L’Europe Sociale a besoin d’un « plan Juncker » !

L’Europe est sortie renforcée des crises contemporaines qu’elle a traversées. La chute du mur de Berlin, qui laissa craindre une partition jouée trop en solo par l’Allemagne, a donné naissance à la monnaie unique. Les dettes souveraines, qui auraient pu sonner le glas de l’Union Européenne, ont aidé à avancer vers le fédéralisme économique. Transformer les crises en mouvement est l’une des principales forces de l’Europe, et reconnaissons que ce n’est pas donné à n’importe quelle démocratie. Hélas, c’est aussi devenu son plafond de verre.

Moins que l’antieuropéeïsme ou l’euroscepticisme qui, eux, se nourrissent des idéologies, cette construction trop faiblement régalienne de l’Europe aurait plutôt tendance à cultiver l’a-européeïsme, sorte de désintérêt général et croissant pour la chose européenne. En vingt ans l’abstention a bondi de près de vingt points. Parler de « montée des populismes » aurait quelque chose d’impropre s’il n’était rappelé l’effondrement de l’adhésion populaire à l’Europe.

La réalité est que les valeurs de paix ne suffisent plus à rallier celles et ceux qui se sentent en guerre dans la mondialisation. Pas plus qu’Erasmus ne saurait constituer l’unique réponse vers une jeunesse périurbaine ou rurale, moins connectée et moins mobile que celle des métropoles. Face aux transformations annoncées de l’intelligence artificielle sur l’emploi, la classe moyenne attend autre chose qu’un énième exposé sur l’euro ou le FEDER. Qu’on se le dise, on ne fera pas réadhérer à l’Europe à coups de slogans !

L’élection de mai 2019 marquera un tournant parce que l’espace de débat est en pleine recomposition, pas seulement en France. Pour la première fois il sera permis de critiquer l’Europe non pour la rejeter mais pour l’aimer ! Nous avons une chance historique pour tendre la main à celles et ceux qui, lassés d’une Europe timorée, trop technique, ou trop lointaine, s’étaient tus ou vus injustement relégués dans le fourre-tout réactionnaire. Centristes libres, porteurs d’une foi inébranlable dans le progrès, nous adorons l’Europe ! C’est pourquoi notre responsabilité dans ce débat doit être à la hauteur de l’exigence que nous cultivons pour l’Europe –  immense.

A quelques semaines du scrutin, l’Europe de 2019 ressemble comme à s’y méprendre à l’Europe de 2014 ou 2009 : forte mais groggy. Si le Brexit signe la victoire de l’Europe, il n’en reste pas moins l’échec des Européens. Retournons le problème comme on le voudra : l’Europe sociale s’impose ! Le problème n’est pas tant que des écarts existent en Europe. C’est qu’ils ne se réduisent pas. La question est moins de savoir si l’Europe sociale est de nature à faire le jeu des sociaux ou des libéraux, des « petits » ou des « grands » États… L’Europe sociale doit permettre aux Européens de retrouver du dénominateur commun. Sans cohésion, ils ne parviendront pas à se projeter vers le monde. La défense européenne, la réforme du droit d’asile, la lutte contre le réchauffement climatique réclament ce sursaut.

Le socle européen des droits sociaux a été l’une des réponses de la Commission Européenne au Brexit. La future Autorité Européenne du Travail qui en est issue permettra bientôt de coordonner les différentes administrations du travail au sein de l’Union pour mieux lutter contre la fraude au travail détaché, véritable fléau dans les secteurs du bâtiment ou des transports. Beaucoup reste à accomplir telle l’instauration d’un SMIC européen, l’harmonisation des assiettes fiscales, la portabilité totale des droits d’un pays à un autre, l’emploi des jeunes ou le paiement des charges sociales au plus avantageux pour le salarié et au plus juste pour l’entreprise.

Nous avons le choix entre baisser les bras devant l’ampleur de la tâche ou fédérer autour du défi. La convergence a été et reste l’ADN de l’Europe. Ceux qui ont connu l’Espagne ou le Portugal des années 1970 mesurent le chemin parcouru grâce aux politiques structurelles. Faut-il rappeler les écarts de compétitivité qui prévalaient dix ans avant la monnaie unique ? Plus près de nous, le plan Juncker, unanimement loué pour son impact sur la croissance, a rapproché les Européens sur un début de vision industrielle partagée : 335 milliards, 900 projets, 0,6 de PIB, plus de 700 000 emplois. Cet « interventionnisme » économique n’est pas sans rappeler celui de la PAC sans lequel l’Europe n’aurait pu accéder à l’indépendance alimentaire. Tous ces défis ont un autre point commun. Ils eurent à affronter leurs sceptiques,  parce que trop ambitieux, trop compliqués. S’il n’y avait eu des De Gaulle, des Mitterrand, des Delors pour forcer le destin…

La transition sociale en Europe sera le chantier d’une décennie, voire au-delà. Nous ne l’engagerons pas sans réfléchir à un  mécanisme de compensation destiné à pallier la dégradation de compétitivité des Etats consentant à converger vers le haut. Il nous faudra trouver quelque chose qui soit à la fois l’équivalent et autre chose que le plan Juncker (celui-ci étant principalement abondé par des fonds privés). Cela a de quoi donner des sueurs froides ! Gardons toutefois en tête que les Etats les plus éloignés de la  convergence ont des PIB à deux voire trois chiffres, avec une croissance qui est de nature à aider l’exercice. Les difficultés sont partout en Europe, tout comme les solutions. Elles sont désormais à rechercher dans les territoires qui, eux-mêmes, auraient autant à gagner d’un renforcement du droit commun européen que de la stratification des aides structurelles. On peut également craindre que l’inflexion de la BCE voulue par beaucoup (un peu moins en faveur de la stabilité des prix et un peu plus en faveur de l’emploi), ne voie jamais le jour sans consentir à un tel signal.

Chaque année les Européens dépensent 46 % de ce qu’ils produisent, soit un peu moins de 7500 milliards. Dégager 1 % de cette dépense publique redonnerait une marge de manœuvre comprise entre 70 et 80 milliards à l’échelle de l’Union sans fiscalité nouvelle. Redéployer un quart de point des TVA nationales permettrait de libérer quelque 10 à 12 milliards, là encore sans fiscalité nouvelle. La perspective de l’Europe sociale peut-elle nous motiver à mettre en place la taxe sur les transactions financières ou sur les GAFA ? Ou, tout simplement, à mieux lutter contre l’évasion fiscale à l’échelon européen ?  Si la campagne des Européennes permettait déjà de redonner aux Européens le goût de la politique…

 

Social Europe demands a « Juncker Plan » !

Europe has emerged stronger from the contemporary crises it has gone through. The fall of the Berlin Wall, and the fear of Germany playing its role on her own, helped to create the single currency. Sovereign debts, which could have sounded the death knell of the European Union, helped to enhance economic federalism. Turning crises into movement is one of Europe’s main strengths and it is an obvious sign of democracy. Alas, it has also become its  « glass ceiling ».

Less than antieuropeanism or euroscepticism, which are fuelled by ideologies, this low-regalian construction of Europe would rather tend to cultivate a-Europeanism, a sort of general and growing disinterest for Europe. In twenty years the abstention surged by nearly twenty points. It is therefore wrong to talk about the « rise of populisms » without recalling the collapse of a popular faith in Europe.

The reality is that the values ​​of peace are no longer enough to rally those who feel at war with globalization. Erasmus shouldn’t be the only solution proposed to a suburban or rural youth, less connected and less mobile than that living in metropolises. Faced with the forthcoming changes in artificial intelligence on employment, the middle class awaits something stronger than a long presentation on the euro or the ERDF. Let it be said, we will no longer promote Europe with slogans !

The election of May 2019 will mark a turning point because the debate on Europe is moving, not only in France. For the first time it will be allowed to criticize Europe not to reject it but to say how we much it should be loved ! We have a historic chance to talk to those who, tired of a timorous Europe, too technical, or too distant, have been quiet or have been unjustly labelled as « reactionnaries ». As Centrists, bearers of an unshakeable faith in progress, we love Europe ! That is why our responsibility in this debate must be equal to the requirement we are cultivating for Europe – immense.

A few weeks away from the election, Europe in 2019 mirrors Europe in 2014 or 2009 : strong but groggy. If the Brexit is the victory of Europe, it remains the failure of the Europeans. Somehow, Social Europe is needed ! The problem is not so much that gaps exist in Europe. It is because they are not reducing. The question is less whether Social Europe is likely to play the game of socials or liberals, smaller or larger States… Actually, social Europe is just the only alternative for Europeans to find a common denominator and come up with all other major issues such as European defense, climate change, common European asylum system…

The European Pillar of Social Rights was one of the responses of the European Commission to Brexit. The future European Labor Authority will soon coordinate the various labor administrations within the Union to allow better supervision on posted work, real issue in the building or transport sectors. Much remains to be done, such as the introduction of european minimum wages, fiscal harmonization, improved portability of rights from one country to another, youth employment and, most of all, the payment of social charges at best rate for workers and firms as well.

