72 Md€. C’est la hauteur du déficit budgétaire de la France en 2015. Il viendra abonder 2100 Md€ de dettes, soit un peu moins de 96 % du PIB. Hélas, le budget 2016 infléchira peu cette tendance.
72 Md€, nous pourrions les trouver. Mais au prix de sacrifices qui restent abstraits pour la plupart des Français, faute de pédagogie.
72 Md€, c’est un peu moins de la moitié de la masse salariale des fonctionnaires ou encore 80 % des fonds de concours versés par l’Etat vers les collectivités territoriales, premier investisseur public.
Équilibrer cette dépense par de nouvelles recettes équivaudrait, par exemple, à un relèvement de 10 points de TVA ou encore au doublement de l’impôt sur le revenu (75 Md€), au triplement de celui sur les sociétés (un peu moins de 40 Md€).
Bref, aucune de ces pistes, prise individuellement, ne saurait constituer une issue politiquement viable.
Disons le clairement : le rétablissement des comptes publics sera un processus long qui nous emmènera à l’horizon de 2020 et probablement au-delà. Le prochain Président de la République et sa majorité, quels qu’ils soient, auront à agir sur les dépenses et les recettes. Mais ce ne sera pas suffisant : seule une utilisation responsable des fruits de la croissance permettra de réduire mécaniquement nos déficits structurels.
Nous pouvons faire le choix de ne regarder que le seul versant de l’austérité, posture éminemment dangereuse qui ne pourra qu’abonder les frustrations et qui, en définitive, fera le lit des extrêmes… Ou, au contraire, faire le choix d’y voir une opportunité.
Nous pouvons considérer qu’il est trop tard, qu’il est urgent d’attendre 2017 en partant du principe que la politique obéit à une sorte de « science exacte »… Ou, au contraire, considérer que l’alternance, seule, ne fonde pas automatiquement un projet, encore moins une dynamique. Et dans ce cas, considérer que beaucoup de choses peuvent, ou plutôt doivent, déjà s’anticiper, en 2016, en termes d’outils, de débats, de réformes de nos institutions.
Le modèle fiscal et contributif, l’Europe, les territoires : questions centrales de la Présidentielle de 2017
Au cours des trente dernières années, l’Europe, la mondialisation et la libéralisation financière se sont invités dans le débat public. Mais force est de constater que les organisations sociales qui en découlent restent encore très ancrées dans le monde de 1945. Oser le dire et en pointer les limites, c’est déjà se rendre suspect de vouloir dénoncer notre « modèle social ».
Depuis trente ans, les Françaises et Français ont connu un empilement de réformes, le plus souvent conduites par petites touches (retraites, assurance maladie, chômage) et dépourvues de trajectoire globale. Tout au plus, et il est bien juste de le reconnaître, ces réformes sectorielles ont permis de sécuriser l’équilibre à court terme. Mais sans vraiment garantir la soutenabilité de ce modèle face à une compétition mondiale galopante.
Au fond, quel problème la fiscalité pose-t-elle dans notre pays ? Est-ce son niveau ou sa répartition ?
En 2015 l’impôt sur le revenu aura battu deux records : son rendement (parmi les plus élevé de ces vingt dernières années) et le nombre de contributeurs, qui n’a jamais été aussi faible (46 %). Comment ne pas donner le sentiment de deux Frances qui s’éloignent toujours un peu plus l’une de l’autre ?
En son temps Jacques Chirac parlait de « fracture sociale », expression caricaturée à l’envi et que plus personne n’ose utiliser tant cette fracture, loin de s’être réduite, a muté en une sorte de « fragmentation sociale », et vraisemblablement, « communautaire », de la société française. Ainsi, vingt ans après le débat autour de la « citoyenneté » a remplacé celui de la « fracture sociale » en reprenant les principaux codes.
Nous semblons avoir oublié, Français, combien dans une république moderne la participation à l’impôt fonde l’exercice de cette même citoyenneté, citoyenneté que nous n’avons cessé de réinventer par la démultiplication de dispositifs spécifiques.
Et si la réduction de la « fracture sociale » passait, au moins en partie, par la réduction de la « fracture fiscale » ? Oh bien sûr, j’entends déjà la gauche et l’extrême-droite railler la proposition (« faire payer les pauvres ») ! Que les caricatures sont faciles… Mais qu’ont proposé les premiers et que proposent les seconds pour faire du « vivre ensemble » autre chose qu’un vague concept ? Pour restaurer ce « sentiment d’appartenance » que nous regardons décliner avec tant d’anxiété et d’impuissance ?
Un rendement constant avec des taux plus bas et une assiette plus large ne contribuerait-il pas à un meilleur consentement à l’impôt, quel qu’il soit ? Emploi, logement, éducation, politiques migratoires : au delà de la seule équation budgétaire, il est probable que nombre de sujets socialement clivant seraient posés et débattus différemment.
Quel message la révolte de « bonnets rouge » ou des « pigeons » nous a-t-elle envoyé ?
Le spectacle honteux de dégradations perpétrées par une minorité n’a-t-il pas éclipsé une peu vite le message d’une majorité ? Un pacte, fut-il de compétitivité ou de responsabilité, ne saurait se substituer plus longtemps au contrat social et républicain, contrat par lequel toute imposition nouvelle devra être conditionnée par le retrait d’une imposition existante équivalente. La fiscalité écologique ne pourra trouver sa légitimité que si elle se déploie à isopérimètre de prélèvements, et non si elle se surajoute à une machine fiscale devenue folle.
