Flandres et Artois sont condamnés à regarder ensemble vers l’Europe.

cropped-IMG_20150808_095856_15101.jpgOn le sait maintenant Lille était loin du compte pour remporter l’Agence Européenne des Médicaments (AEM). Passé la déception, c’est toutefois le très faible score obtenu par la capitale des Flandres qui interpelle – 3 points. Autant dire que seule la France a voté pour elle-même.

Petit retour en arrière… Le 24 juin 2016, tout en plaidant pour une candidature des Hauts-de-France je mettais en garde contre un écueil. Nous devions, selon moi, nous méfier de notre vieux démon centralisateur qui nous conduit trop souvent à regarder la mondialisation à une mauvaise échelle. Pour avoir une chance de l’emporter, nous devions défendre bien plus que le projet d’une ville. Ma crainte était alors de voir Lille rapidement « noyée » dans une longue liste de villes prétendantes. Or, c’est bien ce qu’il s’est produit…

Nous devions proposer autre chose, un projet alternatif qui aurait permis à la Commission Européenne d’envoyer un contre-message fort au Brexit. Par exemple en implantant l’AEM, là où l’on doute le plus de l’Europe. Pourquoi pas dans l’ex bassin minier ? Parce que Le Louvre… Parce que le classement au patrimoine de l’UNESCO… Et surtout parce « L’AEM de Lille implantée à Lens » ne changeait rien au rayonnement lillois. Tout comme l’OMS est implantée à quelques kilomètres du cœur de ville genevois. Tout comme la Silicon Valley (que beaucoup prétendent calquer) s’étend sur une centaine de kilomètres. Tout comme les chefs-lieux administratifs sont rarement des capitales économiques dans les Länders allemands…

Partout dans le monde les métropoles qui tirent meilleure partie de la globalisation sont celles qui parviennent à se développer extra muros en emmenant les territoires voisins. Et non celles qui tentent d’empiler du projet dans des espaces rétrécis au mépris d’enjeux opérationnels et durables.

Chacun l’aura compris, Lille, Lens, Arras, Valenciennes, là n’était pas vraiment le problème. L’échec de la candidature de Lille nous a surtout jeté à la figure notre incapacité à nous projeter collectivement dans une vision eurorégionale quand nous voulons parler au reste du monde. Lille et sa métropole ne sauraient être tenue seules responsables.

Nous avons déployé des trésors de communication pour montrer combien nous étions capables d’accueillir 900 nouveaux collaborateurs et leurs familles – un effectif à peine plus élevé que celui d’une grande administration territoriale ou d’Etat comme il y en existe des dizaines dans n’importe quel chef-lieu de région.
Nous sommes restés muets, en revanche, sur l’environnement à réserver aux milliers voire dizaines de milliers d’emplois induits, en réalité le vrai cœur de l’enjeu.

Le marché mondial du médicament s’élève à quelque 1000 Md€ annuels, sans compter le numérique, les bio et nanotechnologies qui révolutionneront le domaine de la santé. Rapprocher 1 % de cette production équivaut 8 points de PIB régional ! Avons-nous porté un projet d’aménagement à la hauteur ? Avons-nous témoigné d’un engagement européen suffisant ? Avons-nous parlé troisième révolution industrielle qui pourtant nous tient tant à cœur en région Hauts-de-France ? Je ne le pense pas.

La Métropole Européenne Lilloise ne pouvait réussir sans afficher une synergie avec ses voisins – au lieu de quoi elle s’est focalisée sur un projet architectural, une offre hôtelière, un dynamisme culturel – arguments indéniables mais qui en définitive n’offraient pas grand-chose de plus que ce que pouvaient offrir Milan, Copenhague, Barcelone, Amsterdam…

Aurions-nous remporté le vote de la Commission ? Impossible de le dire. Mais ce qui est sûr, c’est que nous aurions engagé un changement dont sont friandes sur le long terme les directions stratégiques de d’Amazon, de Google, de Cisco… Et rien que cela c’était déjà gagner quelque chose, même en échouant dans la relocalisation de l’AEM !

Depuis lors, Lille a encaissé un échec cuisant qui a quelque peu entaché sa confiance, même si ce n’est que temporaire. L’ex bassin minier, qui aurait pu créer son propre « plan Marshall » en s’invitant comme « base arrière de l’industrie pharmaceutique et du numérique » s’est quant à lui encore un peu plus replié vers les extrêmes, attendant un énième plan d’urgence, au risque de finir par agacer d’autres bassins de vie s’estimant également sinistrés.

Il est trop tard pour refaire le match. Mais il est grand temps d’opérer une prise de conscience. Cette candidature « ratée » doit être une chance ! Ne nous voyons pas plus grand que nous sommes, mais regardons les forces qui sommeillent en nous.

La Métropole Européenne Lilloise que nous voyons « incontournable » à l’échelle des Hauts-de-France affiche une attractivité plus relative à l’échelle de l’Europe et du monde. Acceptons ce constat.

En ce qui les concerne, les territoires de l’ex bassin minier doivent sortir de leur isolement. Ils ne doivent pas confondre identité et éparpillement. Alicante compte plus d’habitants que l’arrondissement de Lens. N’importe quelle ville moyenne allemande (comparable à Lens, Douai ou Arras) compte cinq à dix fois plus d’habitants et se trouve souvent rattachée à un district trois à cinq fois plus important que nos communautés d’agglomération. L’heure n’est donc plus au BHNS qui enferme les mobilités … mais au passage à trois voies de l’A21 ainsi qu’à la connexion des zones d’activités au canal Seine-Nord qui ouvrent ! C’est à ce prix que nous tirerons structurellement profit des zones franches de l’Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier, que nous attirerons à domicile les entrepreneurs de la rénovation urbaine, de la haute qualité environnementale, du rebond automobile, du numérique…

Bref, l’échec de l’AEM nous apprend une chose essentielle : quand elles veulent regarder vers l’Europe et le Monde, Flandres et Artois sont condamnés à regarder ensemble, et avec d’autres, dans la même direction.