Non au revenu universel, parce que…

  cropped-IMG_20150808_095856_15101.jpg 800 à 1000 € par mois sans contrepartie, libre à chacun de compléter ce revenu en travaillant. « Revenu universel », « revenu de base », « allocation universelle » : l’idée séduit de plus en plus, à gauche comme à droite et, contrairement, à une idée reçue… elle n’est pas neuve. Le revenu universel fut expérimenté à plusieurs reprises dans les années 60 et 80 au Canada et aux Etats-Unis, sans que puisse être démontré un effet désincitatif. Rappelons toutefois que ces tentatives furent toutes très éphémères et toutes conduites à un échelon très local. La réalité est plus complexe…

Disons-le d’emblée, je ne crois pas un instant à la soutenabilité du revenu universel, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, la soutenabilité budgétaire : qu’il prenne la forme d’un revenu de subsistance (environ 500 €) ou d’un revenu anti pauvreté (1000 €, soit 60% du revenu médian), le revenu universel s’apparenterait à un véritable Armageddon économique ! Bien sûr, chacun ira de son chiffre… Mais sauf à ce que l’on me démontre le contraire : faire bénéficier 28 millions de foyers et 9 millions de 18-25 ans de l’une ou l’autre de ces deux alternatives coûterait entre 200 et 430 Md€. 

 

Pour « diminuer la facture », les avis divergent…

 

 Certains promeuvent la réintégration du revenu universel dans la base imposable. Tentant… Reste que cette hypothèse condamnerait à polariser encore un peu plus l’impôt sur le revenu vers un nombre plus restreint encore de foyers fiscaux… alors qu’en 2015 ces derniers n’ont jamais été aussi peu nombreux (à peine 46 %) ! Sans compter la complexité que revêtirait un tel dispositif : reprendre en année N ce que les pouvoirs publics donnent en année N (non sans induire, au passage, quelques coûts de fonctionnement « bien sentis » pour l’administration fiscale)… cette logique ne me semble plus tout à fait correspondre à ce qu’attendent les français, en 2016, en terme de simplification et d’efficience publique !

D’autres préconisent « d’aller jusqu’au bout de la logique universelle », notamment en y intégrant tous les dispositifs existants (handicap, âge, allocations familiales). Outre un changement de paradigme majeur (puisque nous verrions ainsi s’effacer le principe de « compensation » derrière celui d’une « égalité pure »), l’idée serait que le revenu universel ne coûte pas si cher… puisque déjà financé, pour partie, par l’actuelle branche famille (qui viendrait ainsi en « recette en atténuation »). Tentant, également… Reste que le périmètre en question, qui s’étend de 50 à 83 Md€ (car là encore, tout le monde ne semble pas parler de la même chose), nous laisse loin du compte ! Retournons l’équation comme on le voudra : le « revenu universel », tel qu’on aspire à le présenter à nos concitoyens dégagerait un besoin de financement compris entre 150 et 350 Md€… soit quelque chose entre  un demi et un second budget de l’Etat !

Qui imagine, le doublement concomitamment de la TVA (195 Md€), de l’impôt sur le revenu ainsi que celui sur les sociétés (respectivement 76 et 58 Md€), de diverses taxes telles que celles sur les produits pétroliers (15 Md€) ? On excusera, j’en suis sur, la démonstration, à la fois un peu simpliste et  professorale… mais il me semble que certaines échelles de grandeurs méritent d’être posées !

Je ne m’étalerai pas sur d’autres impacts, pas nécessairement budgétaires mais tout aussi redoutables, en termes d’inflation ou de dégradation de la balance des paiements (pour mémoire structurellement déficitaire). Pour certains, il semble les enseignements de la « relance » de 81, des conséquences dévastatrices pour notre industrie et le tournant de la rigueur qui suivit deux ans plus tard, n’aient pas été retenue…

Enfin, notons que le réhaussement de 500 à 1000 € du revenu moyen, s’il était de nature à faire reculer la pauvreté absolue (c’est-à-dire la satisfaction de besoins tels que manger, se loger) ne ferait, en revanche, que repousser d’autant le seuil de la pauvreté relative (qui, lui, se calcule par rapport à une norme). Bref, rassurante pour certains ou cruelle pour d’autres : l’économie est comme ça ! Elle ne repose pas que sur des théories et du chiffre. Aussi, pour beaucoup, sur de l’observation et des dynamiques humaines… 

 

Universalité… Ou accès universel aux droits ? 

