Les effets d’estrades sont le propre des campagnes électorales. « Macron veut mettre les pauvres au travail », « Etre pauvre devient une infraction », « Une violence inouïe » – voici quelques réactions des candidats opposant au candidat Macron, immédiatement après qu’il ait annoncé son programme pour la présidentielle, et en particulier sur la question du RSA.
Comme dans tout bon exercice de sciences sociales, commençons par reposer un contexte. Plus de 40 % des allocataires du RSA le sont depuis plus de cinq ans. En 2018, quand fut lancée la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, près d’un allocataire sur deux entrant dans le RSA sortait d’un dispositif de Pôle Emploi. Ce qui veut dire que la société française s’est longtemps accommodée d’une situation par laquelle on laissait entrer dans un minima social : soit des personnes n’ayant eu aucune ou peu activité (à fortiori plutôt jeunes, pas ou peu qualifiées), soit des personnes quittant une activité mais sans débouché à l’issue de douze ou dix-huit mois de droits ouverts aux politiques « normatives » de l’emploi. Si ce n’est pas ça la « violence sociale », qu’est-ce alors ?
Qu’une partie de l’opposition s’échine à faire passer le candidat Macron pour un thatchériste quand sa présidence fut l’une des plus redistributives sous la Vème république, dans un pays où les inégalités sont parmi les plus contenues au monde, est une chose. Que cette même opposition s’évertue à laisser croire que le rétablissement de 3 Md€ d’ISF permettrait d’engager 100 Md€ de dépenses nouvelles, aussi (retraite à 60 ans, suppression des taxes sur les carburants…). On est toutefois en droit d’être surpris devant autant d’ire, réelle ou feinte, et, pour tout dire, surpris devant autant d’approximation, qui plus est de la part de candidats réclamant à cor et à cri « plus de débat ».
Les candidats opposant à Emmanuel Macron découvrent ils vraiment que le « RSA contre bénévolat » (ou activité) … existe depuis 4 ans ? (même s’il est vrai que son déploiement varie d’un département à un autre). Ce dispositif prend la forme d’un accompagnement social + emploi innovant et très renforcé, fondé sur une reprise d’activité, elle-même assurée par un opérateur de l’insertion, une collectivité, ou via un emploi aidé. Ce « RSA contre bénévolat » (ou activité) porte un nom : la garantie d’activité. Elle est cofinancée par les Conseils départementaux, les Pôle Emploi, les CAF, l’Europe (via les fonds REACT EU) et par l’Etat.
Les candidats à la présidentielle, qui s’avèrent également être des maires, des conseillers départementaux ou régionaux, des députés, ignorent ils réellement tout de la fracture entre le social et l’économique ? Et le fait que, si elle n’obère pas fondamentalement la recherche d’emploi d’une majorité de demandeurs, elle constitue en revanche l’angle mort de l’insertion pour des chômeurs de longue durée ou des jeunes ? N’y a t-il pas, dans les territoires qu’administrent ces élus, des autoécoles sociales, des CCAS, des associations d’aide alimentaire ?
Chaque RSA versé « coûte » chaque année à la collectivité autant qu’un allègement de charges Fillon (1.6 SMIC), et en réalité plus si l’on y réintègre les coûts externes de l’accompagnement social. Il est évident qu’il y a là un sujet « d’activation » de la dépense sociale au bénéfice de l’économie réelle, plus encore quand dans une période où les tensions de recrutement sont, pour partie, liées à des salaires trop peu revalorisés. Mais imaginer que des concitoyens fragilisés par une longue période d’inactivité (souvent doublée d’un niveau de qualification insuffisant et de freins périphériques) puissent s’intégrer au monde de l’entreprise sans un minimum de « sas » traduit une méconnaissance des facteurs de compétitivité comme des séquelles psychosociales liées à l’exclusion. N’est-ce pas finalement aussi un peu cela… la « stigmatisation » ?
Quelques heures passées régulièrement dans une association, une collectivité, ou à la découverte d’un métier, c’est enfin passer des dispositifs sociaux à l’action sociale : renouer avec du collectif, retrouver un réseau (le collègue qui va relire un CV, l’offre d’emploi dont on va avoir connaissance par le bouche à oreille), faire mûrir un projet professionnel. Bref, prendre le temps de l’insertion. Faut-il revenir sur des décennies d’orientation « à l’aveugle » vers des formations bidons « parce qu’il y a de la place » indépendamment des compétences des candidats, des besoins, des réalités du marché…
Bien sûr que nous devons nous montrer vigilants à ce que cette rénovation du Contrat Social s’opère en conformité du droit (européen, comme celui du Code du travail) et de l’éthique. Telle sera la tâche des oppositions et des différentes sensibilités qui composeront la majorité si Emmanuel Macron est réélu, et si les Français acceptent de la lui donner. Mais laisser planer le doute, quand on est un responsable politique, sur le fait que le projet pourrait être celui de transformer des bataillons d’allocataires en main d’œuvre servile jette le mépris sur un tissu associatif particulièrement engagé (porteur de l’insertion par l’activité économique, des territoires zéro chômeur de longue durée), sur des élus refusant la misère, et sur des travailleurs sociaux qui accomplissent une tâche difficile. Pire encore, cela contribue à invisibiliser encore un peu plus les principaux intéressés eux-mêmes, les allocataires.
En matière d’insertion comme ailleurs, il n’existe pas de baguette magique. Pourtant, les faits sont têtus. Dans les départements où le « RSA contre bénévolat/activité » a été le plus massivement déployé, outre la diminution du nombre de demandeurs d’emploi et du nombre d’allocataires du RSA (souvent à des niveaux inférieurs à ceux de 2010), on constate surtout l’inversion du nombre d’allocataires longs (plus de 5 ans). Ce qui n’était pas arrivé depuis la création du RMI… en 1989. L’analyse des faits et la gravité de la question ne méritent elles pas, parfois, de mettre un peu les idéologies de côté ?
Les allocataires des minima sociaux ne sont pas une statistique, ils sont des personnes. Puissions nous nous en souvenir tout au long de cette campagne – et après.