Social Europe is a huge challenge. We have the choice between giving up or federating on it. Nevertheless, convergence has been and remains the DNA of Europe. Those who remember the situation in Spain or Portugal in the 1970s measure the progress made through structural policies. Should we recall the differences in competitiveness that prevailed just a decade before the single currency ? The Juncker plan, unanimously praised for its impact on growth, has brought Europeans closer to a shared industrial vision: 335 billion, 900 projects, 0.6 of GDP, more than 700,000 jobs. After all, this kind of economic  « interventionism » reminds that of the Common Agricultural Policy without which food independence would not have been possible in Europe. All these challenges have another common point : they met their skeptics. Had De Gaulle, Mitterrand, or Delors decided not to help the Europeans to take their destiny into their own hands, Europe would not be what it is today…

The social transition in Europe will be the work of a decade or more. We will not engage it unless we succeed in creating a mechanism to compensate for the deterioration of competitiveness of states willing to converge upwards. We must invent something both similar and different as the Juncker plan (the latter being mainly financed by private funds). It will be a hard job ! But we should keep in mind that the countries which are the furthest from convergence have two or three-digit GDP, their growth making the the task easier. Difficulties are everywhere in Europe as are solutions. They are now the prerogative of the territories which would have as much to gain from a reinforcement of the common European law as from the stratification of the structural aids. It may be doubted either that the inflection of the European Common Bank desired by many in favor of employment never happen without such a signal sent concomitantly.

Every year the Europeans spend 46% of what they produce, a little less than 7500 billion. Bringing 1% of this public expenditure back would give a margin of maneuver between 70 and 80 billion at Union level without new taxes. Redeploying a quarter of a point of national VAT could release some 10 to 12 billion, again without new taxes. Could Social Europe be the missing motivation to come up with a consensus on the financial transactions tax or on the digital tax on GAFAs ? What about combating fraud and tax evasion better ? There are probably as many good digging tracks as bad to evacuate  in these examples. Who knows, if the forthcoming European election campaign reawakened a desire to do politics…

 

 

 

Gilets jaunes : l’Europe fait partie de l’équation.

Il y a dans le mouvement des gilets jaunes une addition de revendications qui traduit un besoin profond de changer de modèle, besoin perçu par le candidat Macron et enclenché dès les premières semaines de son mandat. La difficulté, nul ne l’ignorait, résidait dans le hiatus entre le temps court et le temps long. Le négliger était probablement de nature à fragiliser le climat social.

En définitive, la «Suppression des privilèges» (lesquels ?) ou «la présence physique obligatoire des élus en Assemblée » ne sonneraient-ils pas comme un avertissement à ceux encore tentés de saborder la proportionnelle ? Que dire encore de la «fin des régimes spéciaux» ? Sinon que telle est précisément le but de la mission confiée à Jean-Paul Delevoye, et par ailleurs poursuivie dans une rare sérénité, pour plus d’équité… Que dire enfin des louables « que des emplois soient créés pour les chômeurs » et « augmentation des allocations handicapés » ? Elles figurent dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté énoncée par le Président de la République le 13 septembre dernier… Ainsi le mouvement des gilets jaunes nous dirait « A bas le Macronisme !» Vraiment ?

Si la priorité est désormais au rétablissement de l’ordre public, le pays n’en reste pas moins traversé par deux questions essentielles.

La première est « quelle réponse institutionnelle apporter à une colère qui semble avoir pour cause… les institutions elles-mêmes » ? On voit bien que chacun aura à accomplir une partie du chemin : les pouvoirs publics en faisant preuve de modestie et les citoyens en acceptant de renouer avec un principe de réalité républicain. Si la démocratie est le droit de tout dire et tout faire… elle ne saurait être le droit de dire et faire n’importe quoi ! Je ne serais pas surpris que dans les jours à venir l’on redécouvre les vertus un peu oubliées du contrat social… Facebook ne remplacera jamais Rousseau. Qu’on se le dise !

La seconde question, précisément, est celle de la réduction du hiatus entre temps court et temps long, auquel tout pouvoir a été confronté à un moment ou un autre de son exercice. Peut-être injustement caricaturé et réduit à l’« immobilisme français «, ce hiatus n’en demeure pas moins la racine du malaise en cet automne 2018.

Pour la première fois depuis 40 ans, la France est parvenue à stabiliser le chômage en se passant des emplois aidés. Ce qui veut dire, en clair, que pour la première fois depuis longtemps le pays recrée de vrais emplois.  Pour autant, « stabiliser » ne saurait être l’horizon des moins de 30 ans des bastions industriels mosellan ou des Hauts-de-France, pour qui l’intérim et le CDD sont devenus la règle et, au mieux, le CDI gage d’un même salaire à l’entrée comme à la sortie… Difficile il est vrai, dans ces conditions, d’accepter de se projeter en temps long.

Pour la première fois depuis 20 ans, la France vote un budget de la sécurité sociale en équilibre, prérequis indispensable à la refonte d’un système de soins plus juste. « Équilibre »… difficile pour les personnels du secteur médico-social et de l’hôpital public au bord du gouffre, de se sortir du temps court.

Qu’elle semble triste cette France de 2018 ! Même remporter la coupe du monde ne lui aura pas permis de renouer avec l’émotion de jadis. Pas plus que « rendre la planète de nouveau grande » ne lui aura permis d’embrasser comme il se doit cette « France éternelle », chère à De Gaulle ou Mitterrand pour emmener la France dans ses choix mondiaux. « Monde »… voilà !  Le mot est lâché ! Il est surtout trop absent…

Retournons le problème comme on le voudra : le sentiment de vulnérabilité face à la mondialisation est bien là ! On l’a vu, il ne suffit plus de dire « nous sommes une démocratie » pour venir à la bout de la haine complotiste. Comme il ne suffit plus de dire « nous sommes la France » pour empêcher le piétinement des symboles de la nation. Cette nation qui, justement, n’apparait plus comme l’ultime protection face à la violence du monde… Y aurait-il quelque chose de « punitif » dans tout cela ? Est-ce ce sentiment de vulnérabilité qui nous empêcherait, Français, de nous « lâcher » complètement un soir de coupe du monde et retrouver, même l’espace de quelques semaines, l’expression d’une cohésion ? Est-ce sentiment d’inéquité dans la mondialisation qui nous rendrait timorés devant le succès de la French Tech ou du France is back ? Même la réussite semble avoir un goût de « trop fragile »… surtout lorsqu’on a l’impression qu’elle se construit « sur notre dos » – hier avec les délocalisations, aujourd’hui avec l‘augmentation de la fiscalité pour seules variables d’ajustement. La question n’est pas de savoir si ces sentiments sont fondés. Elle est de savoir s’ils existent – la réponse est oui.

Les trois dernières semaines ont donné lieu à de longues exégèses sur les plateaux de radio et de télévision pour tenter de comprendre les facteurs qui ont concouru à une telle ampleur sociale : le prix de l’essence (qui n’aurait été en définitive qu’un déclencheur), l’affaiblissement des corps intermédiaires et constitués depuis les syndicats jusqu’aux droites et gauches républicaines (qui n’ont pu ou su jouer leurs rôles d’amortisseurs), la radicalisation vers les extrêmes (qui, pour le coup, ont joué à plein l’amplification). Bref, on ne saurait renier aucune des causes principales du mouvement des gilets jaunes. Mais en avons-nous saisi la cause essentielle ? La mondialisation…  Inscrite en filigrane, elle est pourtant bien le cœur de réacteur de la colère qui anime ce mouvement. Qui l’a vu ? Qui l’a entendu ? Qui a fait son job de politique consistant à retranscrire en langage populaire cet inconscient collectif, complexe, codé ?

Lutte contre l’évasion fiscale, lutte contre le dumping, taxation des GAFA, du kérosène… certes au prix de quelques excès sur la forme, mais l’Europe est plus présente qu’il n’y parait dans la revendication des gilets jaunes. Ou, pour être plus précis, une « autre Europe ». Celle qui aurait dû voir le jour il y a vingt ou trente ans au lendemain de la chute du mur de Berlin, libératrice d’une mondialisation à sens unique. Une Europe plus solidaire. Une Europe plus convergente, fiscalement et socialement. Appelons-la « Europe fédérale », « Europe intégrée » ou « confédération européenne », qu’importe… car dans le fond il y a autant de droite que de gauche dans cette conception, supérieure, de la « souveraineté européenne ». D’aucuns diraient « l’Europe citoyenne »…

Il y a parmi les gilets jaunes des exploitants agricoles pris en étau entre les charges (incompressibles), l’hyperinflation des normes (où la France s’est longtemps distinguée par un surenchérissement inutile des directives européennes) et les cours mondiaux (instables). Une inflexion de la PAC vers des marchés à termes ne réglerait pas certes pas tout. Mais c’est une direction indispensable dans un monde qui aura à nourrir 2 milliards d’habitants supplémentaires avant 2040. Surtout, si les Européens acceptent la concurrence, ils ne tolèrent plus qu’elle puisse s’opérer entre Européens eux-mêmes…

