Le scrutin majoritaire garantit au président de la république la majorité aux élections législatives qui suivent sa propre élection. Le quinquennat a par ailleurs définitivement relégué la proportionnelle. Qu’importe si depuis des décennies notre démocratie se contente de circonscrire l’exercice parlementaire à un nombre restreint de sensibilités, on y verrait presque le gage acceptable de l’endiguement du rassemblement national.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Marine Le Pen ne pouvait désormais l’emporter, aidée d’un front républicain toujours plus fragilisé. Tout irait pour le mieux si le fait de réduire des formations entières au simple bavardage n’avait poussé un électeur sur deux à l’abstention et cantonné un votant sur trois à la simple figuration. Comment s’étonner, dans ces conditions, que des débats empêchés au sein de la démocratie institutionnelle ne se déversent dans d’autres agora – certaines vertueuses, d’autres moins ? Depuis une vingtaine d’années, nous nous sommes enthousiasmés devant la montée en puissance d’une démocratie directe, dite également « alternative », « participative », « citoyenne », supposément signe de vitalité. Et s’il avait fallu, au contraire, y voir une alerte ?
Réinterroger maintenant la proportionnelle pourrait relever de l’existentiel. Cette question doit être posée à un moment où le pays, qui commençait à se redresser, tient bon dans la crise, précisément grâce à des réformes structurelles trop longtemps ajournées faute de courage. Plus forte progression du pouvoir d’achat depuis 17 ans. Plus forte baisse de la fiscalité sur les ménages depuis 20 ans (28 Md€) et sur la production depuis 40 ans (20 Md€). Hausse générale de tous les minima sociaux. Record historique de l’apprentissage. Un plan pauvreté qui ne se contente pas d’aligner les milliards (8,5 Md€ tout de même) mais de fédérer le social et l’économique dans un véritable service public de l’insertion, d’instaurer la garantie d’activité, de renforcer la protection de l’enfance, de lutter contre les violences intrafamiliales, d’instaurer des cantines à 1 euro. Des aides massives à la transition écologique, pour les territoires comme les particuliers. Un plan de relance de 100 Md€. La France a retrouvé son leadership en Europe. Elle relocalise… On peut être pour, on peut être contre. Mais personne ne saurait remettre en cause le réformisme, à la fois économique et social, « et de droite et de gauche », du quinquennat d’Emmanuel Macron. Pouvons-nous pour autant conclure, sinon à un consensus, à tout le moins à des débats de sociétés sereins ?
Il fut un temps où pour convaincre l’homme de la rue, le politique se devait de dépasser les chiffres pour parler des effets au quotidien. Il est venu le temps où il faut désormais convaincre de l’objectivité même de ce quotidien. Les algorithmes ont pulvérisé la dialectique. L’immédiateté des réseaux sociaux a remplacé la spontanéité des comptoirs. Le média s’est transformé en tribune. Le club en déversoir des frustrations, parfois des haines. La société du débat s’est progressivement mue en société de la polémique. La question n’est pas de savoir si l’on trouve cela bien ou un mal, c’est un fait.
Tenter de mieux réguler les réseaux sociaux s’avérera aussi vain que contre-productif. Tenter d’amadouer cette démocratie directe dans l’espoir de mieux la ramener dans la sphère du pouvoir décisionnelle ne fonctionnera pas plus. On voit bien les limites de la commission citoyenne en faveur du climat ou la tentative de « commission vaccins » déjà aux oubliettes. Retournons le problème comme le voudra : la démocratie, même participative, ne peut pas être la vox populi.
Arrêtons de nous cacher derrière des concepts faussement sociologiques. Si l’horizontalité de la société est pour beaucoup dans cette fracture entre démocratie institutionnelle et démocratie directe, l’origine du mal est bien la crise de représentativité qui traverse la première depuis des décennies. C’est pourquoi le scrutin à la proportionnelle, loin d’une quelconque position idéologique, s’impose.
Balayons le spectre de l’instabilité de la IVème république, ce risque étant considérablement réduit, voire neutralisé, par le régime présidentialisé de la Vème (plus encore si c’est le scrutin à la plus forte moyenne qui est retenu). De même que la circonscription départementale (sur le modèles de ce qui fut pratiqué pour législatives de 1986) semble préférable à une liste nationale pour ne pas distendre le lien avec les électeurs.
Il reste peu de temps, mais un temps utile, pour créer les conditions d’un rendez-vous plus démocratique, mieux représentatif de la sensibilité des Françaises et des Français, dès les législatives de 2022. Deux propositions de loi du groupe MoDem sont sur la table. L’une en faveur de la proportionnelle intégrale ; l’autre à la faveur d’une proportionnelle partielle qui s’appliquerait aux départements comptant 12 circonscriptions et plus (130 députés au total).
On ne peut rester indifférent à l’argument selon lequel la crise sanitaire imposerait d’autres priorités au pays. On peut aussi, à argument égal, renverser la démonstration : en succédant de quelques mois à la crise des gilets-jaunes (elle-même fut une crise de la représentation qui a justifia la tenue de grands débats), la crise sanitaire a renforcé l’envie de pluralisme, de représentation, de débats mieux nuancés – en matière économique comme en matière sociale. On ne peut jamais confiner la démocratie au risque d’en payer, un jour, le prix fort.
Candidat dans la 3ème circonscription du Pas-de-Calais, au soir du 18 juin 2017 près de 15.000 personnes venaient tripler le nombre de voix du premier tour. Près de 50.000 personnes ne s’étaient pas déplacées, ni sur le projet que j’eus l’honneur de porter ni sur celui de mon opposant. Comment rester insensible à cette confiance que des femmes et des hommes vous accordent le temps d’un scrutin ? Ils les font parfois par conviction (le plus souvent dès le premier tour). Mais ils le font aussi parfois plus en pointillé, un peu « faute de mieux », mais parce que choisir un « candidat imparfait » vaut toujours mieux que d’être réduit au silence. L’engagement ne s’arrêtant pas à une élection, gagnée ou perdue, c’est autant par conviction politique (le centre libre réclame la proportionnelle de longue date) qu’au nom de cet engagement moral avec les électeurs de 2017 que je soutiens ardemment la proportionnelle, dès les législatives de 2022, afin que toutes les sensibilités puissent être représentées et afin de redonner l’envie à celles et ceux qui se sont abstenus.