Le plan d’urgence pour l’emploi présenté par le Président Hollande devant le Conseil Economique Social et Environnemental le 18 janvier dernier témoigne de quatre ans d’insuffisance de cap économique, c’est un fait.
Rarement dans une même séquence un gouvernement aura autant appuyé sur l’accélérateur et le frein. Siphonner les fonds dédiés à l’apprentissage au profit de l’emploi aidé… pour mieux revenir au premier face à l’échec du second. Promouvoir un choc de simplification… pour mieux embrayer l’année suivante sur un « choc de complexification » au détriment de l’autoentrepreunariat (qui se traduira par un recul de 20 % des créations entre 2014 et 2015). On ajoutera l’hyper-concentration de l’impôt sur une minorité (46 % des ménages, chiffre jamais atteint), il est vrai non sans y avoir fait entrer l’année précédente des catégories qui jusque-là en étaient exonérées. Citons enfin, et sans être exhaustif, la réfaction des fonds de concours de l’Etat vers les collectivités, orientation nécessaire… si elle ne s’était accompagnée dans le même temps de nouvelles obligations (la réforme des rythmes scolaires dont l’impact peut être évalué entre 800 millions et 1 milliards).
Pour celles et ceux qui en doutaient encore, l’ère Hollande aura définitivement montré l’inefficacité du « ni offre – ni demande »
Le constat est sans appel : 700 000 chômeurs supplémentaires entre 2012 et 2016. Quand notre pays créait difficilement 30 à 40.000 emplois/an, nos voisins européens en créaient trois à cinq fois plus. Au cours des quatre dernières années, les courbes du chômage de la zone euro et de la France se sont ostensiblement rapprochées et, sauf inflexion, elles se croiseront en notre défaveur en 2016. Ce qui invite à rechercher les causes de nos maux non dans l’Europe comme souvent, mais bien du côté de nos rigidités internes en termes de normes et de fiscalité. Pour autant, « taper comme des sourds » sur la politique du Président Hollande m’indispose tout autant que le constat de sa politique. Un autre leader aurait-il fait mieux ? Sur un plan conjoncturel, c’est très probable. Sur un plan structurel, cela se discute tant les causes de notre dégringolade dans la mondialisation sont profondes. Mon attachement à la proportionnelle est connu (http://patrick-debruyne.eu/index.php/2015/12/13/le-front-republicain-cest-la-proportionnelle/). Je me contenterai ici d’observer que nous sommes l’un des derniers pays en Europe à ne pas l’avoir instaurée… et précisément le pays où l’expression des intérêts sectoriels s’avère aussi bloquant pour réformer la société, notamment la question de l’emploi et le modèle contributif. Ainsi au cours des quatre dernières années la politique de l’emploi a-t-elle prioritairement reposé sur l’emploi aidé et trop peu sur la baisse de charges, bien qu’il convienne de souligner l’impact positif du CICE pour réduire (un peu) l’écart de compétitivité horaire avec nos voisins européens. Certes l’emploi aidé a été l’apanage de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 30 ans. Mais rarement, il n’aura été décuplé dans cette ampleur (de 300 à plus de 500 000 contrats en deux ans) tout en ciblant quasi exclusivement l’économie sociale et solidaire. Ce qui eut pu fonctionner… si cette mobilisation de moyens ne s’était pas opérée au détriment de l’économie lucrative. Réduire de 100 000 le nombre de ces contrats (soit revenir au niveau de 2013) permettrait, par exemple, de multiplier par 8 les moyens alloués au dispositif d’activité partielle et ainsi porter ce dernier au niveau allemand, activité partielle dont le rôle « d’amortisseur de crise » n’est plus à démontrer pour la préservation de l’emploi dans le secteur industriel. Réduire encore de 100 000 ce nombre (soit revenir cette fois au niveau de 2012) permettrait, autre exemple, de rediriger un milliard supplémentaire vers l’apprentissage, axe fort du plan d’urgence annoncé le 18 janvier. Est-ce trop tard ? A l’horizon du quinquennat, ça ne fait aucun doute. 700 000 créations en 16 mois ou même « rapprocher » 500 000 demandeurs d’emploi des formations qualifiantes (même si personne n’est dupe) relèverait de l’inédit, y compris aux heures les plus fastes des trente glorieuses. Soit dit en passant, plus personne ne sait vraiment si la crédibilité du Chef de l’Etat reste engagée sur une diminution du chômage au niveau de 2012 ou sur un « simple frémissement ». Pas de doute, l’urgence est bien désormais de laisser la Présidentielle de côté au profit d’un changement de cap économique dont on sait qu’il ne pourra générer des résultats tangibles qu’à moyen terme (le « moyen terme » du monde économique, c’est-à-dire : 2 à 3 ans).
Ce changement de cap peut-il s’opérer sans les euro-régions ?
Incontestablement, non. Au titre de la loi NOTRE, les nouvelles régions qui le souhaitent ont vocation à se voir confier l’ensemble du Service Public de l’Emploi (Pôle Emploi demeurant la prérogative de l’Etat). Or, les nouvelles régions ont été les grandes absentes du discours du 18 janvier dernier. Tout comme la participation des départements qui, au regard de l’enjeu, mériteraient d’être mieux intégrés au titre du volet insertion du RSA ou la garantie jeune. Evidence pour beaucoup… Je serais néanmoins curieux de connaitre l’accueil que recevrait un duo-pôle constitué département-région souhaitant, par exemple, expérimenter le reversement différentiel du montant du RSA vers l’entreprise (sous forme d’allégements de charges) en contrepartie d’un accompagnement vers la reprise d’emploi et dans l’emploi des publics, proposition d’ailleurs formulée par un candidat centriste aux dernières départementales de l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais.
