Les « 3E » pour sortir de la crise

Fondamentalement, la crise du covid-19 ne nous a rien appris que nous ne sachions déjà sur nos fractures et sur l’état du monde. Mais il a réveillé en nous l’envie de reprendre notre avenir en main. Il y a dans la promesse de « monde d’après » de cette force transgressive qui rend les ruptures possibles, comme 1945 permit la rupture keynésienne, l’État-providence, la primauté des droits de l’Homme, l’installation d’un nouvel ordre mondial… 

Europe

Il est faux de dire que l’Europe n’a pas été à la hauteur. Elle l’a bien plus été que lors des dettes souveraines où elle était demeurée en réaction. Il n’aura fallu que quelques semaines pour voir le pacte de stabilité s’assouplir ; la BCE a rendu possible le « quoi qu’il en coûte » en France, en Allemagne, en Italie… On peut se montrer critique sur le peu d’aide apporté pour gérer la pénurie de masques. C’est oublier que l’Europe n’y dispose d’aucune compétence.

Le couple franco-allemand s’est relancé pour accomplir ce que Jacques Delors préconisait déjà : regarder l’avenir ensemble ! La mutualisation des dettes n’est pas encore tout à fait les euro-bonds. C’est regrettable, car c’eût été l’opportunité de drainer l’épargne mondiale (pour partie alimentée par nos déficits commerciaux) plutôt que de renvoyer à la contribution future des Etats. Qu’importe ! L’Europe avance vers encore un peu plus de fédéralisme. Elle renoue avec son ADN, celui de la solidarité. Et s’il est vrai que l’Europe sociale ne s’assume pas encore complètement, le fait est que rarement depuis le traité de Rome l’emploi aura autant dominé l’agenda en si peu de temps et avec autant d’énergie. A vrai dire, il ne faudrait plus grand chose pour faire évoluer les décisions de crise vers une sorte de « Mécanisme Européen de Stabilité de l’activité partielle », pendant de ce qui existe pour prévenir les crises financières au sein de la zone euro ; et surtout, possible espace compromis entre les pays du Nord et du Sud.

Les Européens goûtent à la puissance politique et au désir de souveraineté. Ils ne feront pas l’économie d’un nouveau traité constitutionnel avant la fin de la prochaine décennie, quitte à devoir accepter une Europe plus concentrique : une Union Européenne (à 27),  une zone euro (à 19 ou plus) et un nouveau « cœur continental » autour d’une Fédération des Etats Européens à 5,6 ou 9.     

Environnement

Au 21ème siècle le leadership mondial reviendra à l’État-nation ou à la fédération d’États-nations qui maîtrisera le climat. Pour ceux qui en doutaient encore, le covid 19 a donné un aperçu au centième de ce qui attend l’Humanité, en terme de déstabilisation sanitaire et géopolitique, si le réchauffement climatique venait à fragiliser le permafrost, libérant des millions de bactéries enfouies depuis l’ère glaciaire.

Ainsi nous vivons une période charnière où pour la première fois de son Histoire, le capitalisme est prêt à recevoir l’écologie, à condition que nous parvenions à affranchir celle-ci de derniers oripeaux idéologiques de la décroissance. Nous voilà condamnés à réussir l’écologie productive ! C’est une responsabilité politique immense, qui sonne l’heure des choix. Assumons le fait que nous ne nous passerons pas du nucléaire ; que taper à bras raccourcis sur la mobilité a été une erreur ; qu’inversement la lutte contre la fracture énergétique a été trop longtemps délaissée pour que nous puissions promouvoir socialement cette écologie politique.

Notre planète reçoit autant d’énergie du soleil en une heure qu’elle n’en consomme en un an. Soyons les leaders de la smart-grid, des technologies hybrides et de transfert. Cessons de courir après des Google ou Amazon que nous ne rattraperons pas, poussons nos propres GAFA ailleurs ! Quitte à desserrer temporairement l’orthodoxie anticoncurrentielle qui a gêné l’émergence de géants européens par le passé.

Emploi

La technologie nous fait entrer dans une ère de déconcentration comme nous n’en avons pas connue lors des précédentes révolutions industrielles. Nous nous rapprochons de l’instant où un toit, un meuble, une coque de téléphone produiront de l’énergie. Les imprimantes 3D vont bousculer les chaînes de production et de valeurs. Les exosquelettes ne se contenteront pas de faire reculer la dépendance ; en réduisant le facteur pénibilité, ils réinventeront les métiers de l’industrie, de l’agriculture. Qui sait si nous ne tenons pas là une partie de la réponse au problème des retraites qui, il y a quelques mois encore (une éternité), nous semblait être un mur social.   

Les territoires sont le fil d’Ariane de cette transformation. Parce qu’ils sont les énergéticiens de demain. Parce qu’ils ont la disponibilité foncière. Parce qu’ils font tourner les têtes de celles et ceux qui aspirent à voir leurs conditions de vie se desserrer grâce au télétravail. Avec la quatrième révolution industrielle c’est toute une « France périphérique », celle-là même qui produit les bataillons de gilets-jaunes, qui tient un peu de sa revanche. A condition qu’elle s’en donne les moyens, car ce sera également au prix d’une forte compétition.  

La crise sanitaire a montré que les Français sont bien mieux armés qu’ils ne le pensent pour relever le défi du « monde d’après ». On les disait impétueux ? Ils ont respecté le confinement comme pas un ! On les disait à la remorque de l’Allemagne ? Paris l’a emporté sur la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, à l’heure du choix européen.

La « France d’après » a encore beaucoup à puiser dans sa part de « France éternelle ». Pour se réinventer elle-même, tout en restant fidèle à ses valeurs ; pour emmener l’Europe, plus loin, plus fort, plus vite – par sa langue, sa diplomatie, sa capacité de projection dans le monde… Avant cela, la « France d’après » doit pouvoir se prouver, et montrer à ses partenaires, qu’elle est capable de canaliser l’énergie de sortie de crise, probablement éphémère, pour chasser ses vieux démons, économiquement et socialement.

Fuyons la taxe « Jean Valjean » qui fera gagner en romantisme (ou en démagogie) ce que le rendement y perdra. Encourageons, au contraire, le retour à un capitalisme rhénan, familial, participatif ; étendons son modèle à l’économie sociale et solidaire (bientôt 10 % de l’emploi). Gardons le cap de l’insertion, qui commençait à porter ses fruits. Ne lâchons rien sur l’apprentissage.

Préférons la certification aux diplômes à chaque fois que celle-ci s’avère être un gage de compétences ; la blockchain à la norme, à chaque fois qu’innovation et réactivité y gagnent.

N’exigeons pas plus mais mieux d’État. Il est urgent de remettre jacobins et girondins autour de la table. Les premiers devant accepter une bonne fois pour toute un principe de différenciation et l’autonomie fiscale des seconds ; et les seconds de s’affranchir d’une dépendance refoulée à l’État. Cette réforme, profonde, qui vise l’unité par les territoires, est une des conditions pour que nous puissions prendre toute la quintessence des « 3E » que sont l’Europe, l’environnement et l’emploi. Or, c’est bien là où nous pouvons peut-être encore échouer.