Le Contrat Social ? Pas avant 2017…

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En votant une délibération permettant de conditionner le versement du RSA à quelques heures de bénévolat au service d’associations, de collectivités locales ou d’établissements sociaux, le conseil départemental du Haut-Rhin a provoqué une levée de bouclier.

Les opposants à ce projet mettent en avant l’égalité devant la loi qui s’impose aux départements. C’est vrai. En matière d’ouverture de droits, une collectivité ne peut déroger ni à la hausse ni à la baisse.

En revanche, on semble oublier un peu vite qu’en 2008 le transfert de gestion du RSA s’est accompagné de celui du volet insertion qui fait désormais partie de la compétence d’action sociale au même titre que les politiques de l’âge, du handicap et ou de l’enfance, transférées depuis plus longue date.

C’est un fait, le Conseil Départemental du Haut-Rhin a manqué d’anticipation, peut-être même a-t-il fait preuve de maladresse. L’activation de ce minima social eut mérité la recherche d’une adhésion plus large des services de l’Etat, du Conseil Régional (au titre de la formation), de la Caisse d’Allocation Familiale. Or, faute de pédagogie on ne retiendra que l’effet couperet fondé sur les seules économies, et c’est bien dommage.

Ce bras de fer est néanmoins intéressant pour ce qu’il témoigne d’immobilisme, voire de schizophrénie,  en matière de décentralisation et de conduite des politiques sociales dans notre pays.

 

La question n’est plus de savoir ce que notre système social a été hier mais bien ce qu’il produit aujourd’hui

 

En 2015, les dépenses d’action sociale (âge, enfance, handicap, insertion) se sont élevées à 35 Md€ dont 27 laissées à la charge des départements. Mais plus que la dépense, c’est bien la trajectoire qui interpelle. Au cours des dix dernières années, celle-ci a augmenté de 4 à 5 points l’an soit 2 à 5 fois plus vite que la croissance. Pas besoin d’être Nobel d’économie pour comprendre que ce rythme n’est pas soutenable…

En outre, la stigmatisation qui frappe les allocataires montre que la dépense sociale est de moins en moins perçue comme un investissement et de plus en plus comme une charge.

En 2015, les pouvoirs publics ont consacré 9,7 Md€ au titre du RSA (dont plus de 3 laissés à charge des départements) contre à peine plus de 11 Md€ au titre des politiques de soutien à l’emploi (emplois aidés, CUI, CAE, contrats d’avenir). Ces deux trajectoires budgétaires, qui n’ont cessé de se rapprocher, pourraient prochainement se croiser. En cause : l’effet du chômage de longue durée, bien sûr, mais aussi l’impact des mesures du plan pauvreté, notamment la revalorisation de 10 points du RSA, intention louable s’il en est… mais quelque peu en contradiction avec la situation économique du pays.

Enfin, autre bombe à retardement : le « non recours ». C’est-à-dire ces « allocataires invisibles » qui ne font pas valoir leurs droits et que plus personne, ni Etat ni départements, n’ose encore aller chercher car il en coûterait 2 à 3 Milliards supplémentaires. L’Inspection Générale des Affaires Sociales évalue ce « non recours » à 30 % du nombre d’allocataires actuellement connus. Ce qui au passage écorne quelques stéréotypes sur l’assistanat….

On le voit, notre « modèle social » a beau avoir été l’un des meilleurs au monde, la question n’est plus de savoir ce qu’il a été hier mais bien ce qu’il est en capacité de produire aujourd’hui. Et en refusant l’activation de ses dépenses (notamment par la conditionnalité des aides sociales), et en refusant l’inclusion de ses politiques (c’est-à-dire le rapprochement des sphères du social et de l’économique), ce « modèle »  ne fait qu’alimenter un peu plus chaque année son propre immobilisme. Pire, il contribue à la stigmatisation de celles et ceux qu’il entend protéger. Qui peut l’accepter ? Il est donc grand temps de porter un regard neuf et résolument plus ambitieux.

 

 La vraie politique sociale, c’est d’abord la politique de l’emploi 

 

L’épisode du Haut-Rhin offre une énième illustration d’une France plutôt inquiétante qui n’est plus en capacité de débattre des politiques sociales en dehors de stéréotypes politisés et stériles.

Il ne fait aucun doute que notre pays souffre d’un déficit de création d’emploi. En 2015, en France, le secteur lucratif portait autant d’emplois… qu’il n’en portait en 1994 ! En cause ? Un décalage croissant entre notre modèle contributif et fiscal et le mode de fonctionnement de la mondialisation, la faiblesse de gouvernance économique de l’Europe (malgré la monnaie unique), le leurre d’une désindustrialisation heureuse supposément comblée par le tertiaire (à rebours de notre voisin allemand). Bref, nul doute que la vraie politique sociale commence déjà, et pour beaucoup, ici…  par la politique de l’emploi !

