Une décennie se clôture par une pandémie là où elle avait débuté par une crise financière. Décennie pendant laquelle la théorie de Fukyama aura été malmené : la montée des populismes, l’isolationnisme américain, la démonétisation de l’Organisation Mondiale du Commerce, le Brexit, la fragilisation de l’état de droit, la violence sociale, le communautarisme… Et si, finalement, loin d’étalonner la mondialisation la démocratie libérale en était le substrat soluble ? La pandémie de covid-19 sonnerait presque le coup de grâce. Même les attentats du 11 septembre n’avaient pas engendré un recul aussi brutal des libertés. Même la très libérale Suède n’aura finalement pas résisté. Alors… assistons-nous réellement au début de la fin du libéralisme ?
Quel que soit l’angle sous lequel on regarde la marche du monde, force est de constater que ce sont dans les démocraties où le plus de vies ont été sauvées ; et dans les plus solides d’entre elles où la fonction économique et sociale des personnes aura été la mieux préservée.
La pandémie aurait dû être le pain béni des populismes qui, nulle part, ne sont parvenus à tirer leur épingle du jeu. Les illibéraux n’auront pas eu grand-chose de plus à proposer que des masques et du gel à celles et ceux tentés par plus de protection. En revanche, la fermeture des frontières, la surveillance de nos déplacements, l’interdiction de faire la fête où, quand et avec qui l’on veut, la mise sous séquestre de la culture, auront donné un avant-goût du quotidien d’une société illibérale. De quoi faire passer l’envie de Venezuela à beaucoup…
La pandémie aura mis en exergue la puissance du complotisme antiscience. Mais l’Humanité n’étant pas à un paradoxe près, c’est aussi à cette période qu’aura été élaboré en temps record un vaccin mondial, seul rendu possible par la compétition internationale et l’accélération de la circulation du savoir. C’est une gifle cinglante à l’illibéralisme.
Que des réseaux sociaux érigés en agora permettent à une minorité bruyante de s’époumoner est une chose. En glissant dans une société du commentaire, la société du média a également montré les dangers pour la démocratie. Il n’empêche. Le recul de l’esprit critique n’est-il pas le fond du problème ? Faut-il y voir un hasard si les théories anti-vaccins prospèrent plus fortement dans des pays où l’enseignement des savoirs scientifiques décroche continuellement ? Bouder les mathématiques n’a pas pour seul écueil de produire moins d’ingénieurs (ce qui est déjà un problème en soi). Cela produit aussi des citoyens moins éclairés. Ne soyons pas dupes non plus au point de croire qu’une majorité des anti-vaccins ne sauveraient pas leur vie et celle de leurs proches devant une recrudescence mortelle de la pandémie. Qu’il est facile de « jouer les héros », lové depuis son salon, quand l’État continue de socialiser le coût de l’aléa moral ! Quoiqu’il en coûte…
S’il est un domaine où la pandémie a créé de nouvelles adhérences, c’est bien le digital. En quelques semaines, nous sommes passés de la forteresse anti-uber à une sorte de conscience numérique. Cela a presque quelque chose de providentiel alors que l’Europe entendait relever avec détermination (mais aussi très seule) le défi de gouvernance numérique !
Au plus fort de la crise, nous nous sommes émus du sort de nos aînés et des salariés restés en première ligne. La technologie aidera à mieux de justice sociale – si tant est bien sûr, que nous acceptions de la maîtriser. Le télétravail va rapprocher des territoires entiers de la dynamique de croissance (l’une des causes du mouvement des gilets jaunes). Dans dix ans, les exosquelettes feront reculer la dépendance et la pénibilité au travail, possiblement avec des débuts de réponses à l’allongement de la vie active (sujet ô combien crispant quelques semaines à peine avant le confinement en France). Or, ce n’est certainement pas l’illibéralisme, en tenant le capital et le risque en défiance, qui rendra possible cette marche en avant.