Il y a parmi les sympathisants aux gilets jaunes une classe populaire, désormais rejointe par une classe moyenne, toutes deux envoyant un message également très politique : lutter contre tout ce qui tire les conditions de vie vers le bas… Traduisons « Protéger l’industrie française » par « plus de plan Juncker » (bientôt Euro Invest), par « plus d’obligations européennes » (qui permettraient de faire financer notre croissance par ceux qui nous mettent en concurrence) ; traduisons le également par « un budget de l’Union » (afin de rééquilibrer la politique de l’offre par une politique de la demande et de « grands projets »). Nous en avons besoin à l’heure où l’intelligence artificielle conférera aux Etats qui en détiendront les brevets un leadership mondial – tant sur un plan politique que social.  Traduisons « Fin du travail détaché » par quelque chose de moins radical tels que « socle européen des droits sociaux », « SMIC européen », « Autorité Européenne du Travail »… Des avancées notoires ont d’ailleurs été votées le 20 novembre dernier au Parlement Européen (en pleine crise des gilets jaunes, donc). Je dois bien le confesser : les défenseurs de l’Europe se sont senti bien seuls pour vulgariser, expliquer, convaincre, dans un climat national résolument acquis aux violences, aux petites phrases et opportunismes en tout genre…

Bien sûr tout cela ne réglera pas la contradiction d’une France aspirant à « plus d’Etat en payant moins d’Etat », point de départ de la contestation. Quoique…  Chaque année les Européens dépensent 46 % de ce qu’ils produisent soit un peu moins de 7500 milliards. Ils consacrent 40 % de cette ressource aux dépenses sociales (retraites comprises),  15 % à la santé, à peine 3 % à la défense…  Imaginons un instant ce qui pourrait être accompli si nous optimisions ne serait-ce que 1 % de cette dépense publique (ce n’est pas beaucoup 1%…), soit entre 70 et 80 milliards ; si nous instaurions la taxe sur les transactions financières aux frontières de l’Union, soit entre 40 et 60 milliards ; si nous instaurions la taxe GAFA (même un taux faible permettrait de financer la neutralisation d’une année de charge pour un jeune recruté dans les 23 millions d’entreprises de l’Union). Nul doute que la fiscalité carbone doit pouvoir s’inscrire comme le premier lieu de convergence sociale avec la fiscalité sur le travail.

Ce projet de temps long, complexe, presque chimérique aux yeux de certains, est peu compatible avec la contrainte de temps court de sortie de crise. C’est un fait. Mais il faudra bien un jour ou l’autre descendre dans l’arène si nous aspirons à combattre le pire des extrémismes – la résignation. Quant aux Etats qui seraient tentés de regarder « l’Européisme français » comme une tentative un peu désespérée de fuir les réformes nationales, ils seraient bien inspirés de se montrer eux aussi plus modestes – il y a aussi des gilets jaunes en Allemagne, en Belgique. Que dire de la Grèce, de l’Italie ou de la Hongrie qui ont déjà envoyé des signaux autrement plus inquiétants…

L’Europe n’est certainement le «  lapin sorti d’un chapeau » qui parviendra à apaiser l’instant, loin s’en faut. Mais l’émergence d’un mouvement social de cette ampleur, à quelques mois du scrutin des Européennes que nous savons décisif, n’est peut-être pas tout à fait fortuite. L’Europe n’est qu’une donnée parmi d’autres dans une équation plus large de sortie de crise, mais elle est une donnée essentielle que nous aurions tort de négliger.

Le Centenaire de la Grande Guerre doit nous aider à regarder vers une Europe unie et souveraine.

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En choisissant l’Amérique pour renouveler sa flotte d’avions de combat, la Belgique a préféré la dépendance à l’OTAN plutôt que la souveraineté dans l’Europe. C’est certes regrettable, mais ce n’est pas le « coup dur » porté à la défense européenne tel que certains l’affirment. Du moins, pas encore…

L’Europe de la défense avance ! 30 milliards d’euros sur 6 ans en sus des budgets nationaux, ce n’est pas rien. Alors quel enseignement tirer de cette « volte-face belge » deux ans à peine après le lancement de la coopération structurée permanente (PESCO), pourtant annoncée comme « historique » ? Tout simplement que, au-delà de moyens, l’Europe de la défense a besoin d’actes refondateurs !

Un peu parce que, naguère, elle tua dans l’œuf la Communauté Européenne de Défense, et beaucoup parce qu’elle détient des clés essentielles pour relancer un processus d’intégration, la France porte une grande responsabilité pour les cinq à dix années à venir.

Tout d’abord en matière de dissuasion nucléaire. Certes, ce ne serait pas la première fois que la France tend la main à ses voisins.  Mais le Brexit change considérablement la donne. Pour la première fois de son histoire, l’Europe sera en capacité de développer une force de dissuasion indépendante. C’est le moment ou jamais pour envoyer un signal vers la « nouvelle Europe », à l’Est, encore marquée par Yalta et tournée vers Washington faute d’Europe puissance à ses côtés pour assurer sa protection. Le partage de l’arme nucléaire ne doit certainement pas être le cœur de la stratégie européenne dans une période marquée par les conflits régionaux. Il n’est pas non plus à négliger en ces temps de prolifération. En réalité cette dissuasion intégrée serait aussi symbolique que déterminante pour débloquer le reste (coopération technologiques, renseignement…). Tout simplement parce qu’elle forcerait les Européens à trancher la question hautement sensible du commandement.

La seconde révolution que la France peut insuffler auprès de ses partenaires concerne la diplomatie. Le 21ème siècle se jouera dans des zones du globe où individuellement le poids de chacun des États européens est relatif. L’Europe n’y est perçue comme la première puissance mondiale que lorsqu’elle y parle d’une seule voix. La création du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a été une avancée remarquable du traité de Lisbonne. Mais nous devons aller plus loin…

L’Europe ne doit plus seulement être représentée, elle  doit être incarnée : fusionnons nos ambassades et consuls ! Commençons par certaines régions du monde ou certains pays pour lesquels un consensus est plus facile à dégager. Du passé ne faisons pas table rase, ce n’est jamais bon… A défaut de résultats immédiats, provoquons le mouvement ! Notre immobilisme est observé par une Amérique de plus en plus isolationniste et par une Chine de plus en plus conquérante. D’où la délitescence de la régulation mondiale, d’où la panne de l’OMC… Regardons le monde tel qu’il se redessine et non comme nous souhaiterions le regarder. Européens, nous aurons à défendre le climat pour éloigner la barbarie et prévenir le chaos migratoire. Peut-être demain serons-nous le dernier rempart contre la finance dérégulée ou les derniers défenseurs de la démocratie libérale. Parce qu’elle dispose de la plus importante représentation diplomatique derrière les Etats-Unis, et parce qu’elle dispose d’un droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies, la France est la mieux armée pour emmener ces « ambassades des 27 » dans le monde.

Je ne mésestime en rien la violence qu’induit tel basculement pour beaucoup de nos compatriotes. Mais elle n’est que le corollaire de la violence du monde, de plus en plus rapide et global. Depuis la chute du mur de Berlin, nous nous sommes baignés d’une illusion selon laquelle le 21ème siècle serait le prolongement du 20ème à quelques ajustements près. Las…  Nous devrons avoir le courage de dire la  vérité. Cette vérité est que nous avons perdu du temps et nous courons un risque de disparition. Oh non disparaitre en tant que pays… pire peut-être, disparaitre en tant que peuple, libre de choisir son mode de vie, sa culture, son droit du travail, son organisation sociale… cela pourrait ne prendre à peine plus qu’une génération !

La tentation est forte d’escamoter ces sujets au cours de la campagne des Européennes par crainte de réveiller la propagande nationaliste. Grave erreur. Nous touchons, au contraire, au cœur de réacteur de l’escroquerie populiste consistant à faire croire à ceux qui souffrent que la solution est d’attendre, recroquevillés, notre dilution dans la mondialisation. Curieux attachement à la mémoire de Jeanne d’Arc, de Clovis, ou de De Gaulle, que celui qui consiste à baisser les armes ! La France n’a jamais accepté que d’autres choisissent pour elle son destin, ni en 1789 ni en 1940 – et elle n’a pas plus de raison de l’accepter pour 2040. Etre révolutionnaire aujourd’hui, c’est être Européen ! Se lever aujourd’hui, c’est être Européen ! Ce n’est pas la France qui change, c’est le monde ! A travers l’Europe, la France se réinvente pour porter plus loin, plus haut, plus unis, l’idéal de paix et de démocratie hérités du siècle des Lumières.

Nous allons dans quelques jours célébrer le centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale. Elle fut avant tout une guerre civile européenne. La défense et la diplomatie européennes sont des symboles forts – ceux d’un continent qui choisit de tourner une page en rendant tout conflit définitivement impossible à l’intérieur de ses frontières. Quel exemple pour les peuples qui, aujourd’hui, ne voient pas le bout du tunnel, pour lesquels la situation semble inextricable ! Comme elle le fut, pour nous, Français et Allemands, Italien, Espagnol en 1914, en 1940… Quel exemple pour Israël et la Palestine, pour la Corée du Nord et du Sud…  Si l’Histoire ne nous aide pas à fabriquer l’avenir, alors c’est que nous ne la comprenons pas.

En une heure la planète reçoit autant d’énergie du soleil qu’elle ne consomme d’énergie totale en une année.

woodland-energie-solaire-aspire-soleil-cancer-panneaux-uneEn une heure la planète reçoit autant d’énergie du soleil qu’elle ne consomme d’énergie totale en une année. Le solaire est l’une des solutions d’avenir dans la lutte contre le changement climatique. Nul doute que les Européens devront l’intégrer dans la stratégie « zéro émission » qu’ils ambitionnent à l’horizon de 2050. Balayons la croyance tenace selon laquelle seules la Grèce ou l’Espagne ont un avenir dans le solaire. Il n’en est rien ! L’Allemagne produit plus que la France alors que celle-ci dispose d’un ensoleillement supérieur. Enfin, le solaire présente un autre atout : contrairement à l’éolien, il est invisible.

