Trois bonnes raisons de prioriser l’enseignement scientifique

Tous les acteurs numériques ou pharmaceutiques n’ont pas tiré parti de la crise du covid, loin s’en faut. Preuve en est l’échec du vaccin Sanofi. Si Facebook, Google, Amazon ou Pfizer sortent victorieux, c’est bien parce qu’ils s’étaient attelés à penser le « monde d’après » avant la pandémie. Il en sera de même pour le réchauffement climatique dont on sait qu’il rebattra considérablement les cartes du savoir, du pouvoir, et de la géopolitique mondiale. 

L’Europe a raison de croire en l’Airbus des batteries, c’est un défi de souveraineté majeur. Elle doit désormais porter la même attention aux domaines de l’hydrogène, de l’intelligence artificielle, l’humain augmenté. La bonne nouvelle de cette crise, s’il y en a une, c’est qu’elle nous aura aidé à définitivement tourner la page d’un ultralibéralisme fondé sur la décorrélation entre l’économie et le politique. Ainsi, nous assistons à un retour en grâce des grands desseins industriels, et serions bien inspirés de considérer le surplus d’épargne des ménages non comme une manne taxable mais bien comme une chance pour l’investissement.   

Sur le papier, beaucoup d’indicateurs sont au vert et on se sentirait presque coupable de venir troubler pareil optimisme. Oui mais voilà… Décider la ré-industrialisation du pays est une chose, reprendre rang dans la compétition mondiale en est une autre. Or, voilà vingt ans que les élèves français décrochent dans le classement international PISA, notamment dans les enseignements scientifiques. Il y a urgence. Si la France tergiverse tant pour renouveler son programme nucléaire, c’est certes en raison d’une équation complexe sur un plan politique comme budgétaire, mais aussi parce que les soudeurs hautement qualifiés commencent à manquer. Faut-il rappeler les bugs en cascade de l’EPR…       

Si chacun comprend l’enjeu de compétitivité, il est une autre raison pour laquelle cette reconquête des savoirs scientifiques doit redevenir une priorité des pouvoirs publics. L’ornière vaccinale dans laquelle se trouve la France (mais également beaucoup de pays de l’OCDE) rappelle combien le progrès ne préjuge pas de l’adhésion au progrès. Qu’elles le veuillent ou non, les démocraties doivent désormais composer avec un principe de précaution, qui est une forme de contrat social à part entière. Il suppose qu’on ne laisse pas l’opinion s’éloigner d’un minimum de rationalité scientifique pour maîtriser les termes de ce contrat. Est-ce encore le cas ?        

Le problème n’est pas tant la poignée d’imbéciles prompts à brûler des antennes 5G ou à saccager des centres de vaccination. Ils ont toujours existé. Inquiétons-nous en revanche de la facilité avec laquelle une minorité bruyante (souvent politisée) est capable d’entrainer une frange silencieuse et plus indécise. Inquiétons-nous du rôle des élites, qui naguère occupaient cette fonction de relais et de stabilisation, aujourd’hui considérablement diminué. Les réseaux sociaux et le média d’opinion ont beau fonctionner en accélérateur de passions, ils n’expliquent probablement pas tout… 

Comment dans le pays de Pasteur sommes-nous arrivés à un tel niveau de défiance envers la vaccination ? Pas uniquement celle contre la covid-19, d’ailleurs… On peut y voir un peu plus qu’un hasard si ce sont dans les pays où l’enseignement des savoirs scientifiques a le plus reculé que les théories anti-vaccins prospèrent le plus. Bouder les sciences n’a pas pour seul conséquence de produire moins d’ingénieurs, ce qui est déjà un problème en soi. Cela produit aussi des citoyens moins éclairés, et moins agiles dans une société toujours plus informative.     

Réindustrialiser, financer les retraites, préserver le contrat social, parmi ces trois raisons il y en a forcément au moins une, voire les trois, qui justifient que nous fassions de la reconquête des savoirs scientifiques LA grande cause nationale des dix prochaines années. Ce doit être bien-sûr une prérogative forte de l’Education Nationale. Mais elle ne saurait supporter cette responsabilité seule – ce doit être également le défi de l’éducation populaire, de nouvelles formes de vulgarisation, de la démocratie participative…       

En France, le débat autour de la vaccination atteint un niveau de contradiction inédit et particulièrement préoccupant. Ce sont désormais les démocrates qui peinent à objectiver le contrat social (le principe de conditionnalité des droits aux devoirs) et les extrêmes qui apparaissent comme les défenseurs des libertés individuelles. Nous entrons dans une zone de danger de laquelle les milliards du plan de relance, à eux seuls, ne parviendront probablement pas à nous sortir.

Ce n’est peut-être pas un hasard si les philosophes du siècle des lumières, pères de la démocratie moderne, furent également des hommes de sciences.