Quelques semaines de confinement auront suffi à faire voler en éclat le mythe d’une décroissance illibérale qui serait inéluctablement la décroissance des uns et la croissance d’autres. Un million de personnes se rapprochant du halo de la pauvreté, 20 % de foyers se partageant 100 Md€ d’épargne supplémentaire : voilà pour la France. 12 millions d’emplois détruits : voilà pour les États-Unis. Quelque 200 millions d’individus retombés sous le seuil de 2 dollars par jour : voilà pour les pays en développement (craignons au passage le terreau fertilisé pour le terrorisme). Bref, nous avons une chance inespérée pour sortir des divisions qui, lentement mais sûrement, préparaient les sociétés occidentales à la violence, en particulier la division écologique.
Le retour du régalien est l’autre marqueur de la gestion pandémique à l’échelle mondiale. Mais est-ce réellement annonciateur d’une ère « post libérale » comme certains le prétendent ? Probablement pas. C’est peut-être même l’inverse qui est en train de produire. Il n’est de liberté sans protection, de système économique socialement acceptable sans régulation. C’est précisément par ce que la puissance publique n’avait cessé de s’effacer derrière la puissance des marchés que la classe moyenne des bastions industriels de Pennsylvanie, du Nord de la France, de Pologne, ont porté l’illibéralisme au pouvoir… N’est-ce pas sous un Président libéral, dans un pays libéral, que furent promulguées les premières lois anti-trust ? Le défi des GAFA au siècle d’après n’est pas si éloigné de celui des géants de l’acier du siècle d’avant. Il s’est juste considérablement mondialisé. Le monde est prêt à tourner la page d’un néolibéralisme au profit d’un retour aux sources d’une pensée libérale infiniment plus politique : l’affranchissement du pouvoir du roi, la liberté… bref, la libération des Hommes de toute forme de prison, depuis l’ignorance jusque la maladie.
Le crédit social chinois n’a pas encore triomphé. De même que la géopolitique mondiale n’a pas encore totalement basculé vers l’Asie comme il est dit souvent, bien qu’il faille reconnaitre que le curseur se soit encore un peu plus déplacé en 2020. La pandémie de covid-19 a également montré l’extraordinaire vitalité de la démocratie libérale.
Il ne s’agit pas de porter un regard béat ! Ce scénario pourrait encore ne pas s’écrire. Beaucoup dépendra de la capacité à restaurer des lignes gauche-droite actuellement traversées par d’inquiétantes formes de radicalités, en Europe comme sur le continent américain.
L’Occident est actuellement sur une ligne de crête. L’élection de Joe Biden est un risque si elle donnait aux Européens l’illusion qu’ils peuvent relâcher les efforts entrepris sous le mandat le mandat de Donald Trump au profit d’un continent mieux intégré politiquement. Elle est en revanche une formidable opportunité si l’arrivée du Démocrate à la maison blanche prévaut à un nouveau concordat atlantique, qui ne peut être le retour de l’Atlantisme mais bien une relation d’un à un fondée sur la relance des traités commerciaux et la modernisation de la gouvernance mondiale. Le presque milliard d’habitants de cette realpolitik ne serait probablement pas de trop pour contrer l’avancée de la Chine. A vrai dire, probablement la dernière chance pour nous assurer que la mondialisation ne prenne pas, un jour, un chemin différent que celui du libéralisme et de la démocratie.
Poursuivre les idéaux de nos révolutions, promouvoir l’égalité, la justice, reconstruire des ponts entre nos deux continents… on voit combien deux siècles après Tocqueville est resté d’une extraordinaire modernité. Le relire peut être l’autre vaccin utile au 21ème siècle.
____________________________________________
Liberalism is dead ! Long live liberalim !
A decade ends with a pandemic where it began with a financial crisis. Decade during which Fukyama’s theory has been attacked : the rise of populism, American isolationism, the decay of the World Trade Organization, Brexit, the weakening of the rule of law, new social violence, communitarianism … And if, far from calibrating globalization, liberal democracy was its soluble substrate? The covid-19 pandemic would almost sound the final blow. Even the September 11 attacks did not result in such a brutal decline in freedoms. Even the very liberal Sweden ultimately did not resist. Are we really witnessing the beginning of the end of liberalism?
Whatever angle you look at the world from, it is clear that the most lives have been saved in democracies ; and in the most solid of them where the economic and social function of people has been best preserved.