Le titre de « champion de la terre » décerné à Emmanuel Macron a de quoi laisser perplexe celui qui ferait le choix de ne regarder que les seules performances chiffrées de la France en matière de développement durable, ni franchement mauvaises ni franchement vertueuses. A n’en pas douter le message qu’ont voulu envoyer les Nations-Unies se situe ailleurs… C’est un fait, le Président français n’a rien d’un écologiste transi. Et c’est peut-être là sa principale force !

Nous sommes peut-être encore les seuls, Français, à ne pas comprendre combien la communauté internationale attend de la France et, à travers elle, de l’Europe. Seule l’Europe peut encore ravir à la Chine un leadership mondial que les Etats-Unis sont en passe d’abandonner au 21ème siècle. La défense du multilatéralisme, la démocratie libérale, la rénovation de la gouvernance mondiale, la prévention des crises, la lutte antiterroriste, tous ces défis se mêlent désormais à celui du climat.

L’écologie politique a cruellement besoin de ce « en même temps » qui naguère séduisit les Françaises et les Français le temps d’une élection et qui, à en croire les sondages, les agacerait désormais. Il n’en demeure pas moins que faire travailler « en même temps » la droite, la gauche et le Centre, « en même temps » l’ancien et le nouveau monde, permet d’enclencher les réformes trop longtemps retardées dans un pays réputé conservateur. Ce qui n’est pas sans forcer le respect de nombreux dirigeants à l’international.

Les révolutions étant souvent silencieuses, c’est un peu dans l’indifférence que la France a lancé au printemps dernier «  Place au soleil » visant à accélérer le solaire. A travers ce plan, à l’horizon de 2023 la France aspire ainsi à atteindre une capacité de 18 à 20 000 mégawatts (l’équivalent d’une quinzaine de réacteurs nucléaires) contre 8 000 actuellement.

La réalité, c’est que balayer de panneaux solaires un pays tel que la France, l’Allemagne ou l’Espagne, n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué sur un plan technique. Ça l’est un peu plus sur un plan politique. Ça s’avère être en revanche une vraie bombe à retardement sur un plan social que nous ne savons comment désamorcer.

Demain, une route, un trottoir, une vitre, un meuble, un stylo, produiront des quantités d’énergie que nous ne soupçonnons pas. Cette énergie pourra être consommée instantanément ou de façon différée grâce à des stations hydrogènes. Le numérique permettra de gérer des systèmes d’hybridation ou de cogénération complexes à l’échelon d’un foyer, d’une rue, une ville, possiblement, à terme, à l’échelon d’une agglomération de centaines de milliers d’habitants. « L’Europe de l’énergie » à laquelle nous rêvions depuis des décennies et que l’on imaginait prendre la forme d’un vaste maillage de lignes à haute tension interconnectées sur des dizaines de milliers de kilomètres reposera plus vraisemblablement sur une addition de « smarts grids ». Or, nous sous-estimons combien ce basculement depuis un modèle centralisé vers un modèle déconcentré bouleversera nos organisations sociales.

Ce n’est là, finalement, que la description du modèle d’économie collaborative que beaucoup expliqueraient bien mieux que je ne sais le faire. Sauf que…  lorsque nous ferons le choix d’étendre ce modèle au secteur de l’énergie, nous franchirons le cap de l’exponentiel. La transformation des emplois ne se fera plus en dizaines ou centaines de milliers, mais en millions. Parce qu’ils passeront du rang d’observateurs à celui de chef d’orchestre, les pouvoirs publics ne pourront plus ignorer les défis posés par l’adaptation de notre fiscalité, du droit du travail, de la hiérarchie des normes, de la formation… La vérité, c’est que nous redoutons ce moment. A raison. Il suffit d’observer les remous que suscite le transfert de fiscalité de quelque 20 milliards des retraités vers les actifs certes conséquent, mais sans comparaison avec la hauteur des transferts qui devront s’opérer entre les différents acteurs économiques.

Retournons l’équation dans le sens que l’on voudra. Seule l’Europe peut nous permettre d’opérer un virage aussi brutal. La question du sens est devenue essentielle. Nous ne pourrons plus longtemps louer le véhicule électrique pour réduire la pollution aux particules fines à Lille ou Bruxelles et consentir à maintenir les centrales au charbon dans la Ruhr. Nous ne pourrons plus longtemps augmenter le prix des carburants de façon erratique pour peser sur les comportements (que ce soit en France ou ailleurs) sans une harmonisation de la fiscalité verte à l’échelon de l’Union. Il y a une certaine schizophrénie à regretter la démission de Nicolas Hulot un jour et à signer une pétition contre la taxe carbone le lendemain.

Notre ancien monde est à terre et nous ne le voyons pas car les ruines sont encore debout. Mais le défi est bien là. Le « zéro émission » place l’Europe devant un chantier au moins aussi complexe que celui de la reconstruction d’après-guerre. Ainsi s’ouvre une fenêtre historique pour faire émerger une écologie politique qui ne soit pas au service d’un parti mais d’un projet de société global pour l’Europe.

L’écologie politique peut nous permettre de réinventer le pacte économique. Nous ne combattrons pas les populismes sans tourner la page de l’ultra-libéralisme qui depuis trente ans annihile toute vision commune, que ce soit dans le domaine industriel ou fiscal. La première pierre de « l’Europe sociale », elle est là ! L’Europe doit retrouver la voie d’un libéralisme régulé capable de remettre le capital au service des hommes, tel que le courant centriste auquel j’appartiens n’a jamais cessé de le défendre. Ce n’est pas un hasard si ce leitmotiv se mêle à notre insatiable soif d’Europe.

Comment promouvoir le photovoltaïque dans les 200 millions de foyers que compte l’Union en nous assurant de donner du travail aux 17 millions de jeunes sans emplois au sein de l’Union ? L’Europe a fait le choix de baisser les armes en supprimant tout droit de douanes face à la Chine qui s’adonne à un dumping sauvage sur ses panneaux solaires.  Il nous faut réinstaller des clauses de réciprocité en attendant de relancer l’OMC, bien mal menée depuis vingt ans et désormais dans le viseur de Trump comme de Pékin. Danger… Entre le protectionnisme et l’absence de règles, il doit pouvoir exister une voie médiane – celle de la raison.

L’écologie politique peut nous permettre de réinventer le pacte fiscal. Une nouvelle taxe verte crée, une taxe ancienne supprimée… Ce « talion fiscal » serait de bon augure. Voilà une ligne politique pour les prochaines élections européennes ! Nul besoin de modifier les traités, ni même d’attendre un budget de la zone euro, bien que ce dernier soit incontournable pour bien d’autres raisons. Le semestre européen permettrait déjà d’impulser une telle convergence. Alors que manque-t-il ? Tout simplement un consensus au sein du Parlement Européen pour dire à la Commission et aux Etats : faisons-le ! Voilà ce que peut accomplir un rassemblement central des forces politiques en Europe tel que l’ambitionne Emmanuel Macron.

Chaque année les Européens dépensent 46 % de ce qu’ils produisent, soit 7500 Milliards. Imaginons un instant ce que nous pourrions accomplir en dégageant ne serait-ce que 1 % de ce montant grâce à de nouveaux transferts de compétences. Ce n’est pas beaucoup 1 %.  Cela représenterait 3 plans Juncker… par an ! Posons le débat. Les Européens choisiront.

Enfin, l’écologie politique nous permettra de réinventer le pacte social. Parce que ce sont les classes moyennes qui s’inquiètent du retard pris par notre tissu industriel. Parce que ce sont les plus fragiles qui souffrent de la désindustrialisation, de la précarité énergétique…

Je vis dans l’ex bassin minier de la région Hauts-de-France qui elle-même a fait le pari de la troisième révolution industrielle depuis plusieurs années. Ce territoire d’un million d’habitants, qui est l’un des plus jeune d’Europe, qui s’étend du Béthunois au Valenciennois tente de redresser la tête avec l’ERBM (Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier). Tout y a été pensé : la rénovation de 23 000 logements, des politiques vers la jeunesse, l’hôpital numérique… Allons plus loin ! Verdissons-le! Le vrai plan « anti pauvreté », c’est d’abord de reprendre foi en l’avenir.

Rendons autonome chacun des logements qui sont en passe d’être rénovés. Expérimentons la « smart-grid » et invitons chercheurs et bureaux d’étude du monde entier à venir l’observer. Transformons l’autoroute A1 (l’une des plus fréquentée d’Europe) et l’A21 en autoroutes solaires avec des technologies à induction qui décupleront l’autonomie des véhicules. Faisons de ces infrastructures  le laboratoire de la nouvelle mobilité électrique à cinq cent kilomètres de la quasi-totalité des sites de production automobiles de l’Union. Tel un ultime coup de menton du soleil au charbon, le « oui » franc au progrès et à l’Europe.

Bref… en une heure la planète reçoit autant d’énergie du soleil qu’elle ne consomme d’énergie totale en une année.

Réinventer Keynes !

