Il y a un an à peine le plan Juncker voyait le jour avec pour objectif de remettre l’Europe sur le chemin de la croissance durable. Hélas l’effet d’annonce allait bientôt laisser place à la douche froide.
Tout d’abord en raison d’un effet levier plutôt « ambitieux » de l’aveu même de nombreux économistes. En effet, sur les 315 milliards annoncés seuls 21 milliards de fonds propres allaient être mobilisés, le delta étant susceptible d’être atteint par… un multiple de 15.
Le plus gênant, toutefois, restait à venir car en lisant entre les lignes le plan Juncker laissait apparaitre une fâcheuse tendance à « déshabiller Pierre pour habiller Paul » en ponctionnant dans des programmes sous la mandature précédente.
Bref, l’opinion comme les marchés n’allaient pas tarder à regarder le plan Juncker pour ce qu’il est : salutaire… mais bien éloigné des 800 à 1000 milliards nécessaires pour rattraper la perte d’investissement frappant la zone euro depuis la crise de 2008.
Au fond, laissons la bataille de chiffres de côté… Et si le plus important était ailleurs ?
Reconnaissons-le, la (re)mobilisation de lignes de crédits préexistantes, pour décevante qu’elle soit, présente un intérêt non négligeable : celui de redynamiser la stratégie 2020, elle-même de plus en plus fragilisée. En outre, la recherche de cohérences nouvelles avec les structures nationales de soutien à l’investissement (tel le partenariat renforcé entre le Fond Européen pour les Investissements Stratégiques et la BPI en France) tout comme la priorité donnée aux projets innovants ou transfrontaliers constituent autant d’excellentes nouvelles.
On le voit, il serait vain de rechercher un quelconque élan de « plan Marshall pour la croissance » dans le plan Juncker de la même façon que ne pas reconnaitre sa valeur de « service minimum » serait injuste.
Nul ne peut évidemment savoir quelle place occupera ce plan dans l’Histoire de la construction européenne… sauf à dire que cette place sera fonction de l’après. En clair : tout dépendra de notre capacité à transformer, collectivement, le conjoncturel en structurel
La question est donc : le plan Juncker peut-il constituer l’embryon de la politique industrielle européenne ? La réponse est « oui », à trois conditions.
Première condition : la pérennité !
En substance celle du Fond Européen pour le Investissements Stratégiques (FEIS) qui devra s’appuyer sur une administration fiable (à l’instar du Mécanisme Européen de Stabilité pour lequel un Directeur Général a été nommé), de la même façon que la coexistence avec la Banque Européenne d’Investissement (BEI) devra être interrogée. Ces deux institutions devront, à terme, fusionner car on peut craindre que leur juxtaposition en « tuyaux d’orgue » n’obère leur efficacité… voire conforte le sentiment de technocratie auprès des acteurs économiques et de l’opinion.
Seconde condition : des moyens dignes de ce nom…
Pour être efficace une politique industrielle européenne devra s’appuyer sur une redistribution plus conséquente et… surtout plus stable, condition sine qua non pour dégager une vision à long terme, oser de nouveaux paris technologiques, bref engager la société européenne dans de « grands projets »…. Chacun ira de son chiffre. Mais on voit bien qu’à moins d’un triplement des dotations actuelles (soit l’équivalent d’un plan Juncker par an !) cette vision d’une Europe conquérante en matière de nouvelles technologies et d’emploi restera incantatoire.
Troisième condition : l’autonomie financière…
C’est évidemment la question qui fâche le plus et pourtant la pierre angulaire : qui doit payer ? Sans compter le sempiternel débat entre responsabilité publique et privée (comme si les deux pouvaient être aussi facilement déconnectées…)
Deux pistes de financement méritent d’être exploitées.
La première repose sur le développement d’une fiscalité européenne faible adossée à une assiette la plus large et la moins délocalisable possible.
Notons que la taxe carbone aux frontières extérieures de l’union présenterait l’intérêt de la cohérence tant sur le plan social qu’économique au regard de l’objectif de croissance verte que s’assigne progressivement l’Europe, objectif qui à n’en pas douter sera réitéré lors de la prochaine COP 21 sans que, on le craindre, la question des moyens ne soit formellement posée.
Une chose est sûre : pour être soutenable, quelle qu’elle soit cette fiscalité européenne devra s’opérer par redéploiement des fiscalités nationales existantes – un euro nouvellement prélevé à l’échelon européen devant d’être un « euro neutre » pour le contribuable des Etats. On mesure au passage l’importance à donner au semestre européen dans ce processus…
La seconde piste vise à mobiliser pleinement l’épargne des Européens, privés comme institutionnels, via les marchés boursiers et obligataires.
Ces euro-obligations (ou euro-bonds) devront clairement prendre la forme d’euro-projects (et non d’euro-bills…). Elles ne sauraient aider les Etats à « finir les fins de mois » mais bien à recouvrer, dans un collectif stratégique, les marges de manœuvres perdues en matière d’investissement depuis la crise des dettes souveraines.
Bref, pour en revenir au plan Juncker, on l’aura compris je ne prendrai le parti ni de l’encenser au-delà de ce qu’il représente aujourd’hui ni de le dévaloriser au-delà de ce que les mandatures précédentes n’ont pas su ou voulu impulser hier.
Le plan Juncker rappelle aux Européens combien ils sont désormais unis par une communauté de projets au-delà de la communauté économique et monétaire qu’ils ont certes su brillamment construire depuis plus de soixante ans, mais qui ne se suffit plus à elle-même. Ce rappel intervient à un moment où l’Europe peine encore à trouver pleinement la voie de la troisième révolution industrielle et alors qu’elle comptabilise autant de chômeurs que d’entreprises (respectivement 23 millions). Surtout, ce rappel intervient à un moment où l’Europe cherche, non sans difficultés, à réinventer une société de progrès fondée sur le développement social et économique, cœur de la démocratie.
Une fois de plus on ne peut que déplorer l’attentisme dont s’accommodent les Européens.
Chacun le pressent mais personne n’ose l’avouer : la mondialisation tout comme la hauteur des enjeux liés aux technologies naissantes invitent à adopter une vision résoluement plus continentale et opérationnelle de l’investissement, de l’innovation, de la mise en réseaux de clusters, « communautarisation de la stratégie » qui ne saurait remettre en cause les savoir faire de chacun des Etats, bien au contraire !
On le voit, si un modèle colbertiste ou un « Haut Commissariat » digne de celui qu’a connu notre pays durant les « trente glorieuses » (modèles finalement encore chers au cœur des français) ne constituent pas des réalisations totalement transférables ou souhaitables, inversement s’interdire tout pari commun sur l’avenir au nom d’un « libéralisme sans contrepartie » relèverait du même esprit de dogme. C’est bien vers cette « troisième voie » que doit nous inviter à réfléchir le plan Juncker. Gageons que lorsque nous aurons opéré cette prise de conscience, la question du nombre de milliards en plus ou en moins dans ce qui sera alors la « descendance » de ce plan se tranchera très facilement.