 

Mais je suis défavorable au revenu universel pour une autre raison qui, peut-être, étonnera plus encore. J’y suis défavorable parce que… ce revenu universel existe déjà ! Et je prends le parti de penser qu’une telle méprise en dit long : à la fois sur la lisibilité qu’ont nos concitoyens de l’action publique, et à la fois sur le manque d’ambition de la classe politique à prendre à bras le corps le vrai problème qui, selon moi, ne se situe pas au niveau de l’ »universalité » mais bien d’un « accès universel aux droits ».

Il existe pas moins de 10 minima sociaux bénéficiant à près de 4 millions de personnes pour 25 Md€, auxquels s’ajoutent des dizaines de dispositifs d’initiatives locales ou expérimentales. En intégrant l’ensemble des dispositifs d’action sociale (qui certes relèvent des départements mais sont financés à 75 % par des fonds de concours de l’Etat), l’ensemble se rapproche plus des 50 Md€. Voilà pour l’aspect budgétaire…

C’est au niveau de la « pratique » que les choses se corsent franchement : certains de ces minima (ou aides sociales) se cumulent entre eux, d’autres non, parfois avec un emploi, majoré ou non en fonction de l’âge, de façon différentielle ou pas du tout… (je n’invente rien).

Est-ce exagéré que qualifier de « complexe » l’exercice des droits sociaux dans notre pays ? Est-ce cette complexité qui est à l’origine du non recours à la CMU ou au RSA (qui, contrairement à une idée reçue, reste à un niveau très élevé, près de 30 % d’après l’Inspection Générale des Affaires Sociales) ? Pas seulement… Mais cela doit en décourager plus d’un ! De même, est-ce cette complexité qui alimente le divorce, consommé année après année, entre la classe moyenne et le principe de solidarité ? Nul doute que cela y contribue…

Si notre pays n’a ni les moyens ni le besoin de réinventer le « revenu universel », il a en revanche cruellement besoin de renforcer « l’accès universel » aux droits – droit au logement, à la santé, à la sécurité, à l’activité… fut-ce à travers l’emploi ou toute autre forme.

A l’aune d’une réforme en profondeur de notre système social, deux mesures fortes seraient de nature à renforcer considérablement l’efficacité et la lisibilité.

La première orientation consisterait à faire converger l’ensemble des minima et des dispositifs de compensation en une allocation unique dont le montant serait personnalisé et modulé par un certain nombre de « facteurs » (handicap, emploi, logement, situation familiale, taille du foyer), par exemple sous la forme de « points » et dans la limite d’un plafond (par exemple le seuil de pauvreté relative).

La seconde orientation consisterait à réduire la fracture entre deux mondes qui, résolument, ne se parlent pas malgré des tentatives timides, celui du social et de l’emploi, sur une base différentielle et plafonnée (par exemple, le seuil de pauvreté relative).

Chacun en a conscience, le 21ème siècle n’est pas le 20ème. La mondialisation est porteuse d’emplois atypiques, phénomène que l’ubérisation est en passe d’amplifier.  Or, plus encore que l’augmentation du nombre de bénéficiaires, le (très) faible turn-over constitue le vrai fond du problème ! En 2015, seuls 14 à 17 % des allocataires, selon le minima, étaient dans l’emploi. Au global, chaque année, moins de 2 % d’entre eux sortent positivement vers l’insertion économique… Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

En cela, le rapport remis par le député Syrugue au Premier Ministre Manuel Valls le 18 avril dernier présente une avancée digne d’intérêt… et un risque majeur.

Avancée – dans la mesure où le rapport, précisément, soutient cette idée de « socle unique » sur la base d’une fusion de plusieurs minima, permettant au passage de dégager de réelles économies de fonctionnement (entre 5 et 10 Md€), perspective salutaire quand on sait que le RSA n’est plus compensé à hauteur de 4 Md€ par l’Etat vers les départements.