La démission de Nicolas Hulot témoigne de l’ornière dans laquelle se trouve l’écologie politique. On passera sur la forme par laquelle le désormais ex-ministre acta son départ du gouvernement pour mieux nous concentrer sur le fond. Il aura beaucoup été question de la « politique des petits pas », de « lobbies »… et trop peu question d’Europe.

«  sauver la planète »… Donnons un sens aux mots. Estimons-nous que le climat fait peser sur nos civilisations un danger comparable à celui des deux guerres mondiales ? Estimons-nous que les conséquences prévisibles du changement climatique sont autant de Shoahs en puissance ? Si tel est le cas, il nous faut trouver des Churchill, des Roosevelt, des De Gaulle au 21ème siècle ! Alors, il nous incombe de transformer nos lois, directives et plans en véritable machine de guerre ! Face à une Amérique démissionnaire et une Chine encore en transition industrielle, seule l’Europe apparaît en capacité d’assumer pareil leadership.

Les objectifs 2020 en matière d’énergies renouvelables et d’émissions de GES seront atteints, peut-être même dépassés. Il faut saluer le travail accompli. Mais faisons l’effort de regarder l’équation en entier. Si l’Europe est parvenu à tenir l’objectif de diminution des émissions de GES, c’est aussi, pour partie, parce que le recul de la production industrielle y a été plus marqué que n’importe où dans le monde.

Voilà plusieurs années que l’Europe a fait le choix d’axer l’essentiel de sa politique écologique autour de la taxe carbone. Les résultats, comme chacun sait, sont insuffisants. Non que le marché et la taxation soient de mauvais outils en soi. Mais ils témoignent d’une obstination à ne résonner que par l’unique prisme de l’offre au détriment de la demande.

Européens, nous avons abandonné toute référence au keynésianisme depuis maintenant près de trente ans et passé par pertes et profit les vertus de la commande publique. La décennie écoulée marque le point d’orgue de cet abandon avec un recul de l’investissement public plus important encore au sein de la zone euro que dans le reste de l’Union.

Je sais que certains contesteront l’analyse, en s’appuyant sur les chiffres de la dépense publique et des déficits qui se sont envolés. Ce n’est pas moi, soutien de Bayrou lui-même pourfendeur de la dette depuis deux décennies, qui les contesterai. Mais ne mélangeons pas, toutefois, les causes et les conséquences…

Dans la théorie de Keynes (curieusement longtemps présentée comme une pensée de gauche alors qu’elle est au contraire d’un libéralisme implacable), ce n’est pas l’importance de la dépense publique qui fonde l’investissement, et encore moins son impact sur la création de richesse et l’emploi. En clair, un État peut tout à fait présenter une dépense publique massive tout en formant trop peu de capital et de nouveaux emplois. Tout simplement parce que la part réservée aux dépenses de fonctionnement  augmente plus rapidement que la part réservée à investissement. C’est exactement la situation dans laquelle se trouvent les pays qui ont tardé à engager des réformes structurelles – notamment la France, l’Espagne, l’Italie et bien-sûr la Grèce.

Enfin, pour John Maynard Keynes, la lutte contre le déficit ne saurait être une fin soi. Il est en mal nécessaire pour procéder à la stimulation des acteurs économiques, au besoin par la commande publique. Auquel cas ce déficit ne saurait être que temporaire puisque destiné à être renfloué par les rentrées fiscales de la croissance (tout l’inverse de ce qui se passe dans une majorité de pays de la zone euro, donc). Dissipons un dernier malentendu selon lequel l’intervention de l’État telle que la conçoit Keynes légitimerait les nationalisations. Il n’en est rien.

Les politiques keynésiennes déployées après guerre et jusqu’au milieu des années 1970 ont accompagné des mutations économiques et sociales sans précédent en France comme dans le reste de l’Europe. C’est la période des grands édifices publiques, barrages, pont, routes, projets industriels, qui ont désenclavé des régions entières, modernisé nos modes de vie, stimulé une consommation de masse, favorisé l’ascenseur social…

Notre époque contemporaine ne saurait bien-sûr être comparée avec celle de l’après guerre. Il n’en demeure pas moins que l’exigence de transformation qui se pose à nous n’est pas sans présenter quelques similitudes avec l’exigence de reconstruction en 1945. Ne serait-ce que par l’ampleur de la tâche sur un plan économique, sociale et politique. Sans parler du risque de recul démocratique en cas d’échec.

Au lendemain de la guerre une poignée de visionnaires parmi la classe économique et politique, avaient compris que les nations européennes ne seraient pas libres si elles ne prenaient pas la maîtrise technologique des airs – de la même façon que nous ne serons pas libres dans le 21ᵉ siècle si nous ne prenons pas la maîtrise technologique de la transition énergétique et climatique. Or, Airbus, souvent cité en exemple de coopération européenne, n’aurait jamais vu le jour sans cette séquence quelque peu « incestueuse » entre le politique et l’économique.

Nous avons besoin de nouveaux Airbus ! Dans le domaine des batteries, de l’éolien, du solaire, des nanotechnologies… Le plan Juncker a eu le mérite de sortir les Européens d’une torpeur dramatique dans laquelle il s’étaient plongés depuis de nombreuses années. La pérennisation du fond à travers le programme InvestEU pour la période 2021-2027 sera un chantier important de la prochaine mandature. Au-delà des sommes mobilisées, se posera la question de la gouvernance toute aussi cruciale.

L’Europe peut nous permettre de réinventer Keynes que nous pensions définitivement mis hors jeu par la théorie du marché triomphant, la mondialisation et le poids de nos déficits publics. A travers un budget de la zone euro tel que l’appelle de ses vœux Emmanuel Macron, deux pistes de financement pourraient être mobilisées.

La première piste de financement consiste à créer des obligations européennes exclusivement réservées à l’investissement (euro-bonds). Cette restriction serait de nature à rassurer des Allemands jusqu’à présent réticents par crainte (et on les comprend) d’y retrouver de la dette restructurée. Des euro-bonds verts présenteraient l’intérêt, et non des moindres, de faire financer une partie de la croissance décarbonée en Europe par le reste du monde, y compris par ceux qui jusqu’à présent taillaient des croupières à notre industrie – bien-sûr la Chine. Les euro-bonds n’ont rien d’une nouveauté (Delors les proposait déjà). Elles n’attendent qu’une décision collective et politique.

La seconde piste de financement consiste à rechercher de nouvelles marges de manœuvres budgétaires à périmètre existant. Comment ? Tout simplement en faisant des efforts ! Bien-sûr une telle perspective a de quoi effaroucher les gouvernants, Effort et Europe ayant trop longtemps rimé avec austérité et pas assez avec convergence. Une seule réponse possible : changeons !

Dans un billet récent,  je rappelais le poids de la dépense publique en Europe, tous secteurs confondus – solidarités, santé, éducation, sécurité. 1 % de convergence permettrait de dégager entre 70 et 80 Md€ chaque année sans fiscalité nouvelle. Ce serait assez pour solvabiliser l’installation de panneaux solaires dans chaque foyer européen en dix ans, soit près de 200 millions d’habitats ! Puissons-nous imaginer l’impact d’une telle demande sur l’économie verte, l’innovation, l’emploi… D’autres projets d’infrastructures, portés par les euro-régions ou les métropoles, attendent un signal de l’Europe – tels les autoroutes solaires qui en rendant totalement autonomes les véhicules électriques, libéreraient une filière qui piaffe d’impatience…

Je ne mésestime en rien la difficulté de dégager 1 % de dépenses publiques, même de façon étalée dans le temps, quand on observe la difficulté à faire accepter une diminution de cinq euros des prestations logement ou un solde de quelques dizaines d’euros de CSG non compensé par la suppression de la taxe d’habitation. Mais je refuse de croire un seul instant qu’à enjeu comparable pour l’Humanité, et si nous sommes réellement convaincus de l’urgence dans laquelle nous nous trouvons, qu’un peuple qui a su entendre Churchill, Roosevelt, De Gaulle, ne sache entendre l’appel d’un Al Gore ou d’un Nicolas Hulot.

Ce peuple attend juste une Europe qui soit à la hauteur.

« Et pour moi, l’Europe elle fait quoi ? »

A maintenant neuf mois des prochaines élections, l’Europe reste traversée par deux lignes de fractures. Une première, Nord-Sud, autour de la question de l’euro. Une seconde, Est-Ouest, autour de la question migratoire. Tant que l’Europe ne réduira pas ces deux fractures, il lui sera difficile d’engager les autres chantiers de la défense, de l’harmonisation fiscale ou l’Europe sociale. En un mot comme en cent, l’Europe est en panne ! Non qu’elle soit en « panne de projet » comme il est dit souvent. Chacun connait les choix politiques qu’exigent la gouvernance économique ou le droit d’asile. L’Europe est en panne d’arbitrage, prisonnière d’une addition d’égoïsmes nationaux.

Les Européens regardent le monde un peu comme si aucune des révolutions de ces trente dernières années ne s’était produite. L’érosion de la gouvernance mondiale, le déplacement du centre de gravité géopolitique vers l’Asie, le réchauffement climatique, les réveils identitaires, l’émergence de puissances supranationales… Apple, pour ne citer qu’elle, est désormais capitalisée à hauteur de 50 % du PIB de la France.

