Loi travail : regardons l’essentiel!

cropped-IMG_20150808_095856_15101.jpg

Tout et son contraire a été véhiculé autour de l’avant-projet de la loi travail.

« Cette loi dénoncera les 35 heures ». C’est faux. Cette durée demeurera la durée légale du temps travail, et, par conséquent, le seuil déclencheur des heures supplémentaires.

 » Ces dernières (les heures supplémentaires) seront moins rémunérées ». C’est vrai… tout comme son contraire d’ailleurs, pourtant soigneusement écarté du débat par les détracteurs de la loi. En réalité, le niveau de rémunération des heures supplémentaires ne se négocierait plus à l’échelon de la branche professionnelle (comme c’est le cas depuis de nombreuses décennies) mais bien à l’échelon de l’entreprise (comme c’est le cas dans une majorité de pays de l’OCDE). Cette évolution, résolument plus en phase avec l’économie contemporaine et l’individualisation des carrières, constituerait un tournant de notre dialogue social. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, que la branche n’aurait plus sa place.

« Les entreprises pourront licencier plus facilement ». Oui et non… Car si la loi prévoit la barèmisation et le  plafonnement des indemnités prudhommales (15 mois), dans les faits ces montants correspondent peu ou prou à la moyenne des droits reconnus aux salariés en 2015. La barèmisation vise donc à encadrer des pratiques excessives et à la marge, mais non moins insécurisantes pour le salarié comme pour l’employeur, principalement au sein des PME et TPE où la moindre incartade peut se transformer en impasse de trésorerie avec des conséquences dévastatrices sur l’outil de production et l’emploi.

Par ailleurs, l’avant-projet de loi définit plus précisément les motifs qui pourront être invoqués par l’employeur au titre des licenciements économiques : baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant quatre trimestres de suite, dégradation de la trésorerie, maintien de la compétitivité… Les détracteurs de la loi seront prompts à dénoncer la difficulté d’appréciation (notamment concernant les deux derniers critères énoncés). C’est méconnaître la réalité des sociétés modernes où l’activité, humaine comme économique, ne saurait être régie dans tous ses interstices par la seule loi. Seules les républiques socialistes de l’ex Europe de l’Est s’y sont essayées, aujourd’hui quelques pays d’Amérique du sud – avec les conséquences que l’on connait…

Certains ne manqueront pas de pointer une autre faille : la loi ne permettrait pas à une multinationale qui se porterait bien à l’étranger de licencier dans sa branche française, momentanément moins performante. C’est plutôt vrai… Mais la réglementation actuelle le permet-elle plus ?

Au passage, tout ceci rappellera la gauche (mais pas que…) à un exercice de cohérence minimale. On ne peut être « contre tout » – « contre » l’adaptation de notre droit du travail à la compétition mondiale un jour… et  « contre » une Europe politique, plus forte face à l’échelon mondial, le lendemain !

La loi Travail ne réglera pas tout, il est vrai. Elle ne fera sens que si elle s’inscrit dans un projet plus global de « nouvelle société », économique et sociale, vision qui a totalement échappé au pouvoir en place depuis 2012. Cela a été vrai sur l’Europe, en matière d’économie, de social… Et ce ne peut être la tâche d’une loi, quelle qu’elle soit, de rattraper quatre années d’actions sinueuses ! En attendant, l’urgence économique et sociale ne saurait attendre 14 mois supplémentaires, et c’est la raison pour laquelle la loi travail doit être soutenue, amendée et votée.

J’entends et lis des prises de positions, ici et là, de parlementaires issus de cette même gauche idéologique réclamant la « réécriture complète » de l’avant-projet de la loi travail. En avons-nous le temps ? Et surtout, est-ce opportun ? Pour ma part, s’il devient urgent de débattre (ne serait-ce que pour pallier l’absence patente de méthode de ces dernières semaines) c’est bien, au contraire, pour préserver l’essentiel de la loi.

Je n’ai jamais entendu un chef d’entreprise faire de la médecine du travail le cœur de sujet de la perte de compétitivité de nos entreprises. Pourquoi alors mettre cette dernière à sac quand l’allongement de l’âge de la retraite invite, au contraire, à sa préservation ? Outre l’injustice légitime qu’elle suscite, la non-valorisation des astreintes ne polarise-t-elle pas inutilement le débat ? Le relèvement du plafond de la barèmisation n’est-il pas préférable (le patronat ne semble plus y être opposé) plutôt que sa suppression pure et simple ? A quoi bon promouvoir la loi travail sans concertation la semaine précédente… pour mieux surtaxer les CDD (qui par ailleurs le sont déjà) en guise d’apaisement la semaine d’après ?