Ce changement de cap peut-il s’opérer sans une refonte du droit du travail ?
Un « droit socle » mieux circonscrit serait de nature à renouer avec la confiance des créateurs et entrepreneurs. De fait, une importance nouvelle laissée au contrat (et/ou à la convention collective) rehausserait l’intérêt des salariés pour le dialogue social, aujourd’hui à l’état de chimère (moins de 9 % d’entre eux étaient syndiqués en 2015). Que dire de la refonte du CDI et CDD en un contrat unique à droits progressifs (de fait une sorte de « CDI pour tous ») ? Prétendre que le CDD « devient la norme « comme il est souvent fait état constitue un raccourci aussi imprécis qu’improductif. En 2015, le CDD représentait 85% des nouvelles embauches (car nombre d’employeurs l’utilisent désormais comme une période d’essai) alors que 95% de l’emploi salarié demeurait, fort heureusement, en CDI. L’autre réalité, c’est qu’en restant circonscrit à un même public (jeune et moins qualifié) le CDD a fortement participé à la bipolarisation du marché de l’emploi. Inversement, craindre une flexibilisation « à tout va » de l’emploi via le contrat unique revêt une méconnaissance patente de l’entreprise, de ses enjeux en matière de développement, de maintien des compétences… Le monde avance et nous faisons le choix d’avancer sans lui ! Nous avons désormais le choix entre maintenir les conditions d’un marché de l’emploi dual tel que nous le connaissons actuellement – ou, au contraire, réfléchir collectivement (droite, gauche, centre, partenaires économiques et sociaux) à un modèle plus universel, modèle où la sécurité ne reposerait plus exclusivement sur le statut mais bien sur les parcours. Il ne s’agit évidemment pas de diminuer les sécurités, personne ne l’accepterait (et certainement pas les centristes), mais bien d’en diminuer les rigidités. Evidemment chacun mesure la rôle de la formation et de l’apprentissage dans ce modèle « flex-sécurisé » – et nul ne saurait être en désaccord avec le discours présidentiel sur ce point.
La « flex-sécurité à la française » réclamera une réforme globale de nos structures économiques et sociales.
Tout d’abord notre modèle assurantiel : maintenir des taux de remplacement hauts mais en contrepartie d’une mobilité mieux tolérée, réfléchir à de nouvelles formes d’indemnisations incitatrices d’une reprise plus précoce (par exemple compenser la perte de revenu lié à un changement d’emploi temporairement moins rémunérateur), promouvoir des modèles d’emplois inédits (groupements d’employeurs, mises à disposition au sein d’un même cluster, d’un consortium)… Mais également, notre modèle contributif : laisser chaque branche libre de fixer la durée du temps de travail entre 35 et 39 heures (par exemple pour une durée contractuelle de trois ans révisable en fonction de la conjoncture), pérenniser et relever le CICE de 10 milliards (par un mix réduction de la dépense publique et transfert d’un point de TVA)…
L’Europe, l’autre absente …
Comme François Mitterrand trente ans avant lui, le Président Hollande est plus animé par la fibre politique que par la fibre économique. Mais à la différence du second, le premier fut guidé par une ambition européenne, il est vrai facilitée par la qualité de la relation avec son homologue allemand. Ce dont ne peut malheureusement se prévaloir François Hollande avec Angela Merkel. Chacun le sait, l’unité du duo Mitterrand-Kohl fut déterminante dans la création de la monnaie unique et l’ouverture des marchés, salutaires pour nos deux économies. Depuis son sursaut en 2010 qui lui permit in extrémis d’affronter la crise des dettes souveraines, l’Europe fait preuve d’une atonie aussi spectaculaire qu’inquiétante en matière de croissance et d’emploi au point de donner de l’eau au moulin des partisans nationaux des Grexit et Brexit. Or, le chômage, en France comme dans le reste dans la zone euro, est aussi un chômage de transition. Pour en sortir, nous avons besoin d’actes aussi ambitieux que la monnaie unique en son temps. Convergence fiscale et sociale, intégration des marchés de l’énergie, pérennisation du plan Juncker, fiscalité verte européenne par redéploiement de fiscalités nationales : ce sont vers ces échéances qu’il faut désormais rapidement nous tourner. Certes, ces considérations peuvent sembler un peu éloignées des considérations d’urgence contenues dans le discours présidentiel du 18 janvier dernier – sauf à dire que l’urgence n’est après tout que le fruit des politiques structurelles qui n’ont pas été mises en œuvre trois, cinq ou dix ans en amont. Et incontestablement le manque de vision européenne en fait partie. Certes, le « réveil européen » ne pourra intervenir sans de meilleures dispositions allemandes. Mais osons reconnaitre que l’attitude dilatoire de la France (qui en fait a débuté sous la mandature précédente) pour mieux échapper à nos engagements budgétaires, tout comme le caractère superficiel des réformes engagées, n’ont que peu incité Berlin à réviser sa position. Oui, l’échéance de 2017, c’est aussi celle-là… Des élections se tiendront des deux côtés du Rhin. Et le duo qui en émergera peut considérablement changer la face de l’Europe en matière de croissance et d’emploi. Et oui, l’urgence, pour 2016, c’est une prise de conscience d’abord franco-française. Le signal que nous devons envoyer à nos concitoyens est le même que celui à envoyer au reste de la zone euro : ce qui n’a pas été accompli depuis plus de dix ans, faute d’ambition, peut et doit l’être pour les trois à cinq prochaines années.