Tant que les Européens ne prendront pas la mesure de la brutalité du 21ème siècle, ils ne trouveront pas la conviction nécessaire pour embrasser le fédéralisme, pourtant seul capable de leur permettre de rester français, allemands, italiens, polonais… dans une Europe resserrée autour d’un nombre restreint de compétences mais réalisées avec force.

Ce déni de réalité est le pain béni des nationalistes. Bien-sûr, il y a le Brexit. Bien-sûr, il y a l’élection de Donald Trump. Bien-sûr il y a le pied enfoncé dans la porte par Victor Orban, Sebastian Kurz ou Matteo Salvini…. Mais pour l’ultra-droite, les raisons de croire se situent ailleurs. Nul besoin de céder aux sirènes de l’internationale souverainiste de Steve Bannon perçue comme repoussoir (à juste titre) pour aller chasser de nouveaux déçus à droite et à gauche. C’est bien l’apolitisme européen qui rend une victoire possible des extrêmes, en Europe, en mai prochain.

Il ne nous reste pas pléthore de solutions, démocrates, sociaux et libéraux, pour sortir l’Europe de l’ornière. Il nous faudra « réenchanter l’Europe » pour reprendre, là encore, un slogan maintes fois utilisé. Certes…  Mais la vérité m’oblige à dire que nous ne sauverons pas l’Europe à coup de slogans ! Non seulement nous avons dépassé cette séquence, mais surtout parce que des Le Pen ou Mélenchon seront toujours plus efficaces que droites et gauches républicaines réunies dans cet exercice.

Nous avons une fâcheuse tendance à regarder « la jeunesse » comme un monobloc. La réalité est que Erasmus, même si nous devons le développer, même si nous devons l’étendre à l’apprentissage (j’en suis un ardent défenseur) ne fait pas rêver « toute » la jeunesse. C’est peut-être vrai dans des métropoles où se concentrent les deux tiers des richesses produites, ça l’est moins dans les périphéries urbaines où s’est expatriée une partie de la classe moyenne et populaire.

Les valeurs de « paix » ne suffisent plus à rallier la jeunesse à l’idéal européen des manuels d’Histoire. Ce qui ne veut pas dire non plus que cette jeunesse soit contre l’Europe. Non. De manière bien plus pragmatique et « terre à terre », elle attend autre chose de l’Europe. Un jeune préparant le baccalauréat, peinant à décrocher un stage ou un contrat d’apprentissage, a des raisons de se demander si le marché du travail pourra résister aux coups de boutoirs de la Chine ou de l’Inde y compris sur le sol européen. Qu’est-ce qui peut bien « réenchanter l’Europe » aux yeux de cette jeunesse-là ?

Un discours de vérité m’oblige à dire que le « marché », à lui-seul, n’est plus le gage d’une adhésion populaire à l’Europe. Pas plus que le « nous serons plus forts dans la mondialisation grâce à l’Europe », en tout cas pas dans une région telle que les Hauts-de-France où les 20.000 emplois perdus depuis la crise des subprimes peinent à être remplacés par les emplois de la troisième révolution industrielle. Comment expliquer que l’Europe y investisse beaucoup (près de 2 milliards en cinq ans) et que le revenu médian y reste 20 % inférieur à la moyenne nationale depuis plusieurs décennies ? Bien-sûr que l’Europe n’est pas directement responsable. Bien sûr que sans l’Europe, c’eût été pire. Européens convaincus, nous savons tout cela… Mais pour gagner, l’Europe doit désormais faire société. Elle doit s’affranchir du parler européiste pour mieux parler à celles et ceux qui posent une question simple : « Et pour moi, l’Europe elle fait quoi ? ».

Chaque année les Européens dépensent 46 % de ce qu’ils produisent soit un peu moins de 7500 Milliards. Ils consacrent 40 % de cette ressource aux dépenses sociales (retraites comprises),  15 % à la santé, à peine 3 % à la défense. La perspective de mettre en convergence une part de ces politiques publiques nous donne des sueurs froides tant la tâche paraît complexe. Et elle l’est. Mais…

Imaginons un instant ce qui pourrait être accompli si nous optimisions ne serait-ce que 1 % de la dépense publique en Europe (entre 70 et 80 Milliards…). Impossible ? Les armées nationales comptent près d’une centaine armes contre à peine une quarantaine pour l’armée américaine. En Italie, en Grèce ou en Espagne,  le chômage des jeunes flirte avec les 40 % pesant doublement sur les finances publiques. Nous parlons bien de 1 % de convergence de nos politiques publiques à atteindre sur trois à cinq ans, là où une majorité d’Etat ont laissé filé la dépense de l’ordre de 2 à 5 %… par an. Et nous parlons bien d’un effort, non d’ajustement, mais d’un effort pour « réenchanter l’Europe » tel que beaucoup le promettent depuis des décennies, élection après élection…

Regagner 1 % de marges de manœuvre, à fiscalité égale, en faisant ensemble ce que nous faisons séparément, c’est mettre la défense européenne à hauteur de celle des Etats-Unis. Cela changerait radicalement la face du monde. Au-delà de la mise en sécurité du continent (on en oublierait presque la menace terroriste qui reste bien présente), l’Europe gagnerait en respectabilité pour rénover la gouvernance mondiale, lutter contre le protectionnisme, défendre la réciprocité sur les marchés mondiaux.

Regagner 1 % de marges de manœuvre en faisant ensemble ce que nous faisons séparément, c’est nous donner la possibilité de financer trois plans Juncker par an ! L’Europe gagnerait définitivement l’avantage technologique dans la transition énergétique.

Nous pensons que l’urgence est de s’attaquer au chômage des jeunes ? Alors donnons à la possibilité aux 23 millions d’entreprises de l’Union d’embaucher un jeune sans charges pendant 24 mois.

Nous pensons que le vieillissement est la bombe à retardement de l’Europe ? Alors réfléchissons à des péréquations nouvelles en matière de retraites où l’Europe pourrait intervenir en « troisième étage » des régimes généraux et complémentaires.

Nous croyons aux vertus d’une commande publique maîtrisée et plus encore en région Hauts-de-France, au carrefour de la mégalopole européenne. Sans l’Europe, le canal Seine-Nord ne verrait jamais le jour. Alors renforçons, ciblons et politisons les fonds structurels. Réseaux ferrés, ouvrages d’art (comment ne pas avoir en tête le drame de Gênes), demain la production déconcentrée et le stockage des énergies renouvelables… Nombreuses sont les rénovations, innovations ou politiques publiques pour lesquelles les Etats, seuls, ne sont plus à échelle pour investir de manière structurelle telle que les Etats européen ont pu le faire après-guerre, sauf à tailler dans les dépenses sociales ou d’éducation.

Tous ces scénarii n’ont peut-être pas vocation à être mis en œuvre. Mais ils montrent une chose essentielle. Une Europe résolument plus politique et solidaire peut nous permettre de reprendre les commandes d’une société de progrès telle qu’elle semble révolue pour beaucoup d’Européens qui naguère connurent ou entretiennent le souvenir des « trente glorieuses ». Il y a dans le fédéralisme européen les ressorts de l’Europe sociale que les partis nationaux recherchent en ordre dispersé. Voilà pourquoi l’élection de mai 2019 devra rassembler l’ensemble des forces pro-européennes au-delà des clivages et autour d’un projet fort, inédit, et ambitieux. Fort d’un leadership retrouvé, d’une capacité à faire travailler ensemble les sensibilités, et fort de sa capacité à se réformer, l’Europe attend désormais beaucoup de la France – plus exactement de la « France dans l’Europe » d’Emmanuel Macron.

Il faut une « green card à l’Européenne » !

Que ce soit en raison du vieillissement de la population active, en raison du manque d’attractivité de certains métiers ou encore des mutations technologiques, tous les pays de la zone euro connaissent une pénurie plus ou moins importante de main d’œuvre. Elle se situe vraisemblablement au-delà du million d’emplois, engendrant d’importants manque à gagner en termes de PIB, de rentes fiscales et de cotisations sociales. Cette pénurie ne touche pas uniquement le secteur des services, loin s’en faut, mais également ceux de la santé, de l’artisanat et du numérique.

Si une partie des emplois actuellement non pourvus sont susceptibles d’être proposés aux migrants arrivés sur le sol européen au cours des trois à cinq dernières années, il est en revanche faux de penser que seuls sont concernés les métiers pénibles et déclassés.

La population migrante est bien plus hétérogène que la représentation collective que nous en avons. On y recense aussi bien des personnes non qualifiées que des médecins, des ingénieurs, des électriciens, des techniciens, même si dans certains cas la maîtrise ou les attendus méritent d’être approfondis pour « coller » aux standards de la demande européenne. Au risque de surprendre, nombre de ces populations avaient une situation et jouissait d’un statut social dans leur pays d’origine. Pour une raison très simple : migrer a un coût, souvent élevé. Celui des passeurs, des intermédiaires… Ce qui au passage tort le coup à une autre idée reçue selon laquelle « ils ne retourneront jamais chez eux «. Pour certains, oui. Est-ce le cas de tous ? Pas-sûr…On en profitera pour rappeler combien la nuance entre « migrant économique » et « réfugié » est essentielle pour comprendre le débat en matière de droit d’asile.

