Les britanniques se sont prononcés en faveur de la sortie de l’Union Européenne à près de 52 %.
Bien qu’il constitue à mon sens une erreur, ce choix doit être respecté au nom de la souveraineté des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Nul ne sait ce qu’il adviendra. Mais nous devons tirer tous les enseignements.
En quelques heures, « sans rien faire » les britanniques se sont endettés de plusieurs dizaines de milliards par l’effet mécanique de la chute de la Livre Sterling. Les banques centrales mondiales se mobilisent afin de prévenir son effondrement (curieusement ni M Farage ni M Johnson n’y voient une atteinte à la souveraineté). Les porteurs d’enjeux de la City regardent vers les capitales européennes. Ireland et Ecosse revendiquent la partition. La Grande Bretagne pourrait ainsi bientôt devenir la « Petite Bretagne »…
Depuis une semaine, nous savons que l’on peut encore, en 2016, payer de sa vie l’engagement démocratique en Europe.
Depuis cette nuit, nous avons la preuve qu’eurosceptiques et nationalistes peuvent faire de l’intégration européenne un mouvement réversible, créant ainsi les conditions de ce qu’ils dénoncent : l’Europe molle, incapable de réponse aux enjeux de croissance, d’emploi, de sécurité intérieure, de diplomatie… Chacun le comprend : les Européens finiront par se lasser et laisseront plus volontiers mourir cette Europe « coquille vide » au profit d’un retour aux frontières intérieures. Le travail de sape a commencé. Ce n’est désormais plus qu’une question de temps : cinq, dix, quinze ans ? Moins ? Difficile à dire… Ce qui est certain, c’est que le processus est engagé. Qui se soucie encore de Schengen face à l’impotence de l’Union dans la crise migratoire ?
Bref, le choix de la Grande-Bretagne a beau être démocratique, il nous rappelle que la démocratie n’est jamais complètement acquise.
L’heure est grave. Car cette Europe là c’est : au mieux, la dégringolade économique et sociale face à de nouvelles puissances globales, notamment asiatiques ; au pire, la guerre.
L’heure est grave, mais paradoxalement elle peut être porteuse d’espérance si nous le décidons – car c’est dans la gravité que s’écrit, le plus souvent, l’Histoire.
A cet égard, l’Histoire des Etats-Unis est riche d’enseignements. A plusieurs reprises, la construction américaine a marqué le pas, parfois de façon fratricide et violente. A chaque fois, les Américains ont su répondre par la conscience et l’audace, là où une minorité appelait à l’isolationnisme et la division.
Aujourd’hui, j’en appelle solennellement au Conseil de l’Europe et à l’ensemble des Chefs d’état et de gouvernement : avons-nous envie d’écrire l’Histoire des Etats-Unis d’Europe ?
Depuis trop longtemps les Européens, et en particulier les jeunes Européens qui ont à peine le souvenir de la chute du mur de Berlin, entendent parler d’Europe à travers des allégories aussi consensuelles qu’euphémisantes : l’”idée”, le “projet” d’Europe… L’Europe n’a plus besoin de mots ! Elle a besoin d’actions et, surtout, de leadership !
Il y a peu encore, la conception d’une Europe à « plusieurs vitesses » m’indisposait car telle n’était la vision que je partageais du continent et de son destin. Et d’ailleurs, ce n’est toujours pas complètement ma vision. Mais pragmatiquement et face à l’urgence, cette voie est devenue la seule possible, et surtout : une voie « urgente ».
L’Europe doit désormais s’articuler autour de plusieurs cercles concentriques.
Un premier cercle, ouvertement libre échangiste et fondé sur la convergence des normes, s’impose. Aujourd’hui délimité aux 28 Etats membres, ce premier cercle, le plus large, pourrait à terme s’ouvrir plus facilement encore à de nouveaux partenaires. Probablement, constitue t-il l’issue de négociations aujourd’hui impossibles avec Ankara ou sur la question ukrainienne dont nous sommes peut-être, sans le savoir, qu’au début.
Un second cercle, fondé sur la monnaie unique et ses principes en matière d’union bancaire et de convergence, se dessine assez naturellement. Finalement, la configuration actuelle de 19 pays.
Enfin, un troisième cercle, ouvertement fédéral, fondé sur une nouvelle constitution : un Président reconnu sur le plan international et un Parlement aux pouvoirs considérablement renforcés prenant définitivement le dessus sur la méthode intergouvernementale.
Qu’importe que nous soyons six, dix ou douze à vouloir le faire, faisons-le ! Nous ne pourrons convaincre d’autres de nous rejoindre qu’à l’issue de résultats concrets.
Nous pensons que l’Union monétaire doit être relayée de l’union économique et fiscale ? Faisons-le !
Nous pensons que l’Europe doit s’engager dans une politique de « grands projets » et d’investissements ? Faisons-le !
Nous pensons que l’Europe doit émettre ses propres obligations pour financer sa croissance et réguler la finance mondiale ? Faisons-le !
Nous pensons que l’Europe doit mieux protéger ses frontières extérieures ? Faisons-le !
Nous pensons que l’Europe doit mieux défendre ses intérêts grâce à une diplomatie et une défense commune ? Faisons-le !
Nous pensons que l’Europe doit soutenir son agriculture non à travers les seules aides financières mais en pesant sur les marchés mondiaux ? Faisons-le !
Comme je l’évoquais préliminairement, la liberté des peuples à pouvoir disposer d’eux-mêmes doit primer sur tout autre principe. Démocrate, je me suis toujours battu dans ce sens. Démocrate, je continuerai. Mais la liberté ne saurait être instrumentalisée et la démocratie attaquée par ses faiblesses.
La liberté d’une minorité ne saurait obérer la liberté d’une majorité à vouloir s’adapter à la marche du monde : 9 milliards d’habitants dont la moitié sera, demain, exposée au risque climatique, le déplacement du centre de gravité de la géopolitique vers l’Asie, l’émergence de nouveaux rapports de forces y compris avec des puissances non gouvernementales, le décuplement de risques sanitaires, financiers, terroristes, la question de l’indépendance énergétique et technologique…
Assez ironiquement, je l’avoue, mais peut-être est-ce la preuve que nous avons encore à apprendre de notre propre Histoire, cette « Europe des cercles », tant dans son principe que dans sa terminologie, reprend à son compte la réflexion d’un illustre britannique quant à la place de la Grande Bretagne dans le monde… en 1946 – et chacun aura bien évidemment reconnu Winston Churchill.
Le fait est que cette « Europe des cercles » doit pouvoir offrir un cadre gradué et démocratique, allant du libre échange au fédéralisme, dans lequel chaque peuple, chaque parlement, sera libre de se positionner en conscience.