Risque – dans la mesure où en rapprochant le revenu minimum des 18-25 ans, on rapproche, de fait, le fort risque de « trappe à inactivité » qui caractérise nos minima, en l’état.  

 

2017, l’ambition, la jeunesse et… l’exigence de vérité

 

La solvalbilité des 18-25 ans ne saurait être éludée. Mais Il me semble que la question doit être posée en ces termes : peut-on raisonnablement promouvoir le principe d’universalité à un moment où l’insertion économique de ces mêmes jeunes aurait cruellement besoin des 40 Md€ annuels que coûterait une telle mesure (Soit deux CICE) ? Rappelons, si besoin, qu’environ 100 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif pour un marché du travail qui, lui, n’a produit que 80 000 emplois… en deux ans ! Rappelons que parmi ce flux  annuel de 100 000 nouveaux entrants, près d’un sur deux reste sans qualification…

Inspecteur de l’action sanitaire et sociale, je ne méconnais aucunement les difficultés de la jeunesse. Je sais combien leur nombre a explosé dans les hébergements d’urgence (là où ils constituaient l’exception, il y a 10 ans). Je sais combien l’accès à la santé et au logement s’est dégradé, combien la mobilité reste le principal frein sur certains territoires. Je sais les difficultés que connaissent les familles à financer des études, hier encore accessibles. Je sais combien la période de contrats précaires peut se prolonger, parfois au-delà de 30 ans, faisant naitre un sentiment déclassement voire de désespoir. Pour autant j’ai toutes les raisons de craindre que le « revenu universel » sans une dynamisation de l’emploi, par un soutien massif à l’apprentissage, par une relance l’investissement et une refonte la fiscalité… ne se transforme en « trappe universelle » qui n’aura eu pour seul but que de « faire rêver », le temps d’un « rebond », finalement plus sociétal que véritablement politique, économique ou social…

Le gouvernement qui succédera en 2017 devra « mettre le paquet » tant sur la jeunesse que sur la rénovation de tout un pacte républicain.

Fiscalité, emploi, social, sécurité : les françaises et les français ont besoin de vision et d’espérance… gare à celui ou celle qui n’y parviendra pas ! Mais gare aussi à celui ou celle qui sera tenté de leur raconter des fables. Et la perspective de pouvoir bénéficier d’un revenu garanti à vie et en dehors de tout contrat social en est une…

Europe 1, Cameron 0

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Le scandale des Panama papers montre que nous n’en avons pas encore fini avec les paradis fiscaux.

Il faut le dire, en matière de lutte contre l’évasion fiscale beaucoup a été accompli au cours des dix dernières années grâce à l’Europe.

C’est cette Europe-là que je défends bec et ongle. Cette Europe-là qui, en sécurisant les fondamentaux économiques, participe à une société de progrès pour plus de 500 millions de citoyens, actifs, entrepreneurs, retraités… C’est cette Europe-là qui œuvre, plus qu’on ne le dit, dans l’intérêt des « petites gens », de celles et ceux qui, « en bout de chaine », auraient le plus à perdre des soubresauts de la finance mondiale, que ce soit à travers la montée du chômage (conséquence de la réfaction du crédit aux entreprises) ou la disparition d’une épargne en cas de faillite bancaire…

La double crise des dettes souveraines et du secteur bancaire, entre 2008 et 2012, a grandement accéléré ce processus.

Pourquoi rappeler ce contexte ? Parce que beaucoup reste à faire ! L’enjeu est colossal… le Parlement Européen évalue à 1000 Md€ le montant annuel de l’évasion fiscale au sein de la zone euro quand le cumul des déficits publics oscille, quant à lui, entre 500 et 600 Milliards. En clair : réduire ne serait-ce- que de 50 % l’évasion permettrait un retour à l’équilibre budgétaire, la sortie de l’endettement massif, plus de croissance et d’emplois, des taux d’imposition moins élevés et plus égalitaires…

Or, cette Europe du progrès n’est pas encore écrite, loin de la ! D’importantes inerties subsistent. Le chantage au Brexit, bientôt relayé par des velléités de Frexit chez nous, en offrent une triste illustration.