Il pourrait en être de même avec le système de normes (sociales, environnementales, techniques). La propension à déroger systématiquement à la hausse à la norme européenne est devenu une règle française (avec une seconde consistant, inversement, à retarder celles qui s’avèreraient plus protectrice pour le consommateur). Osons admettre que ces « sur-normes à la Française », en pesant des centaines de millions d’euros sur la société civile et l’entreprise, font autant de dégâts qu’une fiscalité mal équilibrée.
Relancer le contrat social, fiscal et écologique
Personne ne croit en un modèle français diminué de ses normes au point de devenir fiscalement compétitif avec les pays que nous appelons encore, à tort, « émergents ». L’erreur serait d’autant plus grande que ces derniers commencent à être rattrapés par l’exigence sociale et environnementale. En outre, le mouvement de relocalisation auquel nous assistons depuis peu vers l’Europe et les Etats-Unis sera consommateur d’une main d’œuvre performante aux antipodes d’un modèle « socialement dumpé ».
Nous pouvons attendre, patiemment et hypothétiquement, les effets de cette convergence mondiale. Ou choisir de l’accompagner, voire de l’accélérer – tel est ce qui différencie le conservatisme du réformisme. C’est également en ces termes que se posera le choix de société en 2017.
Nous pouvons le faire par la relance de la compétitivité du facteur travail, de l‘investissement et la troisième révolution industrielle. Le fil conducteur, c’est une réforme en profondeur de notre modèle contributif et fiscal. Ce virage doit être aussi radical que celui de 1945, en y intégrant l’Europe, l’écologie productive, la mobilité du capital, des compétences…
Déplacer 15 à 20 Md€ de contributions sociales du travail vers la consommation (1.5 à 2 points de TVA), libérer le travail (laisser chaque branche la possibilité d’en fixer la durée entre 35 et 39h), fusionner CDD et CDI en un contrat unique à droits progressifs, déplacer le contrôle de l’Etat, développer une vraie politique de mobilité et d’apprentissage… Il n’existe pas une mesure, unique et miraculeuse, pour relancer la société de progrès telle que nous ne l’avons plus connue depuis les trente glorieuses. Mais bien un ensemble de mesures, fondant une « autre politique », globale, coordonnée et structurelle.
Rapports Attali, Lamy, Cour des Comptes : les pistes sont connues… Nous les regardons, dubitatifs et dilatoires, depuis plusieurs décennies. A défaut de réponse totalement adaptée à la mondialisation, cette « autre politique » permettrait à tout le moins de réduire l’écart de compétitivité avec nos voisins est-européens, parfois plus ravageur que la concurrence asiatique vers laquelle nous restons curieusement braqués.
Ne cherchons pas dans l’Europe la part de solutions qui se trouve chez nous. Mais ne croyons pas nous plus que nous pourrons conduire une « réforme à la française » à son terme sans une Europe forte, seule capable de relever des défis globaux et géopolitiques. Or, les deux prochaines années seront décisives.
Tout d’abord, parce que l’année 2017 sera une année d’élection en France et en Allemagne. Le duo qui en ressortira sera déterminant pour relancer ou non la locomotive européenne. Nous avons cruellement besoin d’un nouveau tandem Schmidt-Giscard d’Estaing ou Mitterrand-Kohl pour projeter l’Europe à 15 ou 20 ans.
Ensuite, les nouvelles euro-régions : elles auront à bâtir un projet qui sera scruté par le monde économique dans ce qu’il comportera ou non de synergies avec les orientations du Plan Juncker et d’Europe 2020. En clair : soit l’Europe parvient à prendre le leadership de nouveaux cycles technologiques (et en particuliers ceux de l’écologie productive), soit elle reste sur sa stratégie de « non choix » macro et micro-économiques, principale cause de la « croissance sans emplois » des années 2000. Puissent ces nouvelles euro-régions aider les Français à changer leur vision de l’Europe ! L’Europe ne peut se construire qu’à partir des dynamiques de territoires. Ce qui ne la fonde certainement à vouloir « écraser » ni même « uniformiser » ces derniers, bien au contraire…
Enfin en respectant ses engagements en matière de réduction de ses déficits, la France peut envoyer un signal fort vers ses partenaires : celui d’une nation capable de relancer, demain, des projets aussi ambitieux que concrets pour la sécurité et le bien-être des Européens telle la convergence sociale et fiscale, une réponse adaptée aux nouvelles menaces, la sécurisation des frontières externes…
Les Françaises et les Français ont largement cette capacité de rebond
On le sait, l’année 2016 ne pourra être une année de grands chantiers, proximité de la présidentielle oblige. Puisse-t-elle seulement constituer une année de transition !
Il n’est point de femme ou d’homme providentiel mais bien des leaders capables d’aider les peuples à prendre ou reprendre leur destin en main.
Avec une abstention supérieure à 50 % et 7 millions d’électeurs votant pour les extrêmes, la classe politique se heurte désormais à un défi de taille : convaincre. Or, la relance du contrat social, fiscal et écologique nécessitera un consensus minimal. Nous devons redonner de la force de débat et d’adhésion à notre nation. Aussi, l’instauration de la proportionnelle apparaît-elle, en 2016, comme le premier acte du grand dessein réformateur de « l’après 2017 ».
La proportionnelle ne règlera pas tout, loin s’en faut ! Mais elle réenclenchera un processus politique dont notre société a cruellement besoin pour rebondir, économiquement et socialement. Les Françaises et les Français ont largement cette capacité de rebond. Ils en ont apporté la preuve, en 2015, face à la menace terroriste et pour montrer l’union nationale.
A 16 mois de l’échéance présidentielle, il n’est pas complètement trop tard.