L’emploi repose autant sur des facteurs mondiaux et locaux, ce qui rend nécessaire la déclinaison des politiques au plus près des besoins – et le duopole département/euro-région n’a probablement jamais été aussi stratégique dans cette double lutte en faveur du développement économique et contre la précarité, intimement liés. On n’accompagne pas l’emploi dans les métropoles parisienne et lilloise caractérisées par un turn-over d’emplois tertiaires, comme on le ferait en Drôme Provençale sujette à des besoins en main d’œuvre saisonnière…

Or, notre pays continue de s’accommoder d’un chômage frictionnel sans équivalent en Europe. Chaque année entre 200 et 400 000 emplois (ou intentions d’embauche) peinent à être pourvus (ou à se concrétiser) faute de candidature adaptée, conséquence de la segmentation croissante du marché de l’emploi. Or, ce phénomène  s’accentuera encore avec l’ « ubérisation »  de l’économie.

Ces emplois très flexibles (dit «atypiques ») sont majoritairement occupés par une France de travailleurs pauvres, d’ailleurs elle-même de plus en plus défiante envers le « modèle social ». Il suffit d’observer la percée  du Front National au sein des classes populaires et des jeunes pour s’en convaincre… Paradoxe ? Pour beaucoup, oui. Sauf que… Tout en s’éloignant sociologiquement, ces « deux Frances », respectivement des « minimas sociaux » et des « travailleurs pauvres »,  ont connu une évolution (ou dégringolade, comme on voudra) comparable : respectivement + 21 % et 17 % entre 2002 et 2015. Pour ces compatriotes, il ne fait aucun doute que les politiques économiques ont failli… et que les politiques sociales n’ont pas plus pris le relais.

 

Qu’avons-nous fait de notre Contrat Social ?

 

Les politiques sociales ne doivent plus seulement prévenir les « sorties de routes » comme elles le faisaient dans les années 60 ou 70, époque où la « reprise d’emploi » rimait le plus souvent avec « sortie de la pauvreté ». Les politiques sociales doivent désormais accompagner des trajectoires d’emploi devenues plus sinueuses, parfois ponctuées de périodes d’activité et d’inactivité. En l’état, notre tissu économique ne dispose d’autres options que la démultiplication de CDD ou des missions d’intérim jusqu’à en flirter, parfois, avec la légalité, quand il ne s’agit pas de travail dissimulé.

Nous ne sortirons de cette situation qu’au prix d’une réforme en profondeur du « modèle français » et en construisant cette réforme autour de trois principaux piliers où social et économique sont étroitement liés : d’une part, la convergence fiscale en Europe (en particulier la fiscalité d’entreprise) ; d’autre part, l’adaptation de notre droit du travail à l’économie réelle (on peut se féliciter de la prise de conscience tardive du gouvernement dans ce sens bien que la méthode prête à caution) ; enfin, la réforme des politiques sociales. Aujourd’hui variable d’ajustement du monde économique, ces dernières doivent désormais constituer la variable d’inclusion des publics les plus fragiles vers l’activité (quelle qu’elle soit : emploi ou engagement associatif, secteur lucratif ou économie sociale et solidaire).

Je ne suis pas sûr que la solution réside dans la réinvention de dispositifs, déjà nombreux, mais plutôt dans l’adaptation de ce qui existe… ce qui est déjà de nature à agiter quelques tabous.

Des politiques plus accommodantes en matière de garde d’enfants (par exemple adapter les horaires des structures aux horaires «  atypiques »), le développement de groupements d’employeurs (permettant de reconstituer un parcours d’emploi stable par le cumul de plusieurs temps partiels auprès d’employeurs différents), le soutien aux secteurs sous tension par des politiques plus « offensives » (par exemple le reversement différentiel du RSA sous forme baisse de charges en échange d’un salaire plein)…  toutes ces « audaces » constituent autant de « normalités » chez la plupart de nos voisins européens peu réputés d’être des » enfers sociaux » ! Dans une majorité de ces pays, pour ne pas dire la totalité, la conditionnalité des aides sociales y est la règle. Pas compatible avec le « modèle français » ? Mais alors qu’est-ce qu’un projet d’insertion scellant droits et devoirs… sinon la définition même du Contrat Social ? Contrat social dont tout le monde s’accorde à reconnaitre le fondement de notre démocratie. Contrat Social dont tout le monde, à droite comme à gauche, se réclame… y compris parmi les rangs des opposants à la conditionnalité.