The pandemic should have given ammunition to populists who, nowhere, have managed to pull out of the game. The illiberals had nothing more to offer than masks and gel to those tempted by more protection. On the other hand, the closing of the borders, the surveillance of our movements, the ban on partying where, when and with whom we want, the sequestration of culture, will have given a foretaste of the daily life of an illiberal society. Enough to keep many out of a Venezuelan dream …
The pandemic will have highlighted the power of anti-science conspiracy. But Humanity is not nearly a paradox. It was also during this period that a global vaccine was developed in record time, the only one made possible by the principle of competition and the acceleration of knowledge. This is a scathing slap in the face of illiberals.
It is one thing that agora-style social networks allow a noisy minority to cry out. The media society has slipped into a commentary society, which is not without risk for democracy. But isn’t the decline of the critical mind the problem ? Is it just coincidence that anti-vaccine theories are thriving more strongly in countries where the teaching of scientific knowledge is continually stalling ? Less maths does not only produce fewer engineers (which is already a problem in itself). It also contributes to produce less enlightened citizen. Who believe that the majority of anti-vaccines would not save their lives and those of their loved ones in the face of a deadly resurgence of the pandemic ? How easy it is to « play the hero », coiled from your living room, when the state continues to socialize the cost of moral hazard! « Whatever the cost » – as French Président says …
If there is one area where the pandemic has created new adhesions, it is digital. In a matter of weeks, the anti-uber fortress turned into some kind of digital consciousness. It is almost providential as Europe was determined to tackle the challenge of digital governance, but alone !
Technology is about to supply new levers for better social justice. Teleworking will back bring remoted territories into the dynamic of growth (one of the causes of the yellow vests movement). We’re looking forward to the moment when exoskeletons become a reality to maintain the autonomy of elder people and reduce hardship of the front-line workers ass well – both moved us during the pandemic crisis. It is certainly not illiberalism, by holding capital and risk in suspicion, that will make this incentive possible.
A few weeks of confinement were enough to shatter the myth of illiberal degrowth. It would be the decline of some and the growth of others. One million more people failing into poverty, 20% of households sharing an additional € 100 billion : this is for France. 12 million jobs destroyed : that’s it for the United States. Some 200 million people falling below the threshold of 2 dollars a day : so much for the developing countries (let us fear the fertile ground for terrorism). We have an unexpected chance to emerge from the divisions which, slowly but surely, were preparing Western societies for violence, in particular ecological division.
Central governments and regalian prerogatives have re-emerged during the pandemic. But is it really the evidence a « post liberal era » as some claim ? There is no freedom without protection. There is no socially acceptable economic system without regulation. It was precisely because free market has ruled over State authority that the middle class of industrial strongholds in Pennsylvania, northern France, and Poland, brought illiberalism to power … Was it not under a liberal Presidency, in a liberal country, that the first anti-trust laws emerged ? The GAFA challenge is not far removed from that of the steel giants in the last century. It just has globalized considerably. The world is ready to turn the page of a neoliberalism which has dominated Western thought forty in favor of a return to the sources of an infinitely more political liberal thought: historically the liberation from the power of the king, freedom… de facto , the liberation of Men from all forms of prison, from ignorance to illness
Chinese social credit has yet to triumph. Just as global geopolitics has not yet completely shifted to Asia as it is often said, although the cursor has shifted a little more in 2020. The covid-19 pandemic has also showed the extraordinary vitality of liberal democracy.
We have reasons to be optimistic! But, reasons to be pessimistic too… This scenario may never happen. Much will depend on the ability to restore left-right lines currently crossed by dangerous forms of radicalism, in Europe and in America as well.
The West is currently on a ridge line. The election of Joe Biden is a risk if it gives Europeans the illusion that they can relax the efforts undertaken under Donald Trump’s tenure in favour of a more politically integrated continent. On the contrary, it is an opportunity if the arrival of the Democrat in the White House helps a new Atlantic concordat which cannot be the Atlanticism but a more balanced one-to-one relationship, based on commercial treaties and the modernization of global governance. The almost billion inhabitants of this realpolitik will probably not be too many to counter the rise of China. In fact, probably the last chance to ensure that globalization does derails from liberalism and democracy.
Pushing forward the spirit of our revolutions, promoting equality, justice, rebuilding bridges between our two continents … we see how two centuries after Tocqueville has remained extraordinarily modern. Reading its work again may be the other most powerfull vaccine in the 21st century.