Regardons l’essentiel ! La loi travail a le mérite de rapprocher le droit du travail français, non de celui des tigres asiatiques, mais bien de celui de nos plus proches voisins européens. Voisins par ailleurs peu réputés d’être des « enfers sociaux »… et vers lesquels s’expatriera une partie de la jeunesse qui a manifesté le 9 mars dernier une fois le diplôme en poche, si rien n’est entrepris d’ici lors. Voisins européens qui s’en « sortent » mieux que la France en matière de lutte contre les inégalités…

Oui – la loi Travail permettrait d’étendre, pour une durée donnée et précise, le temps de travail à 44 ou 46 heures dans des conditions exceptionnelles, voire 60 dans des situations plus exceptionnelles encore… durées exceptionnelles qui, en aucun cas, ne constitueraient une durée pérenne, encore moins une durée légale (qui, rappelons-le, restera à 35 heures sauf accord d’entreprise). Renvoyer aux caricatures de Zola ou Dickens est donc aussi infondé qu’inutile, sauf à vouloir souffler un peu plus sur les braises d’une contestation sociale. Pour qui ? Pour quoi ?

Oui – la loi travail « faciliterait » les licenciements… sauf à dire qu’elle « faciliterait » également, de fait, le recrutement en éloignant la crainte que suscite le licenciement tant pour le salarié que pour l’employeur.

Comme chacun le sait, il y a deux problèmes entiers derrière le problème global de l’emploi en France.

D’abord, la création d’emplois, trop faible – Nous n’avons créés que 57 000 emplois sur les deux années 2013 et 2014, et même le « rebond » de 80 000 constaté en 2015, s’il est salutaire, reste en deçà de la cible des 100 000 créations nécessaires pour absorber les seules nouvelles entrées sur le marché du travail chaque année. On mesure le chemin restant à parcourir pour tendre vers la stabilisation, puis l’inversion de la courbe du chômage…

Ensuite, la segmentation de l’emploi – La jeunesse française a raison de se mobiliser pour son avenir, comment le lui reprocher ! 1/4 des moins de 26 ans est actuellement sans emploi dans notre pays, indicateur qui nous rapproche plus de nos voisins d’Europe du sud que de nos voisins allemand ou scandinaves dont nous prétendons pourtant calquer la fiscalité et l’influence politique dans le débat européen.

On peut le craindre, les étudiants qui ont défilé le 9 mars dernier à l’appel de l’UNEF (moins de 4 % des étudiants) rencontreront des difficultés d’accès au marché du travail. Pour autant, sont-ils représentatifs du pire de ces difficultés ? Statistiquement, et sans en minimiser les contraintes (formation continue, mobilité, compétitivité), le niveau supérieur vers lequel s’oriente cette partie de la jeunesse (niveau III ou plus) renforcera considérablement les opportunités qui s’offriront à elle et sera, sur le long terme, gage d’un parcours plus stable tant sur un plan économique que social.

L’autre réalité, c’est que près de la moitié des jeunes (à priori absente des cortèges du 9 mars) quittent le système éducatif sans qualification, et jusqu’à 70 % en y ajoutant les titulaires d’un niveau V (CAP, BEP) dans certains bassins d’emplois du Nord et de l’Est de la France. En l’état de la construction économique de notre pays qui continue de croire en la désindustrialisation et en une réglementation « hors sol », cette « jeunesse là », moins qualifiée, sera la plus impactée par les difficultés d’accès au marché du travail, la démultiplication de CDD, la fragmentation des parcours…

Il serait intéressant de se pencher, dix ans après, sur les trajectoires d’emplois de ces deux catégories respectives (diplômés et moins diplômés) parmi la « génération CPE »  (dernière manifestation étudiante d’envergure contre la réforme du droit du travail en… 2006), génération aujourd’hui trentenaire. Dix ans après, je ne suis pas sûr que les premiers soient encore majoritairement en marge de l’emploi stable (et fort heureusement !) Je n’en dirais pas autant des seconds…

En nageant à contre-courant de la loi travail, la gauche va encore un peu plus à l’encontre d’un cœur électoral auprès duquel elle ne sait plus se légitimer autrement que par le slogan. Elle prive les partenaires syndicaux (qui aujourd’hui représentent moins de 9% des salariés) d’une opportunité inespérée de revenir au premier plan de la négociation d’entreprise. Notre démocratie en aurait pourtant bien besoin… Elle contribue à la lente mais inexorable éviction des classes populaires et des jeunes de la vie économique du pays. Et là, la chute risque d’être plus brutale encore à regarder de près les scores que réalisent l’abstention et le Front National auprès de ces concitoyens.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *