L’Europe Sociale a besoin d’un « plan Juncker » !

L’Europe est sortie renforcée des crises contemporaines qu’elle a traversées. La chute du mur de Berlin, qui laissa craindre une partition jouée trop en solo par l’Allemagne, a donné naissance à la monnaie unique. Les dettes souveraines, qui auraient pu sonner le glas de l’Union Européenne, ont aidé à avancer vers le fédéralisme économique. Transformer les crises en mouvement est l’une des principales forces de l’Europe, et reconnaissons que ce n’est pas donné à n’importe quelle démocratie. Hélas, c’est aussi devenu son plafond de verre.

Moins que l’antieuropéeïsme ou l’euroscepticisme qui, eux, se nourrissent des idéologies, cette construction trop faiblement régalienne de l’Europe aurait plutôt tendance à cultiver l’a-européeïsme, sorte de désintérêt général et croissant pour la chose européenne. En vingt ans l’abstention a bondi de près de vingt points. Parler de « montée des populismes » aurait quelque chose d’impropre s’il n’était rappelé l’effondrement de l’adhésion populaire à l’Europe.

La réalité est que les valeurs de paix ne suffisent plus à rallier celles et ceux qui se sentent en guerre dans la mondialisation. Pas plus qu’Erasmus ne saurait constituer l’unique réponse vers une jeunesse périurbaine ou rurale, moins connectée et moins mobile que celle des métropoles. Face aux transformations annoncées de l’intelligence artificielle sur l’emploi, la classe moyenne attend autre chose qu’un énième exposé sur l’euro ou le FEDER. Qu’on se le dise, on ne fera pas réadhérer à l’Europe à coups de slogans !

L’élection de mai 2019 marquera un tournant parce que l’espace de débat est en pleine recomposition, pas seulement en France. Pour la première fois il sera permis de critiquer l’Europe non pour la rejeter mais pour l’aimer ! Nous avons une chance historique pour tendre la main à celles et ceux qui, lassés d’une Europe timorée, trop technique, ou trop lointaine, s’étaient tus ou vus injustement relégués dans le fourre-tout réactionnaire. Centristes libres, porteurs d’une foi inébranlable dans le progrès, nous adorons l’Europe ! C’est pourquoi notre responsabilité dans ce débat doit être à la hauteur de l’exigence que nous cultivons pour l’Europe –  immense.

A quelques semaines du scrutin, l’Europe de 2019 ressemble comme à s’y méprendre à l’Europe de 2014 ou 2009 : forte mais groggy. Si le Brexit signe la victoire de l’Europe, il n’en reste pas moins l’échec des Européens. Retournons le problème comme on le voudra : l’Europe sociale s’impose ! Le problème n’est pas tant que des écarts existent en Europe. C’est qu’ils ne se réduisent pas. La question est moins de savoir si l’Europe sociale est de nature à faire le jeu des sociaux ou des libéraux, des « petits » ou des « grands » États… L’Europe sociale doit permettre aux Européens de retrouver du dénominateur commun. Sans cohésion, ils ne parviendront pas à se projeter vers le monde. La défense européenne, la réforme du droit d’asile, la lutte contre le réchauffement climatique réclament ce sursaut.

Le socle européen des droits sociaux a été l’une des réponses de la Commission Européenne au Brexit. La future Autorité Européenne du Travail qui en est issue permettra bientôt de coordonner les différentes administrations du travail au sein de l’Union pour mieux lutter contre la fraude au travail détaché, véritable fléau dans les secteurs du bâtiment ou des transports. Beaucoup reste à accomplir telle l’instauration d’un SMIC européen, l’harmonisation des assiettes fiscales, la portabilité totale des droits d’un pays à un autre, l’emploi des jeunes ou le paiement des charges sociales au plus avantageux pour le salarié et au plus juste pour l’entreprise.

Nous avons le choix entre baisser les bras devant l’ampleur de la tâche ou fédérer autour du défi. La convergence a été et reste l’ADN de l’Europe. Ceux qui ont connu l’Espagne ou le Portugal des années 1970 mesurent le chemin parcouru grâce aux politiques structurelles. Faut-il rappeler les écarts de compétitivité qui prévalaient dix ans avant la monnaie unique ? Plus près de nous, le plan Juncker, unanimement loué pour son impact sur la croissance, a rapproché les Européens sur un début de vision industrielle partagée : 335 milliards, 900 projets, 0,6 de PIB, plus de 700 000 emplois. Cet « interventionnisme » économique n’est pas sans rappeler celui de la PAC sans lequel l’Europe n’aurait pu accéder à l’indépendance alimentaire. Tous ces défis ont un autre point commun. Ils eurent à affronter leurs sceptiques,  parce que trop ambitieux, trop compliqués. S’il n’y avait eu des De Gaulle, des Mitterrand, des Delors pour forcer le destin…

La transition sociale en Europe sera le chantier d’une décennie, voire au-delà. Nous ne l’engagerons pas sans réfléchir à un  mécanisme de compensation destiné à pallier la dégradation de compétitivité des Etats consentant à converger vers le haut. Il nous faudra trouver quelque chose qui soit à la fois l’équivalent et autre chose que le plan Juncker (celui-ci étant principalement abondé par des fonds privés). Cela a de quoi donner des sueurs froides ! Gardons toutefois en tête que les Etats les plus éloignés de la  convergence ont des PIB à deux voire trois chiffres, avec une croissance qui est de nature à aider l’exercice. Les difficultés sont partout en Europe, tout comme les solutions. Elles sont désormais à rechercher dans les territoires qui, eux-mêmes, auraient autant à gagner d’un renforcement du droit commun européen que de la stratification des aides structurelles. On peut également craindre que l’inflexion de la BCE voulue par beaucoup (un peu moins en faveur de la stabilité des prix et un peu plus en faveur de l’emploi), ne voie jamais le jour sans consentir à un tel signal.

Chaque année les Européens dépensent 46 % de ce qu’ils produisent, soit un peu moins de 7500 milliards. Dégager 1 % de cette dépense publique redonnerait une marge de manœuvre comprise entre 70 et 80 milliards à l’échelle de l’Union sans fiscalité nouvelle. Redéployer un quart de point des TVA nationales permettrait de libérer quelque 10 à 12 milliards, là encore sans fiscalité nouvelle. La perspective de l’Europe sociale peut-elle nous motiver à mettre en place la taxe sur les transactions financières ou sur les GAFA ? Ou, tout simplement, à mieux lutter contre l’évasion fiscale à l’échelon européen ?  Si la campagne des Européennes permettait déjà de redonner aux Européens le goût de la politique…

 

Social Europe demands a « Juncker Plan » !

Europe has emerged stronger from the contemporary crises it has gone through. The fall of the Berlin Wall, and the fear of Germany playing its role on her own, helped to create the single currency. Sovereign debts, which could have sounded the death knell of the European Union, helped to enhance economic federalism. Turning crises into movement is one of Europe’s main strengths and it is an obvious sign of democracy. Alas, it has also become its  « glass ceiling ».

Less than antieuropeanism or euroscepticism, which are fuelled by ideologies, this low-regalian construction of Europe would rather tend to cultivate a-Europeanism, a sort of general and growing disinterest for Europe. In twenty years the abstention surged by nearly twenty points. It is therefore wrong to talk about the « rise of populisms » without recalling the collapse of a popular faith in Europe.

The reality is that the values ​​of peace are no longer enough to rally those who feel at war with globalization. Erasmus shouldn’t be the only solution proposed to a suburban or rural youth, less connected and less mobile than that living in metropolises. Faced with the forthcoming changes in artificial intelligence on employment, the middle class awaits something stronger than a long presentation on the euro or the ERDF. Let it be said, we will no longer promote Europe with slogans !

The election of May 2019 will mark a turning point because the debate on Europe is moving, not only in France. For the first time it will be allowed to criticize Europe not to reject it but to say how we much it should be loved ! We have a historic chance to talk to those who, tired of a timorous Europe, too technical, or too distant, have been quiet or have been unjustly labelled as « reactionnaries ». As Centrists, bearers of an unshakeable faith in progress, we love Europe ! That is why our responsibility in this debate must be equal to the requirement we are cultivating for Europe – immense.

A few weeks away from the election, Europe in 2019 mirrors Europe in 2014 or 2009 : strong but groggy. If the Brexit is the victory of Europe, it remains the failure of the Europeans. Somehow, Social Europe is needed ! The problem is not so much that gaps exist in Europe. It is because they are not reducing. The question is less whether Social Europe is likely to play the game of socials or liberals, smaller or larger States… Actually, social Europe is just the only alternative for Europeans to find a common denominator and come up with all other major issues such as European defense, climate change, common European asylum system…

The European Pillar of Social Rights was one of the responses of the European Commission to Brexit. The future European Labor Authority will soon coordinate the various labor administrations within the Union to allow better supervision on posted work, real issue in the building or transport sectors. Much remains to be done, such as the introduction of european minimum wages, fiscal harmonization, improved portability of rights from one country to another, youth employment and, most of all, the payment of social charges at best rate for workers and firms as well.

Social Europe is a huge challenge. We have the choice between giving up or federating on it. Nevertheless, convergence has been and remains the DNA of Europe. Those who remember the situation in Spain or Portugal in the 1970s measure the progress made through structural policies. Should we recall the differences in competitiveness that prevailed just a decade before the single currency ? The Juncker plan, unanimously praised for its impact on growth, has brought Europeans closer to a shared industrial vision: 335 billion, 900 projects, 0.6 of GDP, more than 700,000 jobs. After all, this kind of economic  « interventionism » reminds that of the Common Agricultural Policy without which food independence would not have been possible in Europe. All these challenges have another common point : they met their skeptics. Had De Gaulle, Mitterrand, or Delors decided not to help the Europeans to take their destiny into their own hands, Europe would not be what it is today…

The social transition in Europe will be the work of a decade or more. We will not engage it unless we succeed in creating a mechanism to compensate for the deterioration of competitiveness of states willing to converge upwards. We must invent something both similar and different as the Juncker plan (the latter being mainly financed by private funds). It will be a hard job ! But we should keep in mind that the countries which are the furthest from convergence have two or three-digit GDP, their growth making the the task easier. Difficulties are everywhere in Europe as are solutions. They are now the prerogative of the territories which would have as much to gain from a reinforcement of the common European law as from the stratification of the structural aids. It may be doubted either that the inflection of the European Common Bank desired by many in favor of employment never happen without such a signal sent concomitantly.

Every year the Europeans spend 46% of what they produce, a little less than 7500 billion. Bringing 1% of this public expenditure back would give a margin of maneuver between 70 and 80 billion at Union level without new taxes. Redeploying a quarter of a point of national VAT could release some 10 to 12 billion, again without new taxes. Could Social Europe be the missing motivation to come up with a consensus on the financial transactions tax or on the digital tax on GAFAs ? What about combating fraud and tax evasion better ? There are probably as many good digging tracks as bad to evacuate  in these examples. Who knows, if the forthcoming European election campaign reawakened a desire to do politics…

 

 

 

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