La pré-offre politique faite aux Français à six mois de la présidentielle fait la part belle aux radicalités et aux divisions. Un peu comme s’il flottait, dans cette pré-campagne, un air de déconnexion des défis que le pays aura à relever dans les années à venir, voire dès les tout prochains mois.
Le télétravail a rapproché les emplois de bureau du risque de délocalisation. Chaque année, notre État social coûte l’équivalent de trois crises du covid, cinq fois plus que le régalien. Quelques mois de pandémie auront suffi à nous donner un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler la décroissance dans laquelle certains souhaiteraient nous projeter tel un “grand soir”. Un conflit entre la Chine et les Etats-Unis est-il complètement à exclure ? Les Européens se contenteraient-ils de rester en observateurs ? Le climat va rebattre les cartes de la géopolitique mondiale. Ce monde n’est pas celui de demain, il est celui dans lequel nous entrons de plein pied à bas bruit.
La peur a toujours été un puissant moteur et cette élection, il faut le craindre, ne fera pas exception. Pour autant, pris individuellement ou dans leur globalité, aucun des défis qui attendent les Français ne trouvera de réponses dans des effets d’estrade, mais bien dans le contrat social ; contrat social dont il n’est pas exagéré de dire qu’il aura été la boussole du quinquennat d’Emmanuel Macron.
On peut se montrer critique sur le pass sanitaire, sur la réforme de l’assurance chômage, la garantie d’activité, l’obligation de formation… il ne pourra être nié que rarement le principe de conditionnalité des droits aux devoirs aura été à ce point replacé en socle de toute chose publique – res publica. Et Dieu sait que nous aurons besoin de république ! Là où d’autres prônent fatalisme, abandon ; d’autres encore, la guerre civile dans une emphase médiatique sidérante…
C’est la république qui rendra possible l’émancipation de chacun en préservant de la tentation de domination d’une minorité.
C’est la république qui rétablira l’égalité des chances. C’est l’esprit du « 100 % santé », du plan « 1 jeune 1 solution », du « contrat d’engagement jeune ».
La république, c’est l’école ! Ce n’est pas un hasard si la lutte contre la pauvreté s’est concentrée sur le décrochage scolaire ; si la protection de l’enfance est redevenue un sujet régalien ; si le choix a été fait de rouvrir la classe avant les bars en sortie de confinement.
Faire république, c’est remettre l’économie au service de celles et ceux qui la font. Allégement de la fiscalité des plus modestes, activité partielle, prime d’activité, apprentissage, prime à la conversion énergétique… Il y aura toujours un chiffre pour tenter de démontrer que “c’est trop”, “pas assez”, ou que cela « aurait pu être fait autrement ». La réalité est que le pays a su renouer avec un capitalisme rhénan là où il s’était totalement abandonné au capitalisme financier au tournant des années 1990-2000. L’investissement dans nos territoires, comme dans les compétences, pavent le chemin d’une reconquête productive et sociale. Mais c’est un chemin qui sera long, peut-être même jalonné d’échecs, ne nous mentons-pas ! Surtout, c’est un chemin fragile et réversible…
D’aucuns se délecteront de chercher « l’épine dorsale”, un “ADN du macronisme », supposément vacant. C’est un fait, le quinquennat Macron ne se démarquera d’aucune “grande réforme” comme naguère l’abaissement de l’âge de la majorité, l’abolition de la peine de mort, le mariage pour tous… Réduire, par la puissance du contrat social et de la république, la fracture qui, année après année, faisait s’éloigner le catégoriel de l’universel, est cette grande réforme. Ce choix, un président, et avec lui des forces sociales, libérales, et démocrates, de gauche comme de droite, l’ont fait ; et ce à un moment où le pays avait probablement moins besoin de sociétal que de partager à nouveau des valeurs.
Ne nous y trompons-pas, c’est bien parce que la France retrouve un esprit de concorde qu’elle renoue avec une capacité de réformes. Et, par là-même, qu’elle regagne la confiance de ses partenaires. Si le leadership économique demeure encore acquis à l’Allemagne, la France n’en a pas moins conforté un leadership politique dans une Europe désormais libérée du Brexit, convaincue des vertus du fédéralisme économique, de l’importance de son marché intérieur, de ses frontières. Cela peut changer beaucoup de choses dans la séquence à venir !
Alors, est-ce à dire que tout va bien ? Non. Il est évident que beaucoup de Français “tirent le diable par la queue”. La France des chiffres, aussi encourageante soit-elle, ne doit pas gommer une France des visages, une France des parcours, une France de l’accomplissement. Mais qui peut croire que cinq ans puissent suffire à réduire vingt ou trente ans de fragilités cumulées ? La question du pouvoir d’achat ne doit pas éclipser les avancées en matière d’accès aux droits, d’éducation, d’emploi, et d’insertion. Elles sont durables et seront le pouvoir d’achat de demain.
Des erreurs ont-elles été commises ? C’est incontestable. Les vieux démons monarchistes ne sont jamais très loin, il faut bien le reconnaître. A l’évidence, un second mandat d’Emmanuel Macron devra accorder une place plus importante au Législatif, aux territoires, libérer la strate administrative…
La France de 2022 n’est plus la France de 1980 ! Ni même, pour tout dire, plus tout à faire celle de 2017. Pour un président sortant, s’engager dans un second mandat ne constitue plus une sorte de suite logique, pas même pour un président de crise. Deux questions au moins devront être posées aux Français par la présidentielle. La première sera de savoir s’ils aspirent à se projeter comme nation, là où l’individualisme et les passions bruyantes semblaient devoir triompher. La seconde sera de savoir s’ils aspirent à se projeter dans un temps long, que l’on pensait volé par la mondialisation, mais dont les cinq dernières années ont montré qu’il pouvait être réhabilité par la politique. Le programme du candidat Macron viendra en son temps. Il est même probablement souhaitable de laisser les candidatures alternatives s’installer.
Mais le seront-elles ?