Nous ne réformerons pas notre société sans accepter de dépasser les dogmes…

 

 Rendre aux allocataires leur dignité

 

On ne peut que regretter le caractère résolument « hors sol » du débat qui entoure la conditionnalité des aides sociales, d’ailleurs entretenu à dessein par certains. Qu’il est facile de faire passer les sociaux-libéraux pour de dangereux réactionnaires ! Qu’il est facile, pour mieux refuser la modernité, que de renvoyer aux caricatures du passé et autant de références à Zola ou Dickens !

Sur le terrain, la réalité des travailleurs sociaux est autre. Tous diront combien la reprise d’activité quelle qu’elle soit (emploi, engagement citoyen, volontariat) s’avère capitale pour rebondir, réinsérer, au plus tôt, au plus vite, bref… avec le moins de « casse » possible.

En outre, il me semble que ce débat gagnerait en justesse et en qualité en levant la confusion qui règne entre freins à l’emploi et freins à l’employabilité.

Parce qu’ils sont maintenus trop longtemps éloignés de l’emploi, et voire parfois de toute forme de participation à la cité, certains des allocataires de minima-sociaux (et en particulier ceux du RSA) se trouvent dans des situations aiguës de désinsertion. Au-delà des seuls freins à l’emploi (le bon C.V., la bonne formation) viennent parfois se surajouter d’autres difficultés plus personnelles (d’ordre « psychosocial » pour reprendre une terminologie des travailleurs sociaux), difficultés s’accroissant à mesure que la période d’inactivité elle-même s’allonge – c’est ce que je qualifiais de freins à l’employabilité, dont la levée s’avère souvent une étape indispensable pour envisager la reprise d’un parcours emploi suffisamment solide.  

Face à ces situations, je sais les acteurs associatifs capables de prouesses en matière de développement individuel et collectif, avec des valeurs différentes, mieux adaptées, et complémentaires des valeurs du secteur lucratif. Or, depuis 2013 l’Economie Sociale et Solidaire a bénéficié de plus de 80 % des emplois d’avenir dont chacun sait que la majorité (pour ne pas dire la quasi-totalité) n’est pas pérénisable faute de trésorerie suffisante des associations employeuses qui les accueillent.

La question n’est donc pas de savoir si l’Economie Sociale et Solidaire, forte de ces 200 Md€ et de ses 2 millions d’emplois, doit continuer ou non d’être soutenue par des financements publics tant la réponse semble évidente ! Mais bien de s’interroger sur le levier le plus vertueux en termes d’efficience économique et sociale.

Or, substituer 100 à 150 000 des contrats aidés dans le secteur associatif par deux fois plus d’allocataires du RSA mérite réflexion à divers égards.

Sur un plan économique, cette « activation » (pour reprendre une terminologie institutionnelle mais je préférerais parler, pour ma part, de « valorisation ») de 10 %  de la dépense de RSA permettrait de réorienter la ressource de ces contrats aidés (1 Md€ en 2015) vers l’emploi de droit commun via la baisse de charges. Plusieurs scénarii seraient alors envisageables : soit la contribution au « pot commun » de la baisse de charges ; soit un ciblage vers les filières économiques sous tensions (porteuses d’opportunités vers les actifs plus faiblement qualifiés et les jeunes principalement menacés par la « trappe » à minima sociaux). Transformer cette ressource en « droit de tirage » des euro-régions au profit de politiques de soutien à l’emploi lorsqu’elles sont en lien avec les orientations des schémas de développement économique (et en coordination avec les départements, donc, sur le volet insertion) mériterait également réflexion…

Enfin, sur un plan individuel, pour celles et ceux qui en doutent encore, je les invite à s’intéresser aux chantiers d’insertion, au service civique, la garantie jeune, pour comprendre combien revenir dans une dynamique collective après en avoir été exclu, être renvoyé à autre chose que ses échecs, renouer des contacts utiles, bref combien tous ces « petits leviers », « anodins » pour toute personne insérée, peuvent s’avérer déterminants pour rebondir. Et là, je ne parle pas d’économie, ni même de politiques sociales au sens propre…  mais bien d’humain !

Redonner un rôle d’acteur économique, fut-ce au titre de l’Economie Sociale et Solidaire, fût-ce que quelques heures par semaines, ne peut que redonner un rôle de contributeur social, principal cause de stigmatisation, bref… rendre aux allocataires leur dignité. On aimerait parfois que la gauche supposément « bien-pensante » et supposément favorable aux plus précaires, lorsqu’elle parle au nom de ces derniers, y réfléchisse à deux fois…

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