Il n’en fallait pas plus pour que, en pleine période estivale, les professionnels de l’hôtellerie posent le problème…ou, plus exactement, apportent des pistes de solution en appelant les pouvoirs publics à « régulariser » les migrants qui souhaitent travailler. En réalité, l’écrasante majorité. Il suffit de regarder l’Histoire (je parle en connaissance de cause pour être issu de l’immigration polonaise et yougoslave arrivée dans le bassin minier dans les années 1920). Il suffit d’observer les tentatives désespérées des migrants pour rejoindre la Grande-Bretagne, synonyme, à tort ou à raison, d’eldorado libéral où tout redevient possible économiquement, et ce malgré les alternatives proposées par l’État français et les associations locales.

On voit bien les passions que le débat autour du travail des migrants est susceptible d’allumer, dès lors que nous aurions l’imprudence de nous montrer trop approximatifs dans les termes utilisés ou, pire, si nous l’abandonnions aux seules expressions militantes des pro et anti-migrants. On voit bien qu’un tel débat est du pain béni à la fois pour des néo tiers-mondisme un peu naïf en quête de bonne conscience d’un côté et pour le Rassemblement National de l’autre, bien décidé à se refaire une santé, consciente de l’affaiblissement des partis d’opposition.

Or, deux points peuvent venir fragiliser le débat. D’une part, la notion de permis de travail. Il ne s’agit pas de faire croire, comme souvent, que rien n’existe. Mais bien de s’interroger si ce qui a été pensé en tuyau d’orgue en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, dans les années 1980-90, au mieux dans les années 2000, reste à échelle des enjeux de la mondialisation en 2020. La réponse est, non. D’autre part, la notion de régularisation me semble mériter un peu plus de rigueur de la part des participants au débat : s’agit-il de régulariser le travail des migrants ou de régulariser les migrants eux-mêmes ? Ce qui constitue deux notions radicalement différentes, pourtant souvent renvoyées un peu hâtivement à une même sémantique. La deuxième option laisse, en France, le souvenir crispé des régularisations de sans papiers intervenus à intervalles de cinq à dix ans et qui, comme chacun sait, n’ont apporté aucune réponse de long terme au phénomène migratoire.

Abstenons-nous donc, en 2018, de propositions binaires ou dogmatiques qui ne feront que monter une sensibilité contre une autre, et de nous emmener, en définitive, dans des impasses politiques.

Entre l’impasse de la naturalisation automatique (synonyme d’appel d’air et inacceptable pour l’opinion) et l’impasse de l’illégalité administrée (en clair la situation actuelle), une troisième voie doit être recherchée. Celle-ci doit permettre de préserver le caractère de réversibilité de la présence sur le territoire (personne ne peut attester qu’un pays instable en 2018 le sera encore en 2025 par exemple). Cette « troisième voie » doit surtout permettre de sortir de l’ambiguïté en matière de droits économiques et sociaux qui reste le fond du problème pour les accueillis comme pour les accueillants.

Si nous voulons pousser la cohérence jusqu’au bout, nous devons faire en sorte que cette « troisième voie » s’adapte à la réalité de Schengen. Et non garder l’actuel système de distribution de permis de travail à l’échelon national (valable dans un pays et non dans un autre pour des résidents hors UE), le plus souvent avec des complexités administratives et des délais longs (jusqu’à un an en France).

Enfin, osons une politique de quotas fondée sur l’analyse des besoins réels des différentes économies de la zone euro. Je suis bien-sûr sensible aux arguments de celles et ceux qu’une telle proposition effraie ou indispose. Mais ont-ils quelque chose de mieux à proposer que le statu quo dans lequel nous nous trouvons actuellement, que ce soit en France, en Italie, et on le voit, en Allemagne ? On voit bien que la générosité d’un dirigeant européen, seul, ne suffit pas sur le long terme. Les campements sauvages, à Calais ou à Paris, l’explosion de mineurs isolés livrés à eux-mêmes à leur majorité… L’extrême droite ressort la grande gagnante de cette situation, de toutes façons promise à quota zéro en termes d’intégration. Pour autant, il serait naïf de penser que s’abstenir de légiférer sur le travail des migrants éloigne le travail des migrants. C’est tout le contraire. Ces derniers alimentent les bataillons de travailleurs clandestins, de l’habitat indigne, quand ce n’est pas celui de la prostitution. Les femmes sont d’ailleurs souvent oubliées deux fois dans cet apolitisme migratoire.

Il n’existe pas de solution miracle. Mais des pistes utiles sont probablement à rechercher dans des démocraties à échelles géographique et sociologique comparables.

L’Europe gagnerait beaucoup à s’inspirer de la carte de résident permanent au Canada ou aux États-Unis, plus connue sous le nom de green card. Elle reste d’ailleurs, pour beaucoup de créateurs ou d’étudiants, y compris en Europe (et donc à priori peu poussés par la faim ou la persécution) le sésame vers un rêve américain… sur lequel l’Amérique a longtemps su capitaliser pour attirer des talents tant en matière d’art ou de nouvelle technologies.

La green card est un document d’identification délivré par les services de l’immigration permettant aux citoyens non naturalisés de s’installer et de travailler légalement sur le territoire sans besoin de visa. Les droits et devoirs des porteurs de la carte sont identiques à ceux de n’importe quel citoyen (impôts, droits sociaux) hormis le droit de vote et l’accès à certaines fonctions administratives et électives. Bref, l’obtention de la green card n’équivaut en rien à l’obtention de citoyenneté américaine ou canadienne. Elle ne présage pas plus une réponse favorable à une hypothétique demande de naturalisation qui, d’ailleurs, ne peut qu’être instruite à l’issue de plusieurs années (le plus souvent 5 ans).

Dans l’idéal, la green card à l’Européenne devrait être délivrée par la future autorité européenne du travail, seule apte à apporter un traitement suffisamment harmonisé de ces demandes de permis de travail à l’échelon de la zone euro, voire en aidant la réorientation de certaines compétences vers certaines géographies de l’Union en fonction des besoins. La green card à l’Européenne pourrait être instruite et délivrée indépendamment du traitement de la demande d’asile pouvant obéir à un processus plus long. Dans l’idéal toujours, cette même demande d’asile ne serait plus régie par le règlement de Dublin qui a vécu, mais bien par le bureau d’appui en matière d’asile (actuel EASO), lui-même transformé en une agence européenne opérationnelle, désormais responsable devant la Commission et le Parlement.

Je le sais, pour certains cet « idéal » s’apparente à un pêché de naïveté. Pour celles et ceux qui acceptent de regarder le monde dans ses enjeux et dans son époque, il n’est que l’orientation qui doit être prise par l’Europe pour apporter des réponses concrètes en faveur d’une gestion à la fois économique, sociale et humaine du phénomène migratoire. Ce n’est pas simple. Mais c’est peut-être justement parce que ce n’est pas simple que nous devons le faire.

The Aquarius urges the end of the Dublin regulation for a new European asylum system

The Aquarius, which is currently being lost in the Mediterranean with more than 600 refugees on board, is only the illustration of a dark everyday life on the borders of Europe. With the exception that, this time, the effect « hot potato » between Italy, Malta, Spain and France mediatized the event in an inglorious way.

In reality the Aquarius announces a long series of dramatic breaking downs if nothing is done very quickly. Fact is that the Dublin regulation has lived!

It is becoming urgent to define a European asylum system based on the welcoming capacity of the States, itself defined over a more contractual and longer term (for example three years), and better debated with the national Parliaments. Why not modulate a part of the European funds (ERDF, ESF, future EMF …) to the degree of commitment of each in this new integrated policy.

It is also essential to transform the current European Asylum Support Office (EASO) into a strong European Agency responsible to the Commission and the Parliament, as well as a decentralized network within the States.  The temptation is great to evade the issue. Why not… but it is playing the risky game of assuming  the feeling of abandonment that can be felt by States in charge of the external borders of the Union and. De facto, it is accepting the nationalist upsurge in these latters. The Orban, Conte, Jansa did not arrive on a snap …

We have many reasons to reform the right of asylum in Europe. We can do it by humanity towards migrants. We can do this in order to show the rest of the world what Europe is at a moment when the latter is looking for new leadership. We can do it, simply, in order to preserve our unity, our democracy, some would say our « tranquility » … Each of these claims, each of these point le views deserves to be listened to and respected. But what is certain is that we have everything to lose by doing nothing.

Aquarius – gare au réveil !

L’Aquarius laissé actuellement en perdition dans la Méditerranée avec plus de 600 réfugiés à son bord n’est que l’illustration d’un sombre quotidien aux frontières de l’Europe. A ceci près que, cette fois, l’effet « patate chaude » entre l’Italie, Malte, l’Espagne et la France a médiatisé l’évènement de façon peu glorieuse.

En réalité l’Aquarius est annonciateur de profonds déchirements si rien n’est entrepris très rapidement. Ne tergiversons pas : le règlement Dublin a vécu !

Il devient urgent de définir une gestion et un droit d’asile européen fondé sur la capacité d’accueil des États, elle-même définie sur une durée plus contractuelle, mieux réflechie avec les Parlements nationaux, et plus longue (par exemple trois ans). Pourquoi pas, au besoin, moduler une partie des fonds européens (FEDER, FSE, futur FME…) au degré d’engagement de chacun dans cette nouvelle politique communautaire.

