Le G7 a été l’occasion pour la France de rappeler l’importance d’une gouvernance mondiale partagée dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce n’est pas une mince affaire. Surtout dans le contexte d’affaiblissement du multilatéralisme que nous connaissons. Paris, qui a été plus qu’à la hauteur, ne saurait rester seul. Au risque d’être perçu bientôt non comme un leader mais comme un donneur de leçons. Plus que jamais, la France a besoin de l’Europe et l’Europe a besoin de la France.
Les tensions entre Paris et Brasilia autour des incendies en Amazonie, pour regrettables qu’elles soient, ont le mérite de remettre la forêt au premier plan de la lutte contre le réchauffement climatique. La destruction de l’Amazonie est une double peine pour la communauté internationale. En raison du CO2 libéré et celui qui ne pourra plus être absorbé dans le futur. Nous pouvons dénoncer à l’envi la politique de Bolsonaro. C’est même indispensable. Et après ?
Sommes-nous à ce point convaincus de l’importance des forêts dans l’équation climatique ? Alors faisons-en un combat géopolitique ! La communauté scientifique estime qu’un peu moins d’un milliard d’hectares sont disponibles à la reforestation dans le monde en tenant compte des besoins de l’activité humaine – notamment l’agriculture. Cela se traduirait par le renforcement d’un tiers du parc forestier mondial. C’est certes insuffisant pour que nous puissions nous payer le luxe de stopper les efforts en matière de réduction des émissions carbone. Mais c’est loin d’être négligeable dans la poursuite de l’objectif de neutralité carbone, aujourd’hui quasiment impossible à atteindre si les choses restent en l’état.
Gardons-nous de penser que « planter des arbres » est une chose simple, presque triviale pour qu’on en fasse l’affaire des politiques. C’est tout l’inverse ! Il ne s’agit pas de « verdir » ici ou là, un peu à la volée pour satisfaire les bonnes consciences ou satisfaire l’électorat écologiste. Mais bien de bâtir une politique mondiale, solide et coordonnée, pour jouer à plein de l’effet « puits de carbone » des forêts. Planter des espèces inadaptées peut conduire à d’autres catastrophes, telle une surconsommation en eau, autre défi du siècle à venir. L’efficacité des « puits de carbone » dépend fortement des modes, de l’intensité et des durées d’exploitation des forêts. Aussi superfétatoire que cela puisse paraître, la promotion des « puits de carbone » réclame un niveau de coordination internationale comparable à celui des gestions de crises économiques ou humanitaires.
L’Europe accomplirait un acte géopolitique majeur si elle prenait, devant la communauté internationale, aux côtés de l’ONU, de la Banque mondiale, et du FMI, le leadership d’un vaste plan de reforestation de la planète… Emmener dans son sillage un ou plusieurs acteurs tels que la Chine, la Russie, l’Inde, ou l’Afrique (qui connaît une situation aussi critique que l’Amazonie) constituerait une victoire retentissante. L’Europe en a les moyens ! Via les traités internationaux, commerciaux, via la contribution à l’aide internationale, les programmes de renégociation de la dette.
Tout cela paraît séduisant, mais ô combien lointain. Aussi nous pouvons continuer de penser le sauvetage du monde comme l’affaire des « puissants » en continuant de poster des photos d’ours polaires sur Twitter ou Facebook. Nous pouvons aussi emmener la mobilisation depuis le coin de la rue.
L’ADEME estime entre 100 et 150 000 hectares la surface des friches industrielles en France, souvent situées en milieu urbain et périurbain. Leur reconversion, on le sait, s’avère souvent complexe. Se pose la question de la dépollution des sites ou tout simplement d’en trouver le propriétaire, lui-même disparu derrière les pare-feu de l’économie mondialisée. Cela nécessiterait de faciliter le droit de préemption des mairies, des intercommunalités.
Ces jachères n’en offrent pas moins de formidables opportunités pour densifier l’activité économique et humaine, pour limiter l’étalement urbain (indispensable pour prévenir le risque d’inondation, et préserver notre capital agricole) ou encore développer le photovoltaïque. Allons plus loin encore. Développons les forêts ! Cela peut paraître marginal comparé au 21 millions d’hectares forestiers dans notre pays. C’est vrai. Mais la végétalisation urbaine est en passe de devenir un levier, à la fois de cohésion sociale, économique, territoriale. Et, désormais, politique.
C’est partir en croisade contre le CO2. C’est permettre le rafraîchissement des villes en prévision de canicules dont nous savons qu’elles seront plus fréquentes. C’est de l’embellissement urbain – là où les divers plans de rénovation urbaine, de la politique de la ville, des plans « cœur de ville » se sont empilés – souvent avec des réalisations remarquables, parfois avec une lisibilité discutable aux yeux de ceux qui y vivent. C’est structurer les filières des emplois durables – près d’un million d’emplois sur trente ans, toujours d’après les estimations de l’ADEME (dont 50 000 en région Hauts-de-France). Aucune grande agglomération ne se situe à plus d’une heure d’un pôle de compétitivité de la filière bois, de l’écoconstruction, de la biomasse ou de l’agro-industrie.
Loin de moi l’idée selon laquelle la végétalisation des aires urbaines serait la baguette magique à tous les maux. Nous ne devons pas en faire une lubie ! Mais la végétalisation peut nous aider à réfléchir le modèle urbain de 2050 dans ce qu’il préfigurera de nos organisations sociales, productives, sécuritaires. La planète comptera alors 9 Milliards d’habitants dont près des deux-tiers vivra dans une mégalopole.
A l’heure où certains s’interrogent sur « ce qu’il reste » de prérogatives aux élus locaux face à la puissance de grands ensembles, de l’Europe, de la mondialisation… force est de constater qu’en réinvestissant de tels espaces de projets, les candidats aux prochaines municipales ont le pouvoir de transformer l’éco-citoyenneté en acte puissamment politique. Qui sait, en rapprochant le sentiment d’appartenance au monde d’un sentiment d’appartenance à la cité, les maires du 21ème siècle contribueront peut-être autant au sauvetage de l’Humanité qu’à celui de la démocratie libérale. On aura beau dire, ce n’est quand même pas rien…