaire à un nombre restreint de sensibilités, on y verrait presque le gage acceptable de l’endiguement du rassemblement national.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Marine Le Pen ne pouvait désormais l’emporter, aidée d’un front républicain toujours plus fragilisé. Tout irait pour le mieux si le fait de réduire des formations entières au simple bavardage n’avait poussé un électeur sur deux à l’abstention et cantonné un votant sur trois à la simple figuration. Comment s’étonner, dans ces conditions, que des débats empêchés au sein de la démocratie institutionnelle ne se déversent dans d’autres agora – certaines vertueuses, d’autres moins ? Depuis une vingtaine d’années, nous nous sommes enthousiasmés devant la montée en puissance d’une démocratie directe, dite également « alternative », « participative », « citoyenne », supposément signe de vitalité. Et s’il avait fallu, au contraire, y voir une alerte ?     

Réinterroger maintenant la proportionnelle pourrait relever de l’existentiel. Cette question doit être posée à un moment où le pays, qui commençait à se redresser, tient bon dans la crise, précisément grâce à des réformes structurelles trop longtemps ajournées faute de courage. Plus forte progression du pouvoir d’achat depuis 17 ans. Plus forte baisse de la fiscalité sur les ménages depuis 20 ans (28 Md€) et sur la production depuis 40 ans (20 Md€). Hausse générale de tous les minima sociaux. Record historique de l’apprentissage. Un plan pauvreté qui ne se contente pas d’aligner les milliards (8,5 Md€ tout de même) mais de fédérer le social et l’économique dans un véritable service public de l’insertion, d’instaurer la garantie d’activité, de renforcer la protection de l’enfance, de lutter contre les violences intrafamiliales, d’instaurer des cantines à 1 euro. Des aides massives à la transition écologique, pour les territoires comme les particuliers. Un plan de relance de 100 Md€. La France a retrouvé son leadership en Europe. Elle relocalise… On peut être pour, on peut être contre. Mais personne ne saurait remettre en cause le réformisme, à la fois économique et social, « et de droite et de gauche », du quinquennat d’Emmanuel Macron. Pouvons-nous pour autant conclure, sinon à un consensus, à tout le moins à des débats de sociétés sereins ?

Il fut un temps où pour convaincre l’homme de la rue, le politique se devait de dépasser les chiffres pour parler des effets au quotidien. Il est venu le temps où il faut désormais convaincre de l’objectivité même de ce quotidien. Les algorithmes ont pulvérisé la dialectique. L’immédiateté des réseaux sociaux a remplacé la spontanéité des comptoirs. Le média s’est transformé en tribune. Le club en déversoir des frustrations, parfois des haines. La société du débat s’est progressivement mue en société de la polémique.  La question n’est pas de savoir si l’on trouve cela bien ou un mal, c’est un fait.               

Tenter de mieux réguler les réseaux sociaux s’avérera aussi vain que contre-productif. Tenter d’amadouer cette démocratie directe dans l’espoir de mieux la ramener dans la sphère du pouvoir décisionnelle ne fonctionnera pas plus. On voit bien les limites de la commission citoyenne en faveur du climat ou la tentative de « commission  vaccins » déjà aux oubliettes. Retournons le problème comme le voudra : la démocratie, même participative, ne peut pas être la vox populi.  

Arrêtons de nous cacher derrière des concepts faussement sociologiques. Si l’horizontalité de la société est pour beaucoup dans cette fracture entre démocratie institutionnelle et démocratie directe, l’origine du mal est bien la crise de représentativité qui traverse la première depuis des décennies. C’est pourquoi le scrutin à la proportionnelle, loin d’une quelconque position idéologique, s’impose.     

Balayons le spectre de l’instabilité de la IVème république, ce risque étant considérablement réduit, voire neutralisé, par le régime présidentialisé de la Vème (plus encore si c’est le scrutin à la plus forte moyenne qui est retenu). De même que la circonscription départementale (sur le modèles de ce qui fut pratiqué pour législatives de 1986) semble préférable à une liste nationale pour ne pas distendre le lien avec les électeurs.      

Il reste peu de temps, mais un temps utile, pour créer les conditions d’un rendez-vous plus  démocratique, mieux représentatif de la sensibilité des Françaises et des Français, dès les législatives de 2022. Deux propositions de loi du groupe MoDem sont sur la table. L’une en faveur de la proportionnelle intégrale ; l’autre à la faveur d’une proportionnelle partielle qui s’appliquerait aux départements comptant 12 circonscriptions et plus (130 députés au total). 