Il devient tout aussi indispensable de transformer le bureau d’appui en matière d’asile (actuel EASO) en une Agence Européenne forte et responsable devant la Commission et le Parlement, ainsi qu’un maillage déconcentré au sein des États. Botter en touche sur une question aussi politique qu’opérationnelle, c’est assumer le sentiment d’abandon que peuvent éprouver, fort légitimement, les Etats en responsabilité des frontières externes de l’Union et, de facto, accepter l’affaissement nationaliste de ces derniers. Les Orban, Conte, Jansa ne sont pas arrivés sur un claquement de doigt. Ils ont bel et bien prospéré sur nos failles, et en particulier la faille migratoire. Gare au réveil…

Nous avons plusieurs raisons de réformer la politique et le droit d’asile en Europe. Nous pouvons le faire par humanité envers les migrants. Nous pouvons le faire afin de montrer au reste du monde ce qu’est I’Europe à un moment où ce dernier semble en quête d’un nouveau leadership. Nous pouvons le faire, tout simplement, afin de préserver notre unité, notre démocratie, d’aucuns diraient notre « tranquillité »… Gageons que chacune de ses sensibilités mérite d’être écoutée et respectée. Mais ce qui est certain, c’est que nous avons tout à perdre à ne rien faire.

Crise iranienne – l’Europe a les moyens de jouer un (très) sale tour à Donald Trump !

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Au-delà du risque d’embrasement qu’elle fait courir au Moyen-Orient, la décision des Etats-Unis de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien sonne l’heure des choix pour les Européens. Ce n’est certes pas la première fois que les Etats-Unis menacent leurs alliés de sanctions économiques afin de les faire plier. On se souvient des trésors d’énergie déployés par l’administration Bush pour dénigrer la France et de l’Allemagne alors opposées à l’entrée en guerre avec l’Irak. Mais cette fois l’ultimatum imposé dans la crise iranienne, après les affaires Alstom et de la BNP, pourrait marquer un virage décisif.

Alors oui, les entreprises européennes doivent rester en Iran malgré un faible débouché commercial, sans commune mesure avec celui des Etats-Unis  (moins de 1 % des exportations de l’UE). Et ce pour plusieurs raisons.

D’abord parce que l’Amérique de Trump passera ! Et elle passera d’autant plus vite que cette Amérique, qui ne fait pas non plus l’unanimité parmi le peuple américain, s’isolera sur la scène internationale. En revanche, les conséquences des décisions en cours engagent l’avenir aux frontières de l’Europe pour une durée qui s’étalera au-delà du mandat du Président Trump. Les Européens doivent avoir les idées claires sur le fait qu’ils seront placés en première ligne du risque terroriste et d’une immigration de masse, bien avant les Etats-Unis.

Ensuite parce que l’Europe est condamnée à jouer un rôle dans cette partie du monde. L’Europe « héritera » tôt ou tard de la responsabilité d’une recherche de résolution au conflit israélo-palestinien. Un tel scénario apparaît presque inévitable alors que tout depuis la chute du mur de Berlin pousse l’Amérique à regarder vers l’Asie. C’est donc bien sa respectabilité pour demain que l’Europe joue aujourd’hui dans cette crise. La décision qu’elle prendra sera scrutée bien au-delà des seuls volumes des contrats signés par PSA ou Airbus, par le Moyen-Orient mais également la Russie et la Chine. Abandonner cette partie du monde maintenant ouvrirait un boulevard économique et diplomatique à ces derniers.

Alors certes l’Europe a la possibilité de tenir tête aux Etats-Unis dans cette crise en prenant une « loi de blocage » qui empêcherait ses entreprises de se conformer à la législation américaine. Mais il y a fort à parier qu’elle ne le fera pas craignant d’ouvrir une guerre économique trop frontale avec les Etats-Unis.

A vrai dire, « loi de blocage » ou non, cela ne changerait probablement pas grand-chose… car la limite d’intervention de l’Europe se situe ailleurs. En effet, si l’Administration Trump se montre aussi sûre d’elle, c’est certainement moins en raison d’une supériorité morale ou diplomatique qu’en raison de la suprématie monétaire des Etats-Unis. C’est bien parce qu’elles traitent en dollar qu’il sera difficile pour nos entreprises de passer à côté des lois américaines.

La crise iranienne constitue en réalité l’un des nombreux épisodes d’une présidence américaine qui, à chaque facétie, pose un peu mieux sur la table le problème et sa solution. Le problème étant l’obsolescence d’un système monétaire international, sorti de la seconde guerre mondial et à peine retoiletté dans les années 1970. La solution étant la nécessité, désormais, d’élever l’euro aux côtés du dollar au rang de monnaie de référence.

L’objectif n’est certainement de « contrer » les Etats-Unis, ce qui n’aurait aucun sens d’un point de vue moral et historique. Mais bien de permettre à l’Europe d’affirmer sa souveraineté économique et, par là-même, aider au rééquilibrage de relations internationales fortement mises à mal depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le rééquilibrage euro-dollar s’inscrit probablement dans un enjeu de refonte plus global de la gouvernance mondiale – ONU, FMI, OMC…  C’est un chantier à trente ans ! Si elle ne le fait pas, l’Union Européenne pourrait ainsi abandonner ce contre-pouvoir, monétaire puis géopolitique, à la Chine, elle, bien déterminée dans ce sens. L’Europe pourrait ainsi se marginaliser deux fois en une génération à peine. Est-ce réellement la place à laquelle nous aspirons pour nos enfants dans le monde de 2050 ?

Or, l’Europe a la possibilité de concurrencer le dollar bien plus facilement qu’on ne le pense. L’administration Trump fait le pari, jusqu’à présent rationnel pour tout gouvernement américain d’après-guerre, d’une Europe bien trop divisée pour s’émanciper. Renverser nos divisions internes tiendrait l’administration Trump en échec, avec des répercutions extraordinairement puissantes.

Le poids de la monnaie américaine dans l’économie est le reflet de l’Histoire – les accords de Bretton Woods, le recyclage des pétrodollars… Mais c’est aussi un peu devenu de l’Histoire ancienne. Depuis lors l’Amérique n’est plus la première puissance économique.

La suprématie du dollar dans l’économie mondiale se fonde sur un ensemble de facteurs : une capacité d’attraction, de création, de brevetabilité sans égal, un  rayonnement culturel solidement ancré, une capacité de projection diplomatique et militaire… Mais c’est également parce que les Etats-Unis sont parvenus à maintenir une faiblesse en force que le dollar reste la valeur d’étalonnage. En faisant financer un endettement colossal par le reste du monde, la monnaie américaine continue d’inonder le marché. En 2018, près des deux tiers des réserves mondiales de change restent libellées en dollar contre à peine un cinquième en euros, alors que le poids de l’Union Européenne supplante celui des Etats-Unis (respectivement 25 et 20 % du PIB mondial).

Je ne suis pas en train d’expliquer que l’Europe doit s’endetter « plus », alors que nous tournons avec bien des difficultés la page des dettes souveraines qui auraient pu être fatales à l’Union… Mais bien que l’Europe doit s’endetter « mieux » ! Elle doit apprendre à jouer d’une partition dont l’Amérique a longtemps mené seule le tempo. Si elle veut jouer crédible, l’Europe doit muscler tous les signes de respectabilité sur la scène internationale – à commencer par des institutions plus lisibles, une diplomatie et une défense commune. Mais elle doit surtout apprendre à politiser sa dette !

Jacques Delors a émis l’idée des euro-obligations (euro-bonds) dès la fin des années 80, presque comme le pendant naturel de la monnaie unique. Depuis lors, nous les regardons comme un serpent de mer, presque anxieux devant autant d’évidence et de faisabilité.  Le moment est maintenant venu.

Ces euro-obligations pourraient être réservées à l’investissement et aux grands projets d’infrastructures, indispensables à la digitalisation ou la transition énergétique, domaine dans lequel deux visions du monde s’opposent : l’Europe d’Emmanuel Macron d’un côté et l’Amérique de Donald Trump de l’autre.

Réserver les euro-obligations à l’investissement permettrait non seulement d’en conforter la valeur mais aussi et surtout d’achever de convaincre nos voisins allemands, historiquement prudents par crainte d’y retrouver de la dette restructurée « moins vertueuse ».

L’Europe ne concurrencera pas le dollar à coups de directives. Convergence sociale et fiscale, obligations, budget de la zone euro… L’Europe a besoin d’outils nouveaux dignes de son rang tels que les défend le Président français, il est vrai pour l’instant en minorité… mais aux côtés de dirigeants européens de plus en plus en fragilisés à domicile.

L’émission d’euro-obligations destinées à alimenter un budget de la zone euro (et entre autres de renforcer la circulation de l’euro face au dollar dans le monde) prendrait quelques mois, peut-être une année. Bref, un délai difficilement compatible avec l’ultimatum lancé par le Président américain à l’Europe.

En revanche, la décision de substituer l’euro au dollar dans des contrats signés avec certains pays tiers prendrait tout au plus… quelques semaines. Les freins sont techniquement peu nombreux. Ce qui peut encore retenir la main des dirigeants européens ? La vision d’Europe ! L’Europe doit-elle nous aider à reprendre la main sur la marche du monde ou doit-elle nous aider à affronter la marche du monde ? La nuance est subtile. Elle sépare pourtant depuis vingt ans les visions française et allemande sur le projet européen…

Et si finalement Donald Trump était « l’homme providentiel » que l’Europe n’attendait plus ?