Ce énième scandale d’évasion fiscale fait sortir du bois celles et ceux qui ont tout à gagner d’une Europe des « pieds de plomb », celles et ceux qui n’ont pas intérêt à voir s’installer plus de concurrence, de meilleures régulations, une sécurité accrue… Parce que cette Europe-là, justement, c’est celle de la transparence.

De transparence, il n’y en a point dans le discours des populistes qui n’ont aucun intérêt à ce que la situation économique et économique ne s’améliore, au risque de voir se réduire un espace politique.

De transparence, il n’y en a guère plus chez les conservateurs de droite comme de gauche qui, au nom des intérêts sectoriels qu’ils protègent, sont prêts à prendre l’Europe en otage malgré le risque que fait courir pareille posture dans la mondialisation.

L’implication personnelle du Premier Ministre britannique dans le scandale des Panama papers montre combien les intérêts de la « finance dévoyée » se cachent, en filigrane, derrière les pseudos argumentaires sociaux, migratoires ou économiques des partisans du Brexit (bien qu’on puisse demeurer critique de la performance de l’Union sur ces points). Je parle bien ici de « finance dévoyée » et non de « la finance » comme l’eut fait un autre futur Chef d’Etat, en France cette fois.

Il existe un autre versant de la finance et de l’entreprenariat (plus de 30 millions d’unités), lui respectueux du droit comme de l’intérêt général. Ces acteurs, majoritaires, appréhendent grandement les tergiversations de M Cameron, qui après s’être copieusement servi de la vague Brexit, plaide désormais pour le maintien de son pays dans l’Union non sans avoir arraché un statut dérogatoire, protecteur des intérêts cachés des lobbys.

Les événements de la semaine dernière auront au moins eu un intérêt : celui de montrer pour qui « roule » le Premier Ministre britannique et pour qui « roulent » celles et ceux qui, en France, souhaiteraient s’inspirer d’un scénario « à la britannique » – à plus forte raison si le  « oui » l’emportait. Il appartiendra aux électeurs de choisir en conscience…

Il y aura, on peut le craindre, d’autres Panama papers dans les années à venir. Mais celui-ci a un goût de « ras le bol » dans ce qu’il montre de duplicité et de « petite politique » à un moment où chacun prend conscience d’une urgence tant sur le plan politique, qu’économique ou social.

Candidat aux dernières Européennes en 2014, je plaidais la vigilance autour de l’Union bancaire, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce que la finance mondiale reste très exposée, le FMI attirant très régulièrement l’attention des gouvernants sur ce point. Nous mettre en ordre de marche aujourd’hui, à travers cette même Union bancaire adossée au Mécanisme Européen de stabilité, c’est protéger notre création de richesse demain !

Ensuite parce que cette même Union bancaire était alors en cours de déploiement. Et l’histoire de l’Union nous enseigne combien la résolution des Etats peut faiblir une fois la crise passée…

Enfin, parce que sur un plan strictement opérationnel l’Union bancaire se heurtait à l’époque (et d’une certaine manière se heurte toujours) à d’importantes résistances, précisément de la part des partisans de « l’Europe des pieds de plomb », fallacieusement drapés derrière les étendards de « souveraineté » et de « compétitivité ».

Les conservateurs de gauche ou les extrêmes ont, quant à eux, d’autres raisons de traîner des pieds. Après tout un scandale financier de temps à autre s’avère bien utile pour alimenter les théories du « tous pourri » ou « d’une Europe rompue aux lobbys », chères à leur cœur électoral…

Combien de fois me suis-je entendu dire, tout au long de cette campagne, « tu as raison… mais n’en fais-tu pas un peu trop ? », « n’est-ce pas là un effet d’estrade » ? Les développements de ces derniers jours me permettront de faire l’économie d’une réponse.

Le scandale des Panama papers doit renforcer notre détermination collective à œuvrer pour une Europe résolument plus démocratique et fédérale, seule capable d’aider les Etats à s’aider eux-mêmes et ainsi renouer avec le progrès économique et social. Le peuple d’Europe doit interpeller ses dirigeants dans ce sens, plus encore en France et en Allemagne, toutes deux à un an d’une échéance électorale majeure : moins romanesque, concédons-le, mais certainement plus ambitieux que de passer des « nuits debout »…