En ce printemps 2018, le Parlement Européen débat du budget 2021-2027 qui sera exécuté par la prochaine mandature. Il faut se féliciter des bonnes intentions qui commencent à émerger. Malgré la sortie du Royaume-Uni, qui engendre un « manque à gagner » de 10 à 13 milliards si la contribution des 27 autres États-membres restait inchangée, conjointement Commission et Parlement aspirent à maintenir le périmètre budgétaire existant et encouragent même une hausse d’un peu plus d’un milliard. La Commission européenne, pour sa part, souhaite restreindre les financements aux Etats-membres en cas de violation de l’Etat de droit. Et enfin, enfin… plus de moyens pour la défense ! Pour, on l’espère, relayer des faits la vingtaine d’engagements fraîchement conclus au titre de la « coopération structurée permanente » (CSP) dans un monde dont personne ne méconnait la dangerosité et les bouleversements. Bref, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Ce sont là d’excellentes nouvelles. L’Europe avance… Petitement. Modestement. Mais elle avance ! Là où elle semblait vaciller sous les coups de boutoir du Brexit et la montée des souverainismes deux ans en arrière…
Et puis il y a les « vieux démons »… Ceux desquels l’Europe en quête de maturité peine à s’affranchir. Malgré toutes ces bonnes intentions (qui ne sont pas encore acquises rappelons-le), il reste difficile de dépasser les 1,1 % de la richesse produite. L’hypertrophie du secteur agricole demeure… poste ô combien stratégique dans un monde bientôt peuplé de deux milliards d’habitants supplémentaires et frappé par le réchauffement climatique. Mais qui, dans sa construction budgétaire, rapproche plus l’Europe d’un pays en développement que des Etats-Unis qu’elle supplante pourtant en termes de PIB ! Cherchez l’erreur…
Les débat à venir seront denses et riches, engagés pour beaucoup, afin d’ajuster les curseurs d’un à deux, peut-être trois milliards d’un programme vers un autre. Ces débats seront importants et nul ne saurait en minimiser la portée. Mais à vrai dire, le fond du problème se situe ailleurs… Qui imagine un instant fixer le loyer et les charges du locataire suivant en rendant le bail ? Et bien c’est aujourd’hui un peu le mode de fonctionnement de l’Europe en matière budgétaire !
La vision pluriannuelle est une excellente chose. Elle doit être conservée, peut-être même enrichie pour regarder le plus loin possible et de la manière la plus coordonnée qui soit… La transition énergétique, l’intelligence artificielle exigent de telles visions structurelles. En revanche, l’incongruité calendaire qui consiste à décider (à tout le moins fortement orienter) les marges et les priorités de la mandature suivante a un effet déresponsabilisant. Elle gêne la politisation de l’action. Et, n’en doutons pas, elle ne contribue guère à rapprocher les Européens de l’Europe.
Gestion de la crise migratoire, défense, soutien au numérique, intelligence artificielle… Nous ne rendrons pas l’Europe plus démocratique sans réinvestir l’exécutif et le législatif des prérogatives qui doivent être les leurs dans la construction et l’exécution du budget. Ce principe est le fondement de toute construction politique, de tout Etat régalien – depuis des siècles. Il nous faudra remettre l’Europe à l’endroit ; en permettant à la mandature en place de déterminer sa propre trajectoire (ce qui ne doit pas empêcher d’anticiper au-delà, bien sûr). Mais il nous faudra aussi et surtout mettre l’Europe debout ; en conférant à cette dernière les moyens d’une autonomie budgétaire qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut pour rapprocher le bulletin de vote de l’action de terrain. Par le développement d’eurobonds ? Par un point de « TVA européenne » redéployé des TVA de chaque pays de l’Union (et non en plus) ? Ouvrons le débat !