Le plan de relance doit être l’opportunité de moderniser notre économie, accélérer les transitions, créer plus de valeur. Mais quelle que soit la stratégie, c’est bien l’emploi des jeunes qui doit en être le cœur de réacteur.
La première raison tient en un chiffre. Jamais depuis l’après-guerre, pas même lors des chocs pétroliers, notre marché du travail aura eu à intégrer 7 à 800 000 nouveaux entrants dans des conditions aussi dégradées.
Beaucoup de bruits de fond que nous pensons déconnectés de la jeunesse convergent, au contraire, vers celle-ci. Les tensions, qui n’ont pas attendu le feu vert complet du déconfinement, en disent long sur un sentiment d’injustice d’avant crise, désormais prêt à suinter par tous les pores de la société.
Les jeunes ne votent pas, on le savait ; et les dernières municipales l’ont montré avec une proportion aussi inédite qu’inquiétante pour un échelon de proximité qui, il y a dix-huit mois à peine, nous apparaissait à tous comme le plancher de verre de la contestation sociale. D’aucuns tentent de se rassurer en justifiant cette nouvelle marche franchie dans la résignation par la crise sanitaire. Méthode Coué s’il en est ! Y-a-t-il quelqu’un pour croire qu’une génération qui a appris à vivre avec le terrorisme, qui n’a plus peur du sida (ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes), dont certains se sont d’ailleurs mis en première ligne pendant le confinement à coup de CDD de caissiers ou de livreurs, qui ont hâte de retrouver terrasses et concerts ; bref, que cette jeunesse-là se serait abstenue de mettre un bulletin dans l’urne par la seule « peur du virus » ?
Ne pensons pas un instant traiter la question des retraites, maintenant ou plus tard, sans traiter la question des jeunes, tant le besoin de dignité relie ceux qui aspirent à sortir et ceux qui aspirent à entrer dans le monde du travail. Si les sociétés reposaient sur une somme de ratioannalités tangibles, cela se saurait depuis longtemps.
La seconde raison pour laquelle l’emploi des jeunes doit être au cœur du plan de relance est peut-être, précisément… de venir aider le plan de relance lui-même.
Le déconfinement a montré l’expression de revendications sectorielles. Toutes légitimes soient-elles, ces dernières font planer un fort risque d’empilement préjudiciable. Les milliards n’empêcheront jamais une corporation de se dire « insuffisamment prise en compte », pire de jouer de comparaisons entre elles. Or, la société française est arrivée à un niveau tel d’archipélisation (pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet) que cette issue apparaît aujourd’hui presque inévitable. La question n’est donc pas comment prévenir cette dernière, mais bien comment parvenir à en atténuer les effets ?
En outre, nous entrons dans une période où il sera difficile de distinguer la part de faillites conjoncturelles (pour lesquelles il pourra toujours être fait le procès d’une aide arrivée trop tardivement ou trop parcimonieusement) de faillites plus structurelles sur lesquelles la crise sanitaire n’aura eu qu’un effet accélérateur, et pour lesquelles la réponse passe par de grandes visions à long terme – c’est aussi la raison pour laquelle la France a besoin de renouer avec la vision prospective d’un Commissariat au plan.
Or, dans ce paysage complexe, où devront converger la donne politique, sociale, technologique, territoriale, fiscale probablement, l’emploi des jeunes peut être ce fil d’Ariane salutaire.
La troisième raison en faveur d’une politique volontariste en matière d’emploi des jeunes est que cela entérine le cap de l’insertion qui a mis du temps à s’imposer dans nos politiques publiques ; dans un pays où, longtemps, social et économique ont fait courses séparées.
Accompagner les jeunes dans l’emploi, qu’ils soient décrocheurs ou non d’ailleurs, exige de regarder globalement (à « 360 degrés » comme diraient les travailleurs sociaux) l’ensemble des freins liés à la formation, le logement, la santé ; bref, précisément ce qui a fait défaut à la politique du RMI et que le RSA est à peine parvenu à corriger.
La crise du covid-19 est arrivée à un moment où le pays commençait à engranger les résultats d’efforts passés, notamment avec la garantie jeune, les contrats jeunes majeurs, le retour en grâce de l’apprentissage. La stratégie de prévention de la pauvreté, par exemple, met très nettement l’accent sur les enfants et les jeunes, favorise l’accès au droit commun sur des dispositifs spécifiques au final plus stigmatisant qu’autre chose.
L’emploi des jeunes sera donc une priorité du plan de relance en préparation, et c’est une excellente chose. Tout comme de prendre l’attache des partenaires sociaux pour arbitrer laquelle de ces deux alternatives, entre la baisse de charges ou la prime à l’embauche, doit être privilégiée – l’une et l’autre ayant ses avantages et inconvénients. L’essentiel étant que les deux piliers de la formation et du parcours demeurent, en lien étroit avec les branches professionnelles, les Régions et Départements, tous trois ayant un rôle fondamental à jouer sur les compétences qui leur sont propres. D’aucuns verront probablement dans cette priorité accordée à l’emploi des jeunes un « virage » de la politique d’Emmanuel Macron, c’est au contraire la réaffirmation de l’élan de 2017.
A ces trois raisons, on pourrait en ajouter une dernière, plus audacieuse encore, qui serait de nature à faire entrer les politiques de l’emploi dans une nouvelle ère. Nous en sommes probablement encore un peu loin, regrettons-le.
Tous les pays de la zone euro sont ou vont être confrontés à la question de l’emploi des jeunes, sans exception. Or, jamais depuis le traité de Rome, l’Europe aura autant fonctionné comme un amortisseur de crise. Le volontarisme de la BCE qui permet un endettement exceptionnel et le plan de relance de 750 milliards, fondent in fine cette fameuse « Europe sociale » qui divise tant. Elle est pourtant sous nos yeux ! Le soutien de l’Europe aux politiques de l’emploi, même de façon indirect, est tel qu’il ne faudrait plus grand-chose pour qu’un Mécanisme Européen de Stabilité de l’activité partielle, comparable à celui déployé pour protéger le système bancaire, parvienne désormais à mettre d’accord pays du Nord et pays du Sud.
Pour cela, l’Europe doit devenir autre chose que cette « main invisible », plus encore devant les potentiels bénéficiaires dont certains seront, demain, des décideurs. Cette Europe sociale a besoin d’être incarnée, même si ce sont les politiques nationales qui sont à la manœuvre (et doivent le rester). Rattachons, l’espace de 24 mois et dans chaque pays de la zone euro, le coût de ces politiques en faveur de l’emploi des jeunes au plan de relance. Estampillons les « euro-jobs » comme naguère le New-Deal de Roosevelt faisait apposer l’aigle américain sur les productions relancées par l’État fédéral. C’est « l’affaire » de 30 à 40 milliards à l’échelle de la zone euro. Pas tout à fait une paille, chacun en conviendra, mais bien un investissement qui en vaut certainement la chandelle. La France peut faire cette proposition.
La « génération covid » telle que la craignent l’OIT et l’OCDE pose un défi de société et de politique public majeur. Mais elle n’est pas inéluctable.