On ne peut rester indifférent à l’argument selon lequel la crise sanitaire imposerait d’autres priorités au pays. On peut aussi, à argument égal, renverser la démonstration : en succédant de quelques mois à la crise des gilets-jaunes (elle-même fut une crise de la représentation qui a justifia la tenue de grands débats), la crise sanitaire a renforcé l’envie de pluralisme, de représentation, de débats mieux nuancés – en matière économique comme en matière sociale. On ne peut jamais confiner la démocratie au risque d’en payer, un jour, le prix fort.    

Candidat dans la 3ème circonscription du Pas-de-Calais, au soir du 18 juin 2017 près de 15.000 personnes venaient tripler le nombre de voix du premier tour. Près de 50.000 personnes ne s’étaient pas déplacées, ni sur le projet que j’eus l’honneur de porter ni sur celui de mon opposant. Comment rester insensible à cette confiance que des femmes et des hommes vous accordent le temps d’un scrutin ? Ils les font parfois par conviction (le plus souvent dès le premier tour). Mais ils le font aussi parfois plus en pointillé, un peu « faute de mieux », mais parce que choisir un « candidat imparfait » vaut toujours mieux que d’être réduit au silence.  L’engagement ne s’arrêtant pas à une élection, gagnée ou perdue, c’est autant par conviction politique (le centre libre réclame la proportionnelle de longue date) qu’au nom de cet engagement moral avec les électeurs de 2017 que je soutiens ardemment la proportionnelle, dès les législatives de 2022, afin que toutes les sensibilités puissent être représentées et afin de redonner l’envie à celles et ceux qui se sont abstenus.          

Le libéralisme est mort ! Vive le libéralisme !

Une décennie se clôture par une pandémie là où elle avait débuté par une crise financière. Décennie pendant laquelle la théorie de Fukyama aura été malmené : la montée des populismes, l’isolationnisme américain, la démonétisation de l’Organisation Mondiale du Commerce, le Brexit, la fragilisation de l’état de droit, la violence sociale, le communautarisme… Et si, finalement, loin d’étalonner la mondialisation la démocratie libérale en était le substrat soluble ? La pandémie de covid-19 sonnerait presque le coup de grâce. Même les attentats du 11 septembre n’avaient pas engendré un recul aussi brutal des libertés. Même la très libérale Suède n’aura finalement pas résisté. Alors… assistons-nous réellement au début de la fin du libéralisme ?

Quel que soit l’angle sous lequel on regarde la marche du monde, force est de constater que ce sont dans les démocraties où le plus de vies ont été sauvées ; et dans les plus solides d’entre elles où la fonction économique et sociale des personnes aura été la mieux préservée.

La pandémie aurait dû être le pain béni des populismes qui, nulle part, ne sont parvenus à tirer leur épingle du jeu. Les illibéraux n’auront pas eu grand-chose de plus à proposer que des masques et du gel à celles et ceux tentés par plus de protection. En revanche, la fermeture des frontières, la surveillance de nos déplacements, l’interdiction de faire la fête où, quand et avec qui l’on veut, la mise sous séquestre de la culture, auront donné un avant-goût du quotidien d’une société illibérale. De quoi faire passer l’envie de Venezuela à beaucoup…

La pandémie aura mis en exergue la puissance du complotisme antiscience. Mais l’Humanité n’étant pas à un paradoxe près, c’est aussi à cette période qu’aura été élaboré en temps record un vaccin mondial, seul rendu possible par la compétition internationale et l’accélération de la circulation du savoir. C’est une gifle cinglante à l’illibéralisme.

Que des réseaux sociaux érigés en agora permettent à une minorité bruyante de s’époumoner est une  chose. En glissant dans une société du commentaire, la société du média a également montré les dangers pour la démocratie. Il n’empêche. Le recul de l’esprit critique n’est-il pas le fond du problème ? Faut-il y voir un hasard si les théories anti-vaccins prospèrent plus fortement dans des pays où l’enseignement des savoirs scientifiques décroche continuellement ? Bouder les mathématiques n’a pas pour seul écueil de produire moins d’ingénieurs (ce qui est déjà un problème en soi). Cela produit aussi des citoyens moins éclairés. Ne soyons pas dupes non plus au point de croire qu’une majorité des anti-vaccins ne sauveraient pas leur vie et celle de leurs proches devant une recrudescence mortelle de la pandémie. Qu’il est facile de « jouer les héros », lové depuis son salon, quand l’État continue de socialiser le coût de l’aléa moral ! Quoiqu’il en coûte… 

S’il est un domaine où la pandémie a créé de nouvelles adhérences, c’est bien le digital. En quelques semaines, nous sommes passés de la forteresse anti-uber à une sorte de conscience numérique. Cela a presque quelque chose de providentiel alors que l’Europe entendait relever avec détermination (mais aussi très seule) le défi de gouvernance numérique !

Au plus fort de la crise, nous nous sommes émus du sort de nos aînés et des salariés restés en première ligne. La technologie aidera à mieux de justice sociale – si tant est bien sûr, que nous acceptions de la maîtriser. Le télétravail va rapprocher des  territoires entiers de la dynamique de croissance (l’une des causes du mouvement des gilets jaunes). Dans dix ans, les exosquelettes feront reculer la dépendance et la pénibilité au travail, possiblement avec des débuts de réponses à l’allongement de la vie active (sujet ô combien crispant quelques semaines à peine avant le confinement en France). Or, ce n’est certainement pas l’illibéralisme, en tenant le capital et le risque en défiance, qui rendra possible cette marche en avant.   

Quelques semaines de confinement auront suffi à faire voler en éclat le mythe d’une décroissance illibérale qui serait inéluctablement la décroissance des uns et la croissance d’autres. Un million de personnes se rapprochant du halo de la pauvreté, 20 % de foyers se partageant 100 Md€ d’épargne  supplémentaire : voilà pour la France. 12 millions d’emplois détruits : voilà pour les États-Unis. Quelque 200 millions d’individus retombés sous le seuil de 2 dollars par jour : voilà pour les pays en développement (craignons au passage le terreau fertilisé pour le terrorisme). Bref, nous avons une chance inespérée pour sortir des divisions qui, lentement mais sûrement, préparaient les sociétés occidentales à la violence, en particulier la division écologique.

Le retour du régalien est l’autre marqueur de la gestion pandémique à l’échelle mondiale. Mais est-ce réellement annonciateur d’une ère « post libérale » comme certains le prétendent ? Probablement pas. C’est peut-être même l’inverse qui est en train de produire. Il n’est de liberté sans protection, de système économique socialement acceptable sans régulation. C’est précisément par ce que la puissance publique n’avait cessé de s’effacer derrière la puissance des marchés que la classe moyenne des bastions industriels de Pennsylvanie, du Nord de la France, de Pologne, ont porté l’illibéralisme au pouvoir… N’est-ce pas sous un Président libéral, dans un pays libéral, que furent promulguées les premières lois anti-trust ? Le défi des GAFA au siècle d’après n’est pas si éloigné de celui des géants de l’acier du siècle d’avant. Il s’est juste considérablement mondialisé. Le monde est prêt à tourner la page d’un néolibéralisme au profit d’un retour aux sources d’une pensée libérale infiniment plus politique : l’affranchissement du pouvoir du roi, la liberté… bref, la libération des Hommes de toute forme de prison, depuis l’ignorance jusque la maladie.

Le crédit social chinois n’a pas encore triomphé. De même que la géopolitique mondiale n’a pas encore totalement basculé vers l’Asie comme il est dit souvent, bien qu’il faille reconnaitre que le curseur se soit encore un peu plus déplacé en 2020. La pandémie de covid-19 a également montré l’extraordinaire vitalité de la démocratie libérale.

Il ne s’agit pas de porter un regard béat ! Ce scénario pourrait encore ne pas s’écrire. Beaucoup dépendra de la capacité à restaurer des lignes gauche-droite actuellement traversées par d’inquiétantes formes de radicalités, en Europe comme sur le continent américain.

L’Occident est actuellement sur une ligne de crête.  L’élection de Joe Biden  est un risque si elle donnait aux Européens l’illusion qu’ils peuvent relâcher les efforts entrepris sous le mandat le mandat de Donald Trump au profit d’un continent mieux intégré politiquement. Elle est en revanche une formidable opportunité si l’arrivée du Démocrate à la maison blanche prévaut à un nouveau concordat atlantique, qui ne peut être le retour de l’Atlantisme mais bien une relation d’un à un fondée sur la relance des traités commerciaux et la modernisation de la gouvernance mondiale. Le presque milliard d’habitants de cette realpolitik ne serait probablement pas de trop pour contrer l’avancée de la Chine. A vrai dire, probablement la dernière chance pour nous assurer que la mondialisation ne prenne pas, un jour, un chemin différent que celui du libéralisme et de la démocratie.   

Poursuivre les idéaux de nos révolutions, promouvoir l’égalité, la justice, reconstruire des ponts entre nos deux continents… on voit combien deux siècles après Tocqueville est resté d’une extraordinaire modernité. Le relire peut être l’autre vaccin utile au 21ème siècle.  

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Liberalism is dead ! Long live liberalim ! 

A decade ends with a pandemic where it began with a financial crisis. Decade during which Fukyama’s theory has been attacked : the rise of populism, American isolationism, the decay of the World Trade Organization, Brexit, the weakening of the rule of law, new social violence, communitarianism … And if, far from calibrating globalization, liberal democracy was its soluble substrate? The covid-19 pandemic would almost sound the final blow. Even the September 11 attacks did not result in such a brutal decline in freedoms. Even the very liberal Sweden ultimately did not resist. Are we really witnessing the beginning of the end of liberalism?

Whatever angle you look at the world from, it is clear that the most lives have been saved in democracies ; and in the most solid of them where the economic and social function of people has been best preserved.

The pandemic should have given ammunition to populists who, nowhere, have managed to pull out of the game. The illiberals had nothing more to offer than masks and gel to those tempted by more protection. On the other hand, the closing of the borders, the surveillance of our movements, the ban on partying where, when and with whom we want, the sequestration of culture, will have given a foretaste of the daily life of an illiberal society. Enough to keep many out of a Venezuelan dream …

The pandemic will have highlighted the power of anti-science conspiracy. But Humanity is not nearly a paradox. It was also during this period that a global vaccine was developed in record time, the only one made possible by the principle of competition and the acceleration of knowledge. This is a scathing slap in the face of illiberals.

It is one thing that agora-style social networks allow a noisy minority to cry out. The media society has slipped into a commentary society, which is not without risk for democracy. But isn’t the decline of the critical mind the problem ? Is it just coincidence that anti-vaccine theories are thriving more strongly in countries where the teaching of scientific knowledge is continually stalling ? Less maths does not only produce fewer engineers (which is already a problem in itself). It also contributes to produce less enlightened citizen. Who believe that  the majority of anti-vaccines would not save their lives and those of their loved ones in the face of a deadly resurgence of the pandemic ? How easy it is to « play the hero », coiled from your living room, when the state continues to socialize the cost of moral hazard! « Whatever the cost » – as French Président says …

If there is one area where the pandemic has created new adhesions, it is digital. In a matter of weeks, the anti-uber fortress turned into some kind of digital consciousness. It is almost providential as Europe was determined to tackle the challenge of digital governance, but alone !

Technology is about to supply new levers for better social justice. Teleworking will back bring remoted territories into the dynamic of growth (one of the causes of the yellow vests movement). We’re looking forward to the moment when exoskeletons become a reality to maintain the autonomy of elder people and reduce hardship of the front-line workers ass well – both moved us during the pandemic crisis. It is certainly not illiberalism, by holding capital and risk in suspicion, that will make this incentive possible.

A few weeks of confinement were enough to shatter the myth of illiberal degrowth. It would be the decline of some and the growth of others. One million more people failing into poverty, 20% of households sharing an additional € 100 billion : this is for France. 12 million jobs destroyed : that’s it for the United States. Some 200 million people falling below the threshold of 2 dollars a day : so much for the developing countries (let us fear the fertile ground for terrorism). We have an unexpected chance to emerge from the divisions which, slowly but surely, were preparing Western societies for violence, in particular ecological division.

Central governments and regalian prerogatives have re-emerged during the pandemic. But is it really the evidence a « post liberal era » as some claim ? There is no freedom without protection. There is no socially acceptable economic system without regulation. It was precisely because free market has ruled over State authority that the middle class of industrial strongholds in Pennsylvania, northern France, and Poland, brought illiberalism to power … Was it not under a liberal Presidency, in a liberal country, that the first anti-trust laws emerged ? The GAFA challenge is not far removed from that of the steel giants in the last century. It just has globalized considerably.  The world is ready to turn the page of a neoliberalism which has dominated Western thought forty in favor of a return to the sources of an infinitely more political liberal thought: historically the liberation from the power of the king, freedom… de facto , the liberation of Men from all forms of prison, from ignorance to illness

Chinese social credit has yet to triumph. Just as global geopolitics has not yet completely shifted to Asia as it is often said, although the cursor has shifted a little more in 2020. The covid-19 pandemic has also showed the extraordinary vitality of liberal democracy.

We have reasons to be optimistic! But, reasons to be pessimistic too… This scenario may never happen. Much will depend on the ability to restore left-right lines currently crossed by dangerous forms of radicalism, in Europe and in America as well.

The West is currently on a ridge line. The election of Joe Biden is a risk if it gives Europeans the illusion that they can relax the efforts undertaken under Donald Trump’s tenure in favour of a more politically integrated continent. On the contrary, it is an opportunity if the arrival of the Democrat in the White House helps a new Atlantic concordat which cannot be the Atlanticism but a more balanced one-to-one relationship, based on commercial treaties and the modernization of global governance. The almost billion inhabitants of this realpolitik will probably not be too many to counter the rise of China. In fact, probably the last chance to ensure that globalization does derails from liberalism and democracy.

Pushing forward the spirit of our revolutions, promoting equality, justice, rebuilding bridges between our two continents … we see how two centuries after Tocqueville has remained extraordinarily modern. Reading its work again may be the other most powerfull